Intervention de Louis-Jean de Nicolay

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 28 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « cohésion des territoires » - examen du rapport pour avis

Photo de Louis-Jean de NicolayLouis-Jean de Nicolay, rapporteur pour avis :

Ce rapport pour avis comprend les crédits des programmes 162 et 112 de la mission « Cohésion des territoires » et du compte d'affectation spéciale (CAS) dédié au financement des aides à l'électrification rurale (FACÉ).

Le projet de budget pour 2019 ne tient pas compte de la création prochaine de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, prévue par la proposition de loi portant création de cette agence, adoptée par le Sénat, sur mon rapport, le 8 novembre dernier.

Les crédits qui font l'objet de mon rapport pour avis représentent une partie des 8 milliards d'euros consacrés à l'aménagement du territoire, répartis dans 29 programmes et 12 missions différentes.

Les financements alloués au programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » sont presque stables : les autorisations d'engagement demandées pour 2019 s'élèvent à 202 millions d'euros, en hausse de 4 % par rapport à 2018. Les crédits de paiement demandés s'établissent à 243 millions d'euros, en baisse de 4 % par rapport à 2018.

Ces crédits sont mobilisés principalement dans le cadre du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), outil transversal de la politique d'aménagement du territoire, et dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER). Les CPER, qui représentent 62 % des autorisations d'engagement du programme 112 et 47 % de ses crédits de paiement, financent notamment la redynamisation des territoires touchés par la fermeture de sites militaires, la revitalisation des centres-villes ainsi que le soutien aux maisons de services au public (MSAP).

Les autorisations d'engagement du programme 162 « Interventions territoriales de l'État » sont en hausse de 5,3 % par rapport à 2018, à 35,7 millions d'euros et les crédits de paiement demandés s'élèvent à 25,8 millions d'euros, soit une baisse de 5,5 % par rapport à 2018.

Ces crédits sont mobilisés en complémentarité avec d'autres instruments financiers de l'État, tels que la dotation de soutien à l'investissement public local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), financées par le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements ».

Pour rappel, les contrats de ruralité sont désormais financés par le programme 119 au sein de l'enveloppe consacrée à la DSIL. Il n'y a donc plus de fléchage clair vers ce dispositif, comme c'était le cas auparavant au sein du programme 112. Par conséquent, le programme 112 ne comporte plus que des crédits de paiement pour les contrats de ruralité engagés avant ce transfert.

Enfin, le CAS FACÉ est doté de 360 millions comme en 2018. Depuis plusieurs années, le Sénat recommande d'en faire évoluer le dimensionnement et la gestion pour l'adapter aux enjeux de la transition énergétique ; il serait opportun que le Gouvernement se mobilise sur ce sujet car les communes rurales ont besoin de soutien en matière environnementale.

Les crédits des programmes 112 et 162 appellent quatre remarques. D'abord, depuis 2017, les autorisations d'engagement demandées au titre du programme 112 sont en baisse globale de 50 %. Ensuite, j'avais déjà attiré l'attention de notre commission sur l'érosion continue de la prime d'aménagement du territoire (PAT), elle aussi financée par le même programme 112, qui, malgré sa modeste envergure - près de 20 millions d'euros - exerce un effet de levier financier très important pour soutenir le développement des territoires : à chaque tranche de 100 000 euros de PAT engagée correspondent 26 emplois maintenus ou créés dans les territoires. C'est pourquoi je regrette que les montants alloués à la PAT aient été divisés par quatre depuis 2013, avec des autorisations d'engagement en forte réduction, à 10 millions d'euros, pour 2019 alors que les besoins de financement sont restés stables. Sur ce point, je salue le travail du rapporteur spécial Bernard Delcros, qui devrait proposer une augmentation du montant alloué à la PAT.

La troisième remarque porte sur le programme 162, qui constitue une enveloppe à la main des préfets, pour conduire des programmes territorialisés. Le plan exceptionnel de soutien à l'investissement en Corse, qui correspond à l'action n° 4, représente désormais plus de 70 % des crédits de ce programme.

La fin de l'action de l'État portée par le programme 162 dans le Marais poitevin est prévue pour 2019 ; elle se poursuivra après cette date dans le cadre des crédits de droit commun, c'est-à-dire la DETR et la DSIL. Nous pouvons nous féliciter du bon état restauré des prairies et des écosystèmes du Marais, zone humide d'intérêt international puisque située sur la route des migrations de nombreux oiseaux entre l'Arctique et l'Afrique tropicale.

Le plan Littoral 21, qui vise à redynamiser le littoral occitan en modernisant ses infrastructures, monte en puissance : les crédits consacrés à cette action augmentent de 300 % et s'établissent à près de 4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 2,5 millions d'euros en crédits de paiement. Ils serviront à financer un ensemble de projets détaillés dans mon rapport.

Enfin, le programme 162 contient les crédits du plan Chlordécone. Cet insecticide, utilisé depuis les années soixante-dix, principalement dans la production bananière en Martinique et en Guadeloupe, a eu de graves conséquences en matière de santé publique et de pollution des sols. Les mots courageux prononcés par le Président de la République aux Antilles en septembre dernier l'honorent, mais l'obligent aussi. Alors que l'on constate une corrélation forte entre la présence de chlordécone dans le corps humain, la survenue de naissances prématurées et de retards de développement cérébral, le Président de la République, disposé à « regarder les choses en face » sur ce désastre, a annoncé que 3 millions d'euros seraient mobilisés pour le plan Chlordécone sur deux ans. Pourtant, seuls 2 millions d'euros sont inscrits dans le projet de budget pour 2019 au titre du programme 162 ; je m'étonne de ce décalage.

Au-delà des questions de santé publique et d'environnement, l'enjeu consiste aussi à tendre vers la souveraineté alimentaire des Antilles françaises.

Pour votre parfaite information, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) devraient rendre un rapport sur la question des maladies professionnelles liées au chlordécone avant mars 2019.

Les contours budgétaires et financiers de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) demeurent flous, et l'on ne sait pas dans quelle mesure les programmes 112 et 147 l'alimenteront, le programme 147 concernant la politique de la ville. Si ce dernier est mis à contribution, le risque de voir la vocation urbaine de l'agence l'emporter sur sa vocation rurale est réel. J'y serai attentif au cours de mes échanges avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, Mme Yolaine de Courson.

Enfin, le contrat de cohésion territoriale évoqué par le rapport de préfiguration du préfet Serge Morvan devrait contribuer à la rationalisation, que j'appelle de mes voeux, des quelque 1 235 instruments de contractualisation existant actuellement entre l'État et les collectivités territoriales. Il serait donc opportun que le financement de ces contrats, qui pourraient avoir vocation à intégrer les contrats de ruralité, revienne dans le champ du programme 112.

Dans ce contexte de forte incertitude, l'évolution des fonds alloués à ces programmes ne répond pas à la nécessité de replacer l'aménagement du territoire au coeur des politiques publiques. L'ambition affichée par le Gouvernement de renouer avec les territoires, à dix-huit mois des élections municipales, ne se traduit pas par des moyens à la hauteur. Je vous propose par conséquent d'émettre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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