Les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES), qui financent les organismes de recherche de notre pays ainsi que divers dispositifs de soutien à l'innovation, représentent le quatrième budget de l'État, après l'éducation nationale, la défense et le remboursement de la dette. Ils représentent 28 milliards d'euros dont plus de la moitié est affectée à la recherche.
L'analyse budgétaire des crédits de la recherche sera surtout l'occasion de souligner certains faits saillants. Autant le dire tout de suite : l'orientation générale est plutôt favorable, car le présent budget propose une nouvelle hausse des crédits affectés à la recherche, qui atteignent 15 milliards d'euros et augmentent de 263 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 332 millions d'euros en crédits de paiement (CP).
Comme les années précédentes, cette hausse se concentre uniquement sur les crédits relevant du ministère de la Recherche et de l'Innovation, qui constituent 84 % des crédits « Recherche » de la MIRES.
Il s'agit en premier lieu de financer la politique spatiale européenne, notamment en rattrapant nos retards de paiement envers l'Agence spatiale européenne (ASE). Notre contribution à l'ASE connaît cette année une augmentation de 210 millions d'euros. La moitié de notre contribution sert à financer les programmes en matière de lanceurs. On sait que la France contribue à près de la moitié du budget du programme Ariane 6. J'avais présenté l'année dernière le contexte concurrentiel préoccupant auquel notre nouveau lanceur lourd allait être confronté, et ce qu'il implique en termes de réduction des coûts et d'innovation. C'est notamment le débat sur SpaceX et le lanceur réutilisable - qui fonctionne ! Contrairement à ce que nous avions pu croire.
Il me semble que les États membres de l'Agence spatiale européenne doivent dorénavant s'unir en vue de respecter leur engagement de 2014, à savoir garantir un volant minimum de commandes d'Ariane 6 en contrepartie du fait que l'industrie assume la totalité des risques d'exploitation du lanceur. Cette question de la « préférence européenne » semble toujours patiner, bien qu'il y ait eu une légère avancée sur ce point le 25 octobre dernier. La préférence européenne apparaît comme le seul moyen de rétablir une concurrence relativement équitable entre le lanceur européen et les lanceurs concurrents, qui bénéficient d'engagements pluriannuels très importants et qui leur permettent d'investir et d'innover. Notre autonomie d'accès à l'espace en dépend. Nos emplois également d'ailleurs, alors qu'ArianeGroup a annoncé une baisse drastique de ses effectifs d'ici à 2022.
Il apparaît enfin nécessaire d'accompagner les industriels français et italiens vers une articulation efficace des solutions de lancement proposées à l'avenir, la question de savoir si l'Europe est en capacité de mettre en concurrence ses deux familles de lanceurs au regard de l'étroitesse de son marché institutionnel méritant d'être posée.
La deuxième hausse notable est celle du budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR). 32,7 millions d'euros supplémentaires viendront financer les projets des chercheurs. Cette mesure vise à rétablir un taux de sélection suffisant pour ne pas décourager les candidatures aux appels à projets. Cela va dans le bon sens.
Néanmoins, même si la hausse du budget d'intervention de l'ANR doit se poursuivre à ce rythme jusqu'à la fin du quinquennat, cela ne suffira pas à atteindre un taux de sélection conforme aux standards internationaux et susceptible d'encourager les chercheurs à candidater, qu'on peut estimer à 20 %.
Toujours sur les crédits dépendant du ministère de la recherche, d'autres évolutions méritent d'être soulignées. Comme l'année dernière, le budget comprend près de 32 millions d'euros en vue de financer des mesures salariales décidées par le précédent Gouvernement et grevant le budget des organismes de recherche. Cela ne doit pas cacher le fait que, en prenant en compte l'ensemble des subventions pour charges de service public des organismes, ceux-ci voient leurs moyens stagner. Néanmoins, les laboratoires de recherche recevront à nouveau cette année 25 millions d'euros supplémentaires en gestion à travers un moindre taux de mise en réserve.
Comme l'année dernière également, la budgétisation des moyens affectés aux infrastructures internationales de recherche apparaît sincère, ce qui se traduit par une hausse de l'ordre de 20 millions d'euros.
Enfin, 6 millions d'euros supplémentaires sont dégagés pour le financement de conventions CIFRE, qui facilitent l'emploi des chercheurs en entreprise. Il est notamment prévu de financer 50 conventions supplémentaires. Je rappelle que chaque convention donne lieu à une subvention annuelle de 14 000 euros par poste.
Les choix budgétaires effectués sont plus contestables s'agissant des crédits de recherche des autres ministères, qui stagnent ou diminuent. J'insisterai particulièrement sur les dispositifs de soutien à l'innovation figurant au programme 192.
Le Gouvernement a fait de l'innovation l'une de ses priorités. Suite à un rapport sur les aides à l'innovation, un conseil de l'innovation a été mis en place au niveau ministériel. Son rôle est notamment d'arrêter chaque année les « grands défis » qui devront être financés à hauteur de 150 millions d'euros par an par le Fonds pour l'innovation et l'industrie, dont nous attendons toujours les premières réalisations.
Pourtant, certaines mesures du projet de budget semblent contredire l'orientation du Gouvernement en faveur de l'innovation.
Il en va notamment ainsi des aides à l'innovation financées par Bpifrance, dont le budget est réduit de près de 20 millions d'euros, pour atteindre 120 millions d'euros. Sachant que l'effet de levier de ces financements se situe entre 2,7 et 4,5, ce seront entre 54 millions d'euros et 90 millions d'euros d'aides en moins aux entreprises innovantes. Certes, d'une part, cette baisse pourrait être en partie compensée par les aides mises en oeuvre dans le cadre du plan « Deep tech » de Bpifrance, d'autre part, elle sert à financer la montée en puissance du dispositif d'exonérations sociales « jeunes entreprises innovantes », mais il me semble que l'on atteint ici un plancher qu'il ne faudrait pas dépasser.
La priorité à l'innovation portée par le Gouvernement peut aussi être nuancée par la suppression du fonds unique interministériel (FUI), qui avait vocation à financer les projets de recherche des pôles de compétitivité.
Le Gouvernement considère que cette suppression constitue une simplification puisque, dorénavant, seuls les crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) financeront les projets de recherche des pôles, à hauteur de 50 millions d'euros.
Il n'en reste pas moins que cela semble acter une forme de désengagement de l'État : en 2016, l'addition des crédits reçus par les pôles au titre du FUI et du PIA représentait 166 millions d'euros. Dorénavant, ils seront stabilisés à 50 millions d'euros. De plus, le fait de fondre le financement des projets des pôles au sein du PIA nuira à leur lisibilité. Si la phase IV des pôles marquera une plus grande conditionnalité des aides, espérons que cela ne se traduise pas par un assèchement total. Nous y veillerons. Enfin, j'ai signalé à la direction du budget qu'il semble manquer 25 millions d'euros de crédits de paiements pour financer les engagements antérieurs.
Troisième point conduisant à relativiser le soutien du Gouvernement à l'innovation : la fiscalité. L'article 14 du projet de loi de finances remet en cause l'un des outils de notre attractivité fiscale en matière d'innovation. Il s'agit du taux réduit sur les revenus provenant des cessions et concessions de brevets. Cette réforme est nécessaire afin de mettre la France en conformité avec les standards internationaux déterminés par l'OCDE. Il n'est pas question ici d'en contester le principe. Néanmoins, ses modalités de mise en oeuvre apparaissent discutables.
Tout d'abord, s'agissant de l'assiette de l'avantage fiscal. Il semble que l'OCDE se soit fondée juridiquement sur une note de bas de page de l'un de ses rapports pour imposer un mécanisme discutable aboutissant à réduire fortement cette assiette. Néanmoins, ce mécanisme ayant été imposé à l'ensemble des régimes étrangers examinés, il semble que la France, si elle veut jouer le jeu du multilatéralisme, n'ait pas d'autre choix que de rentrer dans le rang.
S'il est donc difficile de jouer sur l'assiette, il nous est en revanche loisible de jouer sur le taux. Le Gouvernement proposait 15 %. L'Assemblée nationale l'a abaissé à 10 %. Le Sénat devrait examiner aujourd'hui en séance la proposition de la commission des finances de diminuer à nouveau ce taux, pour atteindre 7 %. Je me réjouis de cette initiative qui vise à réduire l'impact négatif de cette réforme.
Enfin, je terminerai ces observations générales par une remarque : je me félicite que le Gouvernement ait choisi de faire de la simplification l'un des axes de sa politique d'innovation, comme je l'y invitais l'année dernière dans mon avis. Le nombre de dispositifs d'aide directe à l'innovation a en effet doublé en quinze ans. Les programmes d'investissements d'avenir successifs ont abouti à la création de nombreuses structures nouvelles. La complexité et l'illisibilité de ces dispositifs sont frappantes. Afin que cet exercice de simplification soit vertueux, il conviendra de le conduire progressivement et d'évaluer rigoureusement chaque dispositif.
En somme, malgré quelques points de vigilance, dans la mesure où ce projet de budget marque un nouvel effort du Gouvernement en faveur de la recherche, je proposerai à notre commission d'émettre un avis favorable sur les crédits de cette mission.
J'en viens à présent à la partie thématique de mon rapport pour avis, qui porte sur la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (IA). J'ai souhaité m'intéresser à ce sujet car je suis convaincu que ceux qui maîtriseront l'intelligence artificielle domineront, demain, l'économie mondiale. Je donnerai d'abord quelques éléments de contexte avant de vous faire part de quelques éléments sur la stratégie nationale.
Les perspectives économiques du marché de l'IA sont impressionnantes : sa valeur serait entre 37 milliards de dollars et 90 milliards de dollars en 2025 selon les estimations, et l'IA pourrait doubler les taux de croissance économique annuelle d'ici à 2035.
Quelle est la situation de la France et de l'Europe en matière d'IA ? Comme vous le savez, nous accusons un retard notable face aux deux mastodontes que sont les États-Unis et la Chine. Selon les informations transmises par le Gouvernement, l'effort public sur l'IA serait cette année de l'ordre de 4 milliards d'euros aux États-Unis et de 3,5 milliards d'euros en Chine, mais c'est surtout aux géants américains et chinois du numérique, qui réalisent plusieurs milliards de dollars de bénéfices annuels, que ces deux puissances doivent leur avance.
Si les États-Unis font actuellement la course en tête, avec 66 % des investissements privés mondiaux, la Chine entend rapidement les rattraper : les Chinois déposent plus de brevets que les Américains dans le domaine de l'IA. Surtout, la Chine ambitionne d'être le premier pays du monde dans ce domaine d'ici à 2030 et a adopté un plan d'action ambitieux dès l'année dernière.
L'Europe n'est certes pas en reste : le cumul des investissements publics et privés dans l'IA au sein de l'Union européenne est estimé à 4 à 5 milliards d'euros par la Commission européenne. Mais selon le cabinet McKinsey, l'Europe est particulièrement en retard en matière d'investissement privé dans l'IA : il serait trois fois plus élevé en Asie et six fois plus élevé aux États-Unis.
La Commission européenne a pris conscience du sujet. C'est pourquoi elle a présenté une communication le 25 avril dernier et un plan coordonné avec les États membres devrait être présenté dans les semaines qui viennent.
Qu'en est-il de la France ? Notre pays dispose de nombreux talents, comme le montre le fait que de plus en plus de grandes entreprises du numérique implantent leurs laboratoires de recherche en IA en région parisienne, comme Google, Facebook ou Microsoft. Notre pays serait premier en nombre de laboratoires actifs dans le domaine de l'IA en Europe, selon le cabinet Roland Berger. Nous disposerions selon la même source du même nombre de start-ups spécialisées dans ce domaine que l'Allemagne, loin derrière le Royaume-Uni cependant.
Il nous faut néanmoins passer à la vitesse supérieure si nous souhaitons rester dans la course. C'est l'objet de la stratégie annoncée par le Président de la République le 29 mars dernier.
Que peut-on en dire ? Tout d'abord, elle a le mérite d'exister, même si sa gestation fut probablement trop longue. Or, on connaît le prix du temps dans le domaine des nouvelles technologies.
Elle tient en quatre axes : conforter notre écosystème de recherche, engager une politique d'ouverture des données, adapter le cadre réglementaire - notamment pour favoriser l'essor de la voiture autonome, et définir les enjeux éthiques de l'IA.
Quelle est l'ampleur des moyens ? Le Président de la République a annoncé un investissement public de 1,5 milliard d'euros dans l'IA d'ici à 2022, soit environ 300 millions d'euros par an. Ce milliard et demi devrait générer 500 millions d'euros supplémentaires en provenance du secteur privé.
Ce chiffre semble impressionnant, mais on peut le relativiser pour trois raisons. Au regard des montants investis par la Chine et les États-Unis d'abord, qui investissent plus de dix fois plus par an alors que leurs économies ne représentent que respectivement sept et cinq fois l'économie française. Au regard de la cible d'investissements au niveau européen fixé par la Commission européenne, ensuite : à compter de 2020, secteur public et secteur privé devraient investir 20 milliards d'euros par an. Enfin, et surtout, il convient de relativiser ce chiffre de 1,5 milliard d'euros car seulement 9 % proviendront de crédits nouveaux, le reste provenant de réaffectations budgétaires et de dispositifs particuliers, tels que le programme d'investissements d'avenir ou le fonds pour l'innovation et l'industrie.
La mise en oeuvre du plan, est toujours en cours de structuration. Un coordinateur interministériel a été nommé plus de six mois après l'annonce de la stratégie. À nouveau, cela apparaît tardif, mais tous les plans sectoriels ne bénéficient pas toujours d'une telle coordination.
La stratégie se traduit dans le présent projet de loi de finances. Au sein de la MIRES, 17 millions d'euros sont affectés à son financement par le ministère de la recherche. Le Gouvernement estime à 302 millions d'euros les montants engagés sur ce plan en 2019. Néanmoins, il n'a pas été en mesure de nous fournir sa ventilation précise, ce qui tend à montrer que tout n'est pas encore prêt !
Il convient cependant de souligner que de nombreuses actions ont déjà été lancées en 2018, aussi bien en matière de recherche qu'en matière d'ouverture des données et de transformation de l'action publique.
En somme, si l'année 2018 a été consacrée à la mise en marche de l'écosystème public, l'année 2019 sera celle du déploiement de la stratégie au-delà de la sphère publique. Par exemple, le ministère de l'économie réfléchit, avec les filières, à la mise en place d'une stratégie économique de l'IA.Il ne faut plus perdre de temps. Nous avons été en retard sur la numérisation de nos entreprises. Nous ne devons pas prendre de retard sur l'IA. Il convient de ne pas sous-estimer le volet international et européen : pour renforcer sa force de frappe, la France doit s'appuyer sur des coopérations au niveau bilatéral, notamment avec l'Allemagne, le Japon, le Canada ou encore Israël. La définition d'un plan au niveau européen est également l'occasion d'améliorer l'impact de notre plan, à condition d'en saisir l'opportunité. Enfin, il conviendrait d'améliorer la consolidation de l'information relative à ce plan dans le cadre du prochain projet de loi de finances, tant les crédits sont aujourd'hui difficilement lisibles et éclatés.