Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 novembre 2018 à 8h35
Institutions européennes — Communication sur la réunion conjointe avec la commission pour l'union européenne du sénat italien : rapport d'information de mm. jean bizet philippe bonnecarrère mme gisèle jourda mm. jean-françois rapin et simon sutour

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Mes chers collègues, Philippe Bonnecarrère, Gisèle Jourda, Jean-François Rapin, Simon Sutour et moi-même nous sommes rendus à Rome les 12 et 13 novembre derniers pour y rencontrer nos homologues nouvellement élus de la commission des politiques de l'Union européenne du Sénat italien. Il s'agissait en premier lieu de déterminer les lignes de convergence entre nos deux commissions pour nous permettre de mieux peser dans les débats en cours sur la refondation de l'Union européenne.

Sur l'avenir de la construction européenne, nous partageons en effet le même constat de la nécessité d'une Union européenne à plusieurs vitesses, permettant aux États membres qui veulent une intégration plus rapide de progresser vers celle-ci sans impliquer les pays plus rétifs ou ne bénéficiant pas encore de tous les atouts pour y parvenir. Les difficultés auxquelles est confrontée l'Union européenne sont pour partie liées à la logique d'indifférenciation qui a prédominé, y compris au sein de la zone euro.

Cette appréciation sur une Union européenne respectueuse de la diversité et plus lisible conditionne en large partie la réflexion menée par le Sénat italien sur le cadre financier pluriannuel. La voix de l'Italie compte sur ce sujet, puisqu'elle est aujourd'hui, parmi les Vingt-Sept, le troisième contributeur au budget européen. Nos deux commissions souhaitent que les prochains mois soient consacrés à l'élaboration d'un outil qui permette de financer de nouvelles priorités, sans remettre totalement en cause les grands acquis communautaires que sont la politique de cohésion et la politique agricole commune.

La recherche, la numérisation de l'économie et l'intelligence artificielle doivent également faire l'objet d'une approche volontariste de la part de l'Union européenne et d'une réorientation de son budget dans ces directions. Nous partageons avec nos collègues italiens la crainte d'une éviction progressive des États membres de l'Union européenne de la compétition mondiale dans ces domaines.

La dimension prospective est également au coeur des réflexions de nos collègues italiens sur la gestion des flux migratoires. Au-delà des réflexions à mener à court terme sur l'avenir de Frontex, les centres contrôlés et les plateformes de débarquement, nos collègues appuient la proposition du président de la Commission européenne d'une nouvelle alliance entre l'Union européenne et l'Afrique. Nous partageons le souhait qu'un commissaire dédié à l'Afrique ou à la Méditerranée fasse partie du prochain exécutif, souhait également exprimé par l'ancienne commissaire européenne Emma Bonino.

Vous le savez, la question des migrations est un des marqueurs du nouveau gouvernement italien, qui poursuit l'action entreprise par le précédent gouvernement de centre gauche, même si le style diffère.

Le nouveau cabinet est majoritairement composé de représentants de deux formations populistes : le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Lega, héritière de l'ancienne Ligue du Nord. L'alliance peut cependant apparaître fragile, tant en raison de la différence entre les aspirations des électorats des deux partis que de la rivalité des hommes forts de chacun des deux partis : Luigi di Maio pour le M5S et Matteo Salvini pour la Lega. L'ancienne Ligue du Nord reste une formation faisant essentiellement écho aux préoccupations de ses électeurs issus des régions septentrionales de la péninsule, principalement constituées de petits commerçants et artisans, sensibles à un discours anti-étatiste. À l'inverse, l'électorat du M5S est plus ancré au sud de l'Italie et attend plus de protection de la part de l'État.

Les deux partis n'ont d'ailleurs pas fait alliance lors des élections parlementaires et restent rivaux lors des scrutins locaux. Ils se présenteront séparément aux élections européennes, ce qui suscite des interrogations sur l'avenir de la coalition. Les enquêtes d'opinion traduisent aujourd'hui un rééquilibrage en faveur de la Lega au sein de la coalition. Le M5S semble rattrapé par la pratique du pouvoir et une forme de désillusion de certains de ses électeurs, voire de ses fondateurs. La Lega tend, quant à elle, à fédérer autour d'elle l'ensemble des formations du centre et de la droite, au nord comme au sud du pays. Si son style reste populiste, son action apparaît de plus en plus conservatrice et pragmatique, certains observateurs tablant sur un recentrage à moyen terme.

En attendant, les premiers pas du nouveau gouvernement ont été marqués par la volonté des deux partis de mettre en oeuvre un changement de paradigme, tant sur la scène intérieure qu'au niveau européen. La coalition est critique à l'égard des institutions et appelle à un renouvellement profond de l'Union européenne, jugée déconnectée des peuples. Mais si la posture, comme les alliances au Parlement européen des deux formations de la majorité, reflètent une forme d'euroscepticisme, rien n'indique aujourd'hui une volonté italienne de quitter l'Union européenne en général et la zone euro en particulier. Le M5S a ainsi récemment rejeté catégoriquement ces options. La Lega oscille, quant à elle, entre provocation et acceptation des règles communes. Cette ambition se manifeste dans un style parfois brutal, visant notamment la relation franco-italienne, solide jusqu'alors. Le partenariat économique entre nos deux pays est souvent dénoncé comme trop déséquilibré. Les crispations dans ce domaine sont nées avec l'affaire Parmalat et se sont accentuées avec l'imbroglio Fincantieri-STX. Je rappelle que les rachats d'actifs italiens atteignent 53 milliards d'euros sur les dix dernières années. À l'inverse, les rachats italiens sont évalués à 7 milliards d'euros.

La présentation en octobre du projet de loi de finances italien pour 2019 est venue éclairer cette stratégie disruptive. Le budget envisagé remet en cause certaines réformes structurelles adoptées par les gouvernements précédents pour contenir la progression de la dette publique.

Le projet de loi de finances prévoit ainsi l'instauration d'un revenu de citoyenneté de 780 euros, octroyé à toute personne sans emploi qui n'aurait pas refusé plus de deux ou trois offres d'emploi. Passé l'effet d'annonce lors de la campagne électorale, cette mesure semble faire l'objet d'une prise de conscience des dirigeants italiens : il ne s'agit pas en effet du revenu universel attendu. Le budget revient également sur l'allongement de la durée d'activité prévue par la réforme des retraites adoptée en 2011. Enfin, il prévoit la simplification de la fiscalité en instituant deux barèmes et l'instauration d'un impôt unique pour les entreprises.

Ce faisant, le gouvernement multiplie par trois le déficit public prévu et contrarie la trajectoire de réduction de la dette, qui représente plus de 130 % du PIB italien. Il se situe clairement en dehors des règles européennes que le gouvernement s'était pourtant engagé à respecter quelques semaines plus tôt. Le 21 novembre dernier, la Commission européenne a d'ailleurs proposé l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif. En dépit d'une hausse sensible des taux, la situation est encore loin de rappeler celle de 2011. Le gouvernement bénéficie aujourd'hui de plusieurs facteurs : la détention de la majeure partie de la dette par les Italiens, un calendrier de refinancement étalé dans le temps - la maturité de la dette est d'environ sept ans - et la poursuite, jusqu'en janvier prochain, du programme d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne. Pour l'heure, le risque de crise est tempéré et la possibilité d'une contagion à l'ensemble de la zone euro écartée.

Reste que la situation demeure fragile en raison notamment des faiblesses du secteur bancaire italien, qui détient la majorité de la dette publique. Les annonces du gouvernement concernant ce secteur ne sont d'ailleurs pas de nature à rassurer. Dans ces conditions, la communication de la Commission européenne et du Conseil à l'endroit des autorités italiennes devra être ciblée et combiner la nécessité de faire respecter le droit européen et le devoir de rassurer les investisseurs. Il s'agit d'éviter de créer les conditions d'une nouvelle crise de confiance à l'égard de l'euro et d'une contagion. Je rappelle que le seul remboursement de la dette représente 65 milliards d'euros chaque année, ce qui n'est pas neutre. La lenteur que met l'Allemagne à restructurer la zone euro pourrait s'avérer malsaine, tant le risque d'une nouvelle crise financière, à laquelle nous ne serions pas préparés, est réel.

Il convient de ne pas crisper complètement les autorités italiennes et de ne pas les pousser à renforcer des partenariats en gestation avec des pays tiers - Russie, Chine, États-Unis -, enclins à déstabiliser l'Union européenne. La crise que traverse l'Union européenne à la suite du Brexit incite à maintenir un front uni, afin de préparer son avenir. Le gouvernement italien a appelé, le 26 novembre dernier, à une forme de négociation. Il s'agit de saisir cette main tendue.

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