Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 novembre 2018 à 8h35
Transports — Adaptation des corridors de transports dans l'union européenne : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. pascal allizard didier marie et jean-françois rapin

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Les échanges maritimes entre l'Irlande et le continent peuvent se classer en deux catégories. La première concerne les trajets exclusivement maritimes, principalement entre Dublin ou Cork pour la côte irlandaise et les ports du Benelux. Il peut s'agir de vrac solide, de vrac liquide ou de conteneurs qui, arrivés à Zeebrugge, Anvers ou Rotterdam, sont souvent transbordés sur d'autres navires pour atteindre leur destination finale. Symétriquement, des conteneurs venant de loin sont transbordés dans ces mêmes ports avant de rejoindre l'Irlande. Le retrait du Royaume-Uni laissera ces trajets inchangés, l'Irlande ayant ses propres liaisons maritimes avec le continent.

La seconde catégorie d'échanges maritimes entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union emprunte le long bridge, surnom anglais donné aux trajets terrestres entre Liverpool et Calais via le tunnel sous la Manche. Ce trajet se situe entièrement sur le corridor « mer du Nord - Méditerranée ». Or les poids-lourds qui empruntent le long bridge n'apparaissent pas dans la partie de l'étude consacrée aux autoroutes de la mer, publiée en avril 2018 par le coordonnateur européen de ces autoroutes.

Dans sa réponse au courrier envoyé le 10 août par Mme Élisabeth Borne, ministre des transports, Mme Violeta Bulc, commissaire aux transports, a invoqué précisément cette étude, alors même que son auteur avait pris soin de préciser qu'il ne proposait aucune estimation portant sur les conséquences du Brexit.

En d'autres termes, la seule justification avancée par la Commission européenne consistait en un document certes bien réalisé, mais portant sur un autre sujet. Et ce travail ignorait par nature la fraction des échanges entre l'Irlande et le continent qui emprunte le tunnel sous la Manche, dans un sens ou dans l'autre, soit 90 % du trafic total.

Or la seule conséquence possible d'un retrait du Royaume-Uni sans accord concerne précisément les itinéraires nouveaux que les marchandises empruntant aujourd'hui le long bridge devront utiliser demain en cas de Brexit « dur ».

Face à cela, que peut faire l'Union européenne ?

En premier lieu, il convient bien sûr de retirer purement et simplement une proposition indéfendable. C'est indispensable, mais insuffisant. De même, il est indispensable bien qu'insuffisant de modifier les annexes aux deux règlements du 11 décembre 2013 afin d'en retirer le réseau de transport britannique. L'éventualité d'un accord n'enlève rien à la pertinence de cette seconde recommandation, puisque le Royaume-Uni deviendra, quoi qu'il arrive, un pays tiers à compter du 30 mars 2019. La révision des autoroutes de la mer dans la Manche et la mer du Nord procède d'une même logique.

Plus immédiatement opérationnelle et surtout proche du sujet qui nous préoccupe, est l'étude approfondie des aménagements dont les ports bretons ou normands auront besoin afin d'accueillir les navires qui devront peut-être transporter les poids lourds qu'un Brexit « dur » priverait de long bridge.

Prolongeant cette réflexion, il est impératif d'envisager une meilleure desserte de l'arrière-pays de ces ports. En effet, l'axe « mer du Nord - Méditerranée » ne serait rejoint qu'après le corridor « Atlantique » reliant la péninsule ibérique à l'Europe du Nord. Il faudra donc revoir non pas un corridor, mais deux, selon un calendrier accéléré, sauf si une période de transition apportait à cette région un répit bienvenu.

Enfin, une observation sur l'économie irlandaise s'impose. Ses exportations représentent 42 % du PIB, contre 39 % pour l'Allemagne et 20 % pour la France. L'Irlande doit donc logiquement être particulièrement préoccupée par les conséquences possibles qu'un retrait du Royaume-Uni aurait pour ses voies d'exportation. Un lobbying bien conduit aurait toutes les chances d'y recevoir une écoute attentive.

Les bizarreries juridiques analysées par Jean-François Rapin peuvent trouver une explication économique. Il n'est pas anodin de proposer à tort la révision d'un corridor terrestre alors que la situation envisagée relève uniquement des autoroutes de la mer : ce faisant, la proposition de la Commission européenne écarte implicitement, donc avec discrétion, les ports bretons et normands du réseau global, c'est-à-dire précisément les mieux placés géographiquement pour accueillir les poids lourds privés de long bridge !

Il n'est pas neutre non plus de vouloir modifier le règlement relatif au financement européen du RTE-T, sous prétexte d'assurer la continuité géographique d'un corridor.

Ces constats incitent vos rapporteurs à vous soumettre une proposition de résolution européenne, et un avis politique au dispositif identique.

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