Outre l'examen du compte d'affectation spécial (CAS) « Participations financières de l'État » pour 2019, cet avis est chaque année l'occasion d'analyser la situation de l'État actionnaire, très imparfaitement restituée par le document budgétaire.
Comme les années passées, le CAS fait l'objet d'une présentation conventionnelle de ses recettes et dépenses. Néanmoins, pour 2019, la présentation des recettes tient compte des opérations de cession, annoncées par le Gouvernement en mai 2018 et conditionnées à l'adoption du projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), à savoir les cessions de titres d'Aéroports de Paris (ADP) et de la Française des jeux. Le montant total des recettes est par conséquent fixé à 10 milliards d'euros, au lieu des 5 milliards par an depuis 2015.
Il n'y a pas lieu par principe de s'opposer à des cessions de participations ; celles-ci ne doivent pas être gérées de manière monolithique et peuvent faire l'objet de réallocations... à condition que celles-ci visent à favoriser la puissance économique française, alors que notre pays est confronté aux tentations hégémoniques de groupes étrangers situés hors de l'Union européenne, à forts capitaux publics ou aidés par la puissance publique.
Les cessions globales ou partielles par l'État doivent se faire avec des garanties suffisantes. Les conditions de cession des autoroutes en 2006 ou de l'aéroport de Toulouse-Blagnac en 2015 ne doivent pas être rééditées. À Toulouse, 60 millions d'euros de fonds propres ont été distribués à la demande des actionnaires chinois qui détiennent 40 % du capital, et la remobilisation de terrains affectés à Airbus avait été oubliée dans la négociation - ce qui illustre la perspicacité de Bercy... Ils ne sont pas sur le terrain pour apprécier le résultat des décisions qu'ils prennent !
Quant à l'utilisation du produit des cessions, le compte affiche 8 milliards d'euros au titre du programme 731, en vue d'abonder le Fonds pour l'innovation et l'industrie, et 2 milliards d'euros sur le programme 732, au titre du désendettement.
Cette année comme les années précédentes, le compte ne donne qu'une image imparfaite de l'activité de l'État actionnaire. En premier lieu, son champ est plus étendu que le seul portefeuille de participations gérées par l'Agence des participations de l'État (APE). Figurent ainsi au CAS des opérations en fonds propres menées par l'État hors du périmètre de l'APE, par le biais de versements depuis le budget général : 360 millions d'euros en 2019. En second lieu, le compte ne reflète pas la valeur patrimoniale des participations de l'État, et ne retrace pas le montant des dividendes perçus par l'État.
Venons-en à l'évaluation du portefeuille lui-même. Au 30 juin 2018, la valeur des 12 sociétés cotées dans le périmètre de l'Agence s'élevait à 77,5 milliards d'euros, soit une appréciation de 16,8 % en un an, en raison de la très bonne performance des sociétés Airbus, Safran et Thales, les premières capitalisations du portefeuille.
Au total, en prenant en compte les entités non cotées dans le périmètre d'intervention de l'APE, la valorisation des 81 entreprises concernées s'établit à environ 110 milliards d'euros. Mais quand on sait que le résultat est réalisé à 72 % par cinq entreprises - EDF, Engie, Orange, Renault et ADP - on mesure la fragilité qui résulterait d'une vente de ces actifs. Or c'est justement ADP qui va être cédé.
Le périmètre des participations n'a connu que des évolutions marginales, si l'on excepte l'apport au Fonds pour l'innovation et l'industrie d'une partie du capital de Thales et d'EDF en janvier 2018.
Les dividendes versés à l'État actionnaire, en revanche, devraient baisser en 2018, à 2,5 milliards d'euros, poursuivant l'évolution constatée depuis 2012. Depuis 2008, le montant du dividende versé à l'État a baissé de plus de 55 %, principalement en raison de la baisse du dividende versé par EDF et Engie.
L'allocation du produit des cessions envisagées en 2019 suscite des interrogations. Le Gouvernement a institué un Fonds pour l'innovation et l'industrie, constitué au sein de l'EPIC Bpifrance, en janvier 2018. Il a été doté de 10 milliards d'euros : 1,6 milliard d'euros en numéraire, issu des cessions d'actifs effectuées au second semestre de l'année 2017 par les entreprises Engie et Renault ; et 8,4 milliards d'euros en titres des sociétés EDF et Thales, respectivement 13,30 % et 25,76 % de leur capital.
Ces actifs constituent une dotation n'ayant pas vocation à être consommée ; ils devraient engendrer un rendement annuel de 200 à 300 millions d'euros - objectif qui devrait être réalisé dès 2018 compte tenu des versements de dividendes de Thales et EDF à l'EPIC Bpifrance. Le Gouvernement souhaite en effet, à mesure des cessions de participations dans d'autres sociétés, attribuer à Bpifrance de nouvelles dotations en numéraire, les titres EDF et Thales faisant en contrepartie l'objet de reprises par l'État. Les cessions projetées en 2019 d'Aéroports de Paris et de la Française des jeux ont précisément ce but.
Le Gouvernement a également décidé que les revenus du fonds seraient répartis en deux enveloppes. La première se monte à 70 millions d'euros. Destinée à soutenir les start up à forte intensité technologique, relevant de la « deep tech », dont Bpifrance sera l'opérateur, elle se décompose en deux actions : 15 millions d'euros pour soutenir l'émergence des start up ; 55 millions pour financer des aides individuelles aux dépenses de prototypage, jusqu'à l'industrialisation. La seconde enveloppe, d'environ 140 millions d'euros, financera les « grands défis thématiques ». C'est le tout nouveau Conseil de l'innovation, installé en juillet 2018, qui sélectionnera ces thématiques : il a retenu deux axes en lien avec l'intelligence artificielle. En outre, 25 millions d'euros seront consacrées au plan « Nano 2022 » de soutien à la microélectronique.
Je ne peux que réitérer les critiques émises dès l'an dernier. En 2019, près de trois quarts du produit des cessions sera affecté au Fonds pour l'innovation et l'industrie. On peine toujours à comprendre l'intérêt financier de céder des titres dont le rendement est de 3,5 % l'an pour les placer à moins de 3 %. Comme chef d'entreprise, on peut s'interroger sur cette gestion financière : pourquoi ne pas plutôt recourir à un emprunt à 1,5 % ? Je ne comprends pas le calcul de l'État : il serait utile que ceux qui ont pris la décision s'en expliquent. Je persiste à penser qu'il serait plus judicieux financièrement, et plus simple en pratique, d'affecter directement une partie des dividendes dégagés par le portefeuille de l'État au financement de l'innovation. Ce n'est pas un discours politique, mais un raisonnement économique...