Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 novembre 2018 à 8h35
Transports — Adaptation des corridors de transports dans l'union européenne : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. pascal allizard didier marie et jean-françois rapin

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, rapporteur :

Cette affaire m'inspire deux questions. D'abord : tout cela pour quoi ? Et ensuite : pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Dans l'enchaînement qui nous a conduits à la résolution du 1er août, provoquant une crise et une forte angoisse dans les ports concernés, nous n'avons pas encore réussi à décrypter tous les facteurs politiques.

Je vous prie d'abord d'excuser notre collègue Pascal Allizard, qui est en déplacement. Didier Marie et moi-même nous exprimerons en son nom, avec son autorisation.

Le rapport soumis à votre examen, ainsi que la proposition de résolution européenne qui l'accompagne, sont motivés par une proposition publiée le 1er août par la Commission européenne, afin de tirer les conséquences du Brexit. Elle a ému le monde maritime français, jusqu'au Gouvernement et aux régions maritimes concernées, car elle tendait à remplacer l'actuelle liaison entre Dublin et Calais via la Grande-Bretagne par une liaison purement maritime allant de Dublin aux principaux ports du Benelux.

Je commencerai par présenter la dimension juridique, en comparant le cadre de la politique européenne des transports en vigueur depuis le 11 décembre 2013 et la proposition de règlement formulée le 1er août par la Commission européenne, avant de céder la parole à Didier Marie pour la dimension économique.

Les deux règlements adoptés le 11 décembre 2013 ont totalement restructuré la politique européenne des transports. Le règlement n° 1315/2013 a unifié l'approche des transports terrestres, aériens ou par navigation au sein de l'Union européenne, à travers le concept de « réseau transeuropéen de transport » ou RTE-T.

Les infrastructures terrestres prises en compte dans ce cadre ont été regroupées en deux grandes catégories nouvelles : le réseau dit « central », et le réseau dit « général ». Au sein du réseau central, neuf corridors ont été identifiés. Les projets d'intérêt commun situé sur ces corridors sont prioritaires, alors que cette priorité n'est pas nécessairement acquise même aux projets d'intérêt commun situés sur le réseau central mais à l'extérieur des corridors. L'enjeu financier est donc majeur.

Cependant, les corridors ne sont pas les seuls à bénéficier d'une priorité au titre du réseau transeuropéen de transport. En effet, trois politiques dites techniques peuvent également bénéficier d'un soutien prioritaire de l'Union européenne. Elles englobent la gestion du trafic aérien et du trafic ferroviaire, mais le sujet qui nous intéresse est celui des autoroutes de la mer, définies comme « la dimension maritime du réseau transeuropéen de transport ». Cette novation majeure et cruciale inclut totalement les liaisons maritimes dans la politique européenne des transports. Pour être éligible à des subventions au titre des autoroutes de la mer, un projet d'intérêt commun doit préférentiellement porter sur les liaisons maritimes entre deux ports du réseau central, qu'ils fassent ou non partie d'un corridor. Il reste néanmoins possible de financer au titre des autoroutes de la mer une liaison entre un port du réseau central et un port du réseau global, mais à condition que cette liaison présente un intérêt européen particulièrement marqué.

La dernière grande nouveauté a fait l'objet d'un texte spécifique : le règlement n° 1316/2013, lui aussi du 11 décembre 2013, crée le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (ou MIE), pour organiser la participation de l'Union européenne au financement des projets d'intérêt commun retenus à la suite d'appels d'offres. Le dispositif initial a énuméré un certain nombre de projets reconnus prioritaires dès 2013, avant tout appel d'offres.

Or la proposition du 1er août a littéralement piétiné cet ensemble. La motivation invoquée, le fait que le retrait du Royaume-Uni imposerait à l'Irlande un isolement qu'il faudrait impérativement éviter, est grossièrement inexacte puisque ces autoroutes de la mer parcourent de façon extrêmement dense l'espace considéré.

Au demeurant, même si elle avait été conforme à la vérité, la crainte d'un isolement aurait justifié une modification du tracé des autoroutes de la mer, puisqu'il s'agit de liaisons maritimes. De plus, le Brexit, négocié ou pas, doit nécessairement se traduire par une révision du corridor physique « mer du Nord - Méditerranée », tel qu'il résulte du règlement n° 1315/2013. Or, la Commission européenne propose de modifier le règlement qui avait créé le MIE, en visant précisément l'annexe qui recense les projets initialement prioritaires en 2013, c'est-à-dire un ensemble dépourvu du moindre rapport avec l'objet du texte.

Ce n'est pas tout : la Commission européenne a écarté toute étude d'impact, dans une démarche cohérente avec une consultation des parties intéressées réduite à deux semaines, entre le 26 juin et le 12 juillet - la procédure régulière durant, à ma connaissance, quatre semaines. Un délai aussi bref permettait de réduire au strict minimum inévitable toute expression publique des intérêts économiques en cause ; l'absence d'étude d'impact évitait à la Commission européenne d'analyser elle-même la dimension économique, dont Didier Marie s'apprête à vous entretenir.

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