Il faut mesurer le chemin parcouru en quelques décennies. Quand j'étais enfant, dans les campagnes que je connais, l'inceste était monnaie courante et n'était nullement inquiété - il ne fallait pas toucher à la vie familiale.
On a cru trouver ensuite une réponse pénale à ces problèmes. C'est si vrai que, pendant des années, le « prédateur » sexuel a été l'archétype du criminel.
Ce faisant - c'est heureux -, on s'est préoccupé des victimes, et les associations d'aides aux victimes fleurissent. Mais les associations qui s'intéressent aux auteurs et aux familles sont beaucoup moins nombreuses.
Nous ne sommes pas impuissants : le docteur Mouchet-Mages vient de montrer que des thérapeutiques sont possibles. Il faut, au-delà et en-deçà de la condamnation pénale, trouver les interlocuteurs qui vont pouvoir accompagner l'auteur, la victime et la famille. Nous en sommes à un point où ce « joint » n'est pas fait ; votre commission doit contribuer à rétablir le chaînon manquant entre les choses qu'on ne sait pas encore et la pure solution pénale.
Les personnes compétentes existent. Mais travailler en réseau, dans ce pays, est extrêmement compliqué. On a l'impression que, une fois la personne condamnée, le problème est réglé, alors qu'on n'a rien réglé du tout. La loi de 1998 a ouvert la voie ; il faut maintenant aller plus loin en matière de prise en charge.
Dr Sabine Mouchet-Mages. - Les politiques publiques se sont beaucoup penchées sur la question de la prise en charge des victimes - c'est capital. L'impact traumatique explique en partie le manque de déclarations : les victimes ne sont pas capables de se reconnaître victimes et de parler.
Mais, dès lors qu'on a affaire à des victimes, c'est déjà trop tard. Pour qu'il n'y ait pas de victimes, il faut prévenir la survenue des auteurs. C'est ce qu'il faut entendre sous l'exigence de prise en charge des auteurs.
Pour prendre en charge les auteurs, il va falloir s'intéresser à la vie familiale, celle où l'on n'osait pas aller dans les années 1950, et celle où l'on va désormais, mais seulement pour punir, alors qu'il faudrait aussi prévenir.
Ce que les Américains appellent la prévention « bystander », qui s'adresse au témoin, est donc absolument essentielle : il s'agit d'apprendre aux familles à discerner les signes extérieurs de ce que le docteur Mouchet-Mages décrivait à l'instant en termes cliniques.