Intervention de Alain Fouché

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 28 novembre 2018 à 9h30
Proposition de loi relative à l'obligation de déclaration d'un préavis de grève des contrôleurs aériens — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain FouchéAlain Fouché, rapporteur :

Nous examinons la proposition de loi de Joël Guerriau relative au droit de grève des contrôleurs aériens. Ce texte a un objectif simple : obliger les contrôleurs aériens, mais aussi les autres personnels des services de la navigation aérienne, à déclarer individuellement leur intention de participer à une grève au plus tard 48 heures avant son début, et à informer leur employeur s'ils renoncent à participer à cette grève ou s'ils souhaitent reprendre leur service 24 heures avant. Il s'agit de permettre aux services de la navigation aérienne d'être informés suffisamment à l'avance du nombre de personnels grévistes afin de pouvoir ajuster au mieux l'organisation du service, et donc de réduire les perturbations pour les passagers.

Une telle obligation de déclaration individuelle de participation à une grève existe actuellement dans le secteur des transports, pour les salariés des entreprises de transport terrestre, c'est-à-dire par exemple pour les salariés de la SNCF et la RATP, depuis la loi du 21 août 2007, et pour les salariés des entreprises de transport aérien depuis la loi du 19 mars 2012, dite loi Diard. La proposition de loi étend cette obligation de déclaration individuelle aux personnels de la navigation aérienne.

Ce texte part du constat que la France est, de loin, le pays en Europe qui connaît le plus grand nombre de grèves de contrôleurs aériens. Le rapport très complet de notre collègue Vincent Capo-Canellas, de juillet dernier, sur le contrôle aérien, a ainsi montré que, de 2004 à 2016, la France a enregistré 254 jours de grève des contrôleurs aériens, contre 46 pour la Grèce, 37 pour l'Italie, 10 pour le Portugal et seulement 4 pour l'Allemagne. Ainsi, 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe se sont produits en France.

Or, compte tenu de la densité du trafic dans l'espace aérien français, chaque jour de grève a des conséquences importantes en termes d'annulations de vol et de retards. Entre 2005 et 2016, les grèves du contrôle aérien français ont causé plus de 160 000 annulations de vols. Ces perturbations sont source de difficultés importantes pour les compagnies aériennes et leurs passagers, tant en terme de coût, que de désagréments pour les passagers et de dégradation de l'image du secteur aérien français. À titre d'exemple, Air France estime que les grèves du contrôle aérien sur les années 2015, 2016 et 2017 ont conduit à 3 300 annulations de vols et 346 000 minutes de retard pour la compagnie, ce qui a représenté un coût de 100 millions d'euros. Une journée de grève se traduit par ailleurs par une perte de recettes pour la direction générale de l'aviation civile (DGAC), estimée entre 3 à 4,5 millions d'euros.

Si, la plupart du temps, les compagnies aériennes sont en capacité d'informer leurs passagers des annulations de vol en amont, il arrive, du fait des difficultés à anticiper le nombre de grévistes et à organiser le service en conséquence, que certains vols soient annulés à chaud, alors que les passagers sont déjà présent dans l'aéroport, voire dans l'avion, ce qui est évidemment très difficile à vivre pour eux. C'est d'ailleurs la principale raison qui motive cette proposition de loi : réduire au maximum les situations difficiles, voire parfois dramatiques dans lesquelles les passagers se retrouvent du fait de l'annulation ou du retard de leur vol.

Observons toutefois que la grève n'est pas la seule cause de retard des avions. Outre les conditions météorologiques et les difficultés de gestion qui incombent aux compagnies aériennes, les principaux retards liés au contrôle aérien résultent du manque de personnels de contrôle - en vertu d'une politique qui a commencé sous M. Sarkozy et s'est prolongée depuis - dans un contexte de très forte croissance du trafic aérien, et de la vétusté des instruments de gestion de la navigation aérienne. Je vous renvoie là-dessus au rapport de Vincent Capo-Canellas, qui présente cela de manière détaillée, et dont il ressort nettement que la France est en retard.

La proposition de loi étend l'obligation de déclaration individuelle de participation à une grève à l'ensemble des personnels des services de la navigation aérienne, et pas seulement aux contrôleurs aériens. Le personnel qui participe à l'activité de contrôle de la navigation aérienne, qui dépendent de la Direction des services de la navigation aérienne (DSNA) - faisant elle-même partie de la DGAC - sont essentiellement constitués de trois corps techniques de fonctionnaires. Il y a, tout d'abord, 4 000 ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, plus communément appelés les contrôleurs aériens, dont 3 500 sont directement affectés aux fonctions d'exercice du contrôle de la circulation aérienne, dans des conditions difficiles vu le manque d'effectifs. Il y a, ensuite, 1 300 ingénieurs électroniciens des systèmes de la sécurité aérienne, qui sont notamment chargés d'assurer le développement et la maintenance des instruments de la navigation aérienne. Il y a, enfin, 1 000 techniciens supérieurs des études et d'exploitation de l'aviation civile, qui exercent le contrôle de la circulation aérienne sur certains aérodromes régionaux et assurent diverses missions d'exploitation, de mise en oeuvre des moyens informatiques, d'enseignement et d'encadrement.

En tant que fonctionnaires appartenant à la fonction publique d'État, ces agents ne peuvent participer à une grève que s'ils sont couverts par un préavis émanant d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives transmis à l'autorité hiérarchique cinq jours francs avant le déclenchement de la grève. Ce délai de préavis est systématiquement respecté par les organisations syndicales. S'il ne l'était pas, l'administration pourrait prendre des sanctions disciplinaires à l'encontre des agents grévistes.

Par ailleurs, les agents de la DSNA sont soumis, depuis la loi du 31 décembre 1984, à une obligation de service minimum en cas de grève. Cela signifie concrètement que certains services essentiels doivent être effectués pendant les grèves, comme les services nécessaires à la continuité de l'action gouvernementale, à l'exécution des missions de la défense nationale et des missions de sauvetage des personnes et des biens, ou encore au maintien de liaisons destinées à éviter l'isolement de la Corse et des territoires d'outre-mer.

Surtout, les dispositifs relatifs au service minimum imposent que la capacité offerte pour les survols dans les espaces aériens gérés par la France soit égale à la moitié de celle qui serait normalement offerte au cours de la période concernée. Par ailleurs, il impose que certains aéroports soient ouverts, pour assurer un certain nombre d'arrivées et de départ de vols négocié au cas par cas. Afin d'assurer cette continuité du service, l'administration procède à la réquisition d'un certain nombre de personnels, qui sont tenus de demeurer en fonction pendant la grève. Ces astreintes tournent entre les personnels en fonction des plannings. Par ailleurs, certains agents qui sont affectés à des postes stratégiques sont astreints d'office, et sont donc privés du droit de grève. Il s'agit par exemple des chefs des centres en route de la navigation aérienne ou des chefs de service de la navigation aérienne.

La France n'est pas le seul pays à avoir mis en place un service minimum en matière de contrôle aérien, puisque c'est le cas également d'autres pays comme l'Espagne, le Portugal, l'Italie ou la Croatie. Le droit de grève des contrôleurs aériens est déjà relativement encadré, puisque les agents grévistes sont soumis à des obligations de service minimum. Ce qu'il manque, c'est, comme à la SNCF, l'obligation pour les agents de déclarer individuellement s'ils participent ou non à une grève. Cette absence d'obligation de déclaration fait que l'administration ne connaît pas à l'avance le nombre de grévistes, et qu'elle doit donc, par précaution, mettre en place un service minimum et demander aux compagnies de supprimer un certain nombre de vols, alors même que cela peut ne pas être nécessaire.

En effet, il arrive parfois que la grève soit peu suivie, et que le nombre de vols annulés soit trop important par rapport aux capacités de contrôle. À l'inverse, lorsqu'une grève est davantage suivie que ce qui était envisagé, cela se traduit par des retards voire des annulations de vols à chaud, car les capacités de contrôle sont saturées. Ce manque de prévisibilité est dommageable puisqu'il ne permet pas d'organiser le service au mieux et de limiter au maximum les perturbations pour les passagers.

Cette situation est particulièrement problématique s'agissant des grèves dites fonction publique. En effet, en tant que fonctionnaires d'État, les personnels de la navigation aérienne sont couverts par les préavis de grève nationaux émis par les organisations syndicales de fonctionnaires. Même si ces grèves nationales sont, au contraire des grèves corporatistes, peu suivies par les fonctionnaires de la DGAC, elles se traduisent par la mise en place de restrictions préventives du trafic aérien, ce qui conduit à des annulations de vols.

Ainsi, en 2017, la DGAC a été affectée par 14 grèves fonction publique et 30 grèves locales et, au premier semestre 2018, par trois mouvements fonction publique et dix mouvements locaux. Ces grèves de solidarité avec le reste de la fonction publique posent des problèmes majeurs pour l'organisation du service de contrôle aérien. Il est donc important, comme le prévoit cette proposition de loi, d'obliger les personnels de la navigation aérienne à informer leur hiérarchie de leur intention de participer ou non à une grève.

Cette obligation de déclaration constitue le maillon manquant du cadre actuel, qui permettra au service minimum de mieux fonctionner, d'être mieux dimensionné et donc de limiter les désagréments pour les passagers - et les coûts exorbitants pour les compagnies.

L'objectif de cette proposition de loi n'est bien évidemment pas de remettre en cause le droit de grève du personnel de la navigation aérienne. Il pourra continuer à faire grève mais devra simplement le déclarer au préalable. Il s'agit plutôt de concilier le droit de grève avec l'exigence de continuité du service public, qui a elle aussi valeur constitutionnelle.

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