Je suis chargé de vous présenter les crédits de trois des quatre programmes de la mission « Sécurités », prévus par le projet de loi de finances pour 2019 : le programme 152 « Gendarmerie nationale », le programme 176 « Police nationale » et le programme 207 « Sécurité et éducation routières ». Le programme 161 « Sécurité civile » fait quant à lui l'objet d'un avis distinct, présenté par notre collègue Catherine Troendlé.
Sur ces trois programmes, le constat, pour 2019, est identique à celui que nous avions dressé en 2018 : en dépit d'une augmentation des crédits alloués à la sécurité, la trajectoire financière du projet de loi de finances demeure très largement insuffisante au regard de la situation particulièrement dégradée des forces de sécurité intérieure. Le rapport de notre collègue François Grosdidier, fait au nom de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, sous la présidence de notre collègue Michel Boutant, relate cette situation et émet 32 propositions.
En 2019, le budget de la mission « Sécurités », hors crédits alloués à la sécurité civile, poursuit la hausse engagée depuis 2012 : ses crédits augmenteront de 3,63 % en autorisations d'engagement et de 1,84 % en crédits de paiement. La progression des crédits, plus significative pour la gendarmerie que pour la police, mérite d'être soulignée. Toutefois, elle apparaît, comme l'année dernière, insuffisante et très largement déséquilibrée. La hausse budgétaire est en effet quasi exclusivement absorbée par l'augmentation de la masse salariale. Conformément au plan quinquennal de création de 10 000 emplois au sein des forces de sécurité intérieure, 2 378 nouveaux postes seront créés en 2019, dont 1 735 dans la police et 643 dans la gendarmerie. Au total, depuis 2012, les effectifs des forces de sécurité intérieure auront été renforcés de 13 079 personnels supplémentaires. La plupart des effectifs supplémentaires devraient être affectés, pour la police, dans les services de sécurité publique et, pour la gendarmerie, dans les brigades territoriales, à l'appui de la mise en place de la nouvelle police de sécurité du quotidien. Il s'agit, dans l'esprit du Gouvernement, de renforcer la présence policière sur le terrain et de doter les nouveaux quartiers de reconquête républicaine d'effectifs supplémentaires. C'est un objectif louable. Je ne crois pas, toutefois, que ces créations d'emplois suffiront à « mettre du bleu dans les rues » et à améliorer la lutte contre la délinquance quotidienne, comme le souhaite le Gouvernement. La hausse des effectifs ne résoudra pas tout. L'insuffisante capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure résulte en effet davantage de difficultés structurelles que d'une insuffisance d'effectifs.
Premièrement, de nombreuses missions périphériques, communément appelées tâches indues, continuent d'accentuer l'indisponibilité d'une partie de nos forces de l'ordre. C'est une pollution qui s'accentue d'année en année.
Deuxièmement, les services de sécurité publique souffrent d'un déficit d'effectifs ainsi que d'un manque d'attractivité, pour les agents les plus expérimentés, des quartiers dits perdus de la République. Les services sont contraints de recruter des agents tout juste sortis d'école et qui ne disposent pas de l'expérience nécessaire pour se confronter à une délinquance difficile. Créer de nouveaux postes sans résoudre, en amont, ces difficultés risque de n'avoir que peu d'effets dans la pratique.
Troisièmement, le Gouvernement, dans ses perspectives d'emploi, oublie d'intégrer un paramètre pourtant majeur : l'application aux forces de sécurité intérieure, depuis 2016, de la directive européenne du 4 novembre 2003 sur le temps de travail qui a entraîné une réduction importante des capacités opérationnelles au sein de la police comme de la gendarmerie. La gendarmerie aurait perdu 4 000 ETP en temps de travail, qui n'ont pu être compensés que par l'instauration d'un système d'astreintes. Celui-ci réduit toutefois l'engagement opérationnel des agents sur le terrain.
Le constat est encore plus criant dans la police : en cas de généralisation du système dit de la « vacation forte » à l'ensemble des circonscriptions de sécurité publique, la baisse de la capacité opérationnelle s'élèverait à 4 160 équivalents temps plein, pour un coût financier de 205 millions d'euros.
Dans ces conditions, aucun effet de levier ne peut être attendu du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires.
Si la question des effectifs est essentielle, la principale limite du budget soumis à notre appréciation réside toutefois dans l'insuffisance des crédits d'équipement et de fonctionnement des forces de sécurité intérieure. La forte augmentation de la masse salariale dans le budget est en effet obtenue au détriment des crédits de fonctionnement et d'investissement, dont la part ne cesse de se réduire dans le budget global. Les chiffres sont éclairants : alors que les dépenses de personnel ont augmenté, depuis 2007, de 37,2 % pour la police, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont, quant à elles, stagné. Cette évolution est inquiétante : la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure repose en effet non seulement sur le nombre de personnels, mais également sur l'aptitude de l'État à équiper et à entretenir ses forces. C'est la capacité d'intervention des policiers et gendarmes que nous risquons, à défaut, d'affaiblir.
En 2019, les crédits de fonctionnement seront, à périmètre constant, en augmentation de 9,3 % pour la police et de 3,15 % pour la gendarmerie. Cette augmentation des moyens de fonctionnement recouvre principalement la prise en compte du coût de sac à dos, c'est-à-dire des crédits nécessaires pour équiper a minima les nouveaux effectifs, ainsi que la hausse du prix du carburant.
Quant aux crédits d'investissement, ils constituent la véritable variable d'ajustement de ce budget : par rapport à 2018, ils chuteront, en crédits de paiement, de 18,56 % pour la police et de 13,37 % pour la gendarmerie. Je déplore d'ailleurs que l'Assemblée nationale ait adopté un amendement du Gouvernement qui réduit encore davantage les crédits de fonctionnement et d'investissement, de 1,9 million pour la police et de 8,6 millions pour la gendarmerie.
Ces évolutions sont loin d'être à la hauteur des difficultés que les forces de sécurité intérieure rencontrent actuellement. En voici trois exemples.
Le premier concerne la formation. En 2019, les crédits alloués à la formation baisseront de 15 % pour la police et seront en stagnation pour la gendarmerie. Alors même que le volume d'effectifs ne cesse d'augmenter, on peut légitimement s'interroger sur la capacité du ministère à former ses agents. Dans la police, le budget annuel moyen de formation par agent est passé de 170 euros en 2007 à moins de 130 euros en 2019, soit plus de 24 % de baisse.
Le deuxième concerne les équipements. Des améliorations significatives ont été réalisées au cours des dernières années sur les équipements de protection et l'armement, grâce à la mise en oeuvre de différents plans, le plan de lutte antiterroriste (PLAT), le plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) et le pacte de sécurité.
Les efforts conduits ont, en revanche, été insuffisants pour améliorer l'état des parcs automobiles de la police et de la gendarmerie. Sur les presque 20 000 véhicules légers de la police, plus de 8 000 sont maintenus en service alors qu'ils remplissent les critères pour être réformés. La gendarmerie mobile fonctionne encore avec des véhicules blindés à roues (VBRG) qui ont plus de 50 ans et sont totalement dépassés.
Enfin, le troisième exemple concerne le parc immobilier. M. Gérard Collomb avait promis une amélioration substantielle. Le projet de loi de finances est largement en deçà des besoins. Il alloue 150 millions d'euros à la police, alors que le coût de la mise à niveau du parc est évalué à plus d'1 milliard. Pour la gendarmerie, 105 millions d'euros sont prévus, alors que la rénovation et l'entretien du parc immobilier nécessiteraient 300 millions par an pendant plusieurs années.
Je souhaite évoquer rapidement la thématique à laquelle je me suis intéressé cette année : la police technique et scientifique. En améliorant l'administration de la preuve et la révélation de la vérité, elle joue un rôle décisif dans le processus judiciaire et améliore considérablement la lutte contre la délinquance et la criminalité. Nos laboratoires sont en pointe. J'ai visité, avec Brigitte Lherbier et Nathalie Delattre, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale à Pontoise, laboratoire particulièrement renommé en Europe, prisé par Scotland Yard et le FBI, qui s'y réfèrent. L'affaire Maëlys a été résolue uniquement grâce à son travail. Pourtant, l'investissement en faveur de la police technique et scientifique demeure encore très largement insuffisant au regard des besoins. Il n'est pas à la hauteur des défis technologiques qui se profilent. Des réformes organisationnelles sont en cours pour dégager des économies. Pour autant, celles-ci sont mises à profit par l'État pour réduire les budgets et non pour réinvestir dans des équipements et des technologies de pointe. Cet exemple illustre, une fois encore, le sous-investissement dont nos forces de sécurité intérieure pâtissent actuellement et qui pèse, sans aucun doute, sur leur efficacité.
Je rappelle que le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure propose, à cet égard, des solutions en adéquation avec les demandes des personnes qui ont été entendues.
Au vu de l'insuffisance manifeste des dotations de fonctionnement et d'investissement allouées à la police et gendarmerie nationales, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2019. Si la sécurité a un coût, elle n'a pas de prix.