L'Assemblée nationale a adopté hier soir en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. En première lecture, le Sénat l'avait abordé de manière constructive, adoptant 49 articles sans modification, soit plus de la moitié du texte transmis par les députés, et 30 articles avec modification, supprimant 8 articles et insérant 25 articles additionnels.
Néanmoins, l'existence de divergences de fond, en particulier sur la trajectoire financière de la sécurité sociale ou, de manière plus immédiate, la forte sous-revalorisation de nombreuses prestations, dont les retraites et les allocations familiales, ont conduit à l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), réunie au Sénat le 20 novembre.
J'en viens au vote des députés en nouvelle lecture ; un tableau indiquant le sort de chacun des amendements que le Sénat avait adoptés en première lecture figure dans le rapport écrit. Commençons par un constat tout à fait regrettable. L'amendement du Gouvernement à l'article 22 tendant à tirer les conséquences de la navette sur les comptes sociaux fait apparaître un déficit du solde consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 200 millions d'euros en 2019, au lieu de l'excédent de 400 millions d'euros affiché au dépôt du texte. Certes, en s'en tenant au régime général et au FSV, il y a un excédent infime de 100 millions d'euros. Mais, arithmétiquement, le budget de la sécurité sociale n'est pas à l'équilibre.
Deux mesures adoptées sur l'initiative du Gouvernement expliquent principalement cette dégradation : d'une part, la non-soumission à la CSG et à la CRDS des revenus du capital des personnes non inscrites à la sécurité sociale française et relevant d'un régime obligatoire de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de Suisse ; d'autre part, en nouvelle lecture, l'augmentation de la part de CSG affectée à l'Unedic, en compensation de la suppression des contributions chômage des salariés, du fait d'un mauvais calibrage de cette part au moment du dépôt du texte. Cette mesure illustre aussi la confusion croissante des ressources des administrations de sécurité sociale au sens large. La volonté de faire financer par la sécurité sociale une mesure décidée par l'État et à laquelle elle est totalement étrangère augure mal de la « rénovation » des relations financières entre l'État et la sécurité sociale.
Comme Olivier Véran l'avait laissé entendre en CMP, l'Assemblée nationale a repris certains des amendements que nous avions adoptés en première lecture. Au-delà des amendements rédactionnels, de précision ou de coordination, cela concerne quelques dispositions de fond : la suppression de la définition législative du régime social de divers avantages accordés par les employeurs ou les comités sociaux d'entreprise aux salariés, comme les chèques-vacances ; l'alignement sur six ans de la fiscalité sur les alcools forts dans les outre-mer sur celle en vigueur dans l'hexagone ; la priorité donnée aux transferts de déficits cumulés de l'assurance maladie et du FSV en direction de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), afin que ces transferts bénéficient avant tout aux branches et organismes les plus endettés ; dans le secteur médico-social, la possibilité accordée au médecin coordonnateur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de prescrire en dehors des cas d'urgence et la possibilité de mettre fin à titre expérimental au cofinancement de certaines structures dans le champ du handicap.
Sur d'autres sujets, l'Assemblée nationale n'a pas rejoint la position du Sénat, mais a néanmoins fait un pas vers nos propositions. Je pense en particulier au dispositif Lodeom, sur lequel l'Assemblée nationale a sensiblement fait évoluer sa position, en maintenant les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dans le régime actuel d'exonération, en adoptant des dispositions spécifiques relatives à la Guyane et en élargissant les fourchettes de rémunérations éligibles aux allégements spécifiques. En revanche, les élargissements sectoriels votés par le Sénat n'ont pas été retenus par les députés. Je pense aussi au dispositif TO-DE, relatif aux travailleurs occasionnels du secteur agricole, sur lequel l'Assemblée nationale a adopté contre l'avis de sa commission des affaires sociales et du Gouvernement un amendement améliorant sensiblement le mécanisme de sortie progressive issu de la première lecture. Ainsi, l'exonération totale de cotisations et contributions sociales concernera les rémunérations inférieures à 1,20 SMIC en 2019 et en 2020. Mais le dispositif doit toujours s'éteindre fin 2020. La question se reposera immanquablement dans les prochains PLFSS, car les problèmes liés au travail saisonnier resteront.
La navette parlementaire a donc été utile, voire fructueuse sur quelques mesures concrètes. Cependant, sur de nombreuses autres questions, les députés ont confirmé leur position de première lecture, en particulier sur les points ayant abouti à l'échec de la CMP.
L'Assemblée nationale a rétabli le quasi-gel, à plus 0,3 % pendant deux ans, des prestations sociales. Elle n'a pas non plus suivi le Sénat sur la mesure d'atténuation de l'effet de seuil de la CSG pour les retraités qui passeraient du taux nul au taux de 3,8 %. Les députés ont avalisé les conséquences financières des coupes croissantes de TVA à destination de la sécurité sociale programmées par le Gouvernement à partir de 2020. Celles-ci devraient atteindre 5 milliards d'euros par an à compter de 2022, ce qui remet en cause le désendettement de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse. Sur la branche maladie, l'Assemblée nationale a rétabli le forfait de réorientation des urgences prévu par l'article 29 quinquies, de même que le conditionnement des prestations de maternité à une durée minimale d'interruption d'activité de huit semaines pour les travailleuses indépendantes et les non-salariées agricoles. Nous avions proposé un dispositif plus souple et mieux adapté.
Les différences qui subsistent entre les deux assemblées à l'issue de cette nouvelle lecture des députés traduisent de véritables divergences politiques. Il ne me semble plus possible d'adopter des amendements susceptibles d'être repris par l'Assemblée nationale en lecture définitive. Nous constatons ainsi la fin du « dialogue utile » entre l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est pourquoi je vous propose l'adoption d'une question préalable.