La coopération franco-allemande est un sujet essentiel. Au bord du Rhin, nous avons vécu bien des conflits, des alternances de nationalité. Des familles ont été éclatées, pleurant des morts des deux côtés, comme en témoigne le monument aux morts de Strasbourg. Après la dernière guerre, un incroyable sursaut a eu lieu afin de ne jamais revivre cela.
Le traité de l'Élysée est un symbole fort de cette coopération ; il est aussi un acte concret. Le pont qui joint Strasbourg à Kehl a été reconstruit à l'occasion du quarantième anniversaire de ce traité. Notre vision partagée de l'amitié franco-allemande se bâtit ainsi, à partir d'une volonté politique, mais aussi de réalisations concrètes.
J'ai été très touchée par les cérémonies du centenaire de l'armistice. En Alsace, après 37 ans de séparation d'avec la France, le processus de réintégration de notre territoire a été complexe. Malheureusement, le point d'orgue de la commémoration à Berlin cette semaine a été presque inexistant en France du fait de l'actualité. C'est dommage, car ces commémorations étaient tournées vers l'avenir.
Concernant la coopération transfrontalière de proximité, il se passe de très belles choses, mais on en parle peu parce que cela se passe loin de Paris ! J'avais commis il y a plusieurs années, avec Étienne Blanc et Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, un rapport sur ce sujet. Nous avons pu décrire des initiatives variées, mais riches d'enseignement : de petites Europe se construisent. On peut citer des coopérations dans le domaine de la santé à la frontière belge. Près de Genève ou du Luxembourg, un effet d'aspiration incroyable est observable. Enfin, sur le plateau de Cerdagne se situe le seul hôpital transfrontalier. Des dynamiques se créent, des cultures s'entrecroisent.
Ces coopérations s'incarnent également dans des eurodistricts, ainsi que dans le projet de nouvelle collectivité européenne d'Alsace. Le préfet nous a remis un rapport très intéressant sur le désir d'Alsace ressenti sur notre territoire. Dans le projet finalisé à Matignon à la fin d'octobre, la dimension linguistique est centrale. En effet, le principal blocage à l'intégration des marchés du travail est la maîtrise de la langue de l'autre. Le volet de texte consacré à la formation professionnelle a été atténué, mais cette ambition demeure.
Le transport est un autre sujet très important. Il existe deux voiries parallèles nord-sud. Or, du fait de l'existence en Allemagne d'une sorte d'écotaxe, la Maut, on observe un report de trafic vers le côté français. Il faut également continuer à construire les ponts qui nous manquent sur le Rhin.
Sur la défense, l'engagement de l'Allemagne est important. Le commandant actuel de l'Eurocorps est allemand. Leur volontarisme est réel, leur participation est précieuse.
En revanche, au sein du Parlement européen, on constate un changement dans la nature des relations entre Français et Allemands. Historiquement, ces derniers étaient des soutiens indéfectibles de la présence du Parlement à Strasbourg. Des consensus forts construits après la guerre, incarnés notamment par des échanges de fonctionnaires, se sont aujourd'hui atténués. C'est un effet de génération ; les Allemands de l'Est sont aussi moins sensibles à cette histoire. Toujours est-il que les anciens liens d'amitié et de vision commune s'estompent. Il faudrait les reconstruire, en se rencontrant et en discutant plus, en s'intéressant l'un à l'autre.
Cela peut expliquer une forme d'épuisement du traité de l'Élysée : même s'il n'a pas pris de rides, il y a moins de consensus naturel pour le mettre en oeuvre. L'amitié franco-allemande n'est pas toute l'Europe, mais c'est un élément fort qu'il faut essayer de faire vivre et auquel il faut redonner un sens.