Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 22 février 2007 à 15h00
Équilibre de la procédure pénale — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet est loin d'être aussi ambitieux qu'on aurait pu l'espérer après le drame judiciaire d'Outreau. Il traduit un flagrant manque d'autocritique de la part d'un gouvernement qui, depuis cinq ans, multiplie les textes qui modifient la procédure pénale au détriment, notamment, des droits de la défense.

Après l'affaire d'Outreau, nous ne pouvions nous contenter d'une « première étape », alors que tous les acteurs du monde judiciaire et les justiciables attendaient une grande réforme de la justice et de la procédure pénale.

Quelle déception, de ce point de vue, à la lecture du texte qu'il nous est demandé d'adopter aujourd'hui ! Mis à part les enregistrements audiovisuels des interrogatoires des personnes gardées à vue, aucune disposition - et pourtant, nous en avons présenté plusieurs - n'a été adoptée tendant à renforcer les droits de la défense pendant la garde à vue.

Le Gouvernement nous a proposé un système d'enregistrement audiovisuel, certes intéressant, mais qui ne remplace toutefois pas la présence de l'avocat durant cette première phase très importante de la procédure pénale. De surcroît, ce dispositif d'enregistrement n'est applicable qu'en matière criminelle ; il est exclu dans les affaires de terrorisme et de grande criminalité, et si le nombre de personnes interrogées simultanément ne le permet pas.

Au final, ce dispositif est donc très peu satisfaisant du point de vue de la défense, dont il ne renforce que très superficiellement les droits.

En ce qui concerne l'instruction, une fois encore, le dispositif retenu par la commission mixte paritaire nous laisse plus que circonspects.

Nous regrettons le report, à l'article 1er A, de la collégialité de l'instruction à cinq ans après la publication de la loi, alors que le Sénat avait réduit ce délai à trois ans.

Quant aux pôles de l'instruction, je ne peux que constater que leur création vient masquer l'absence de toute réflexion sur la réforme de la carte judiciaire, qui est pourtant l'un des préalables à l'organisation d'une véritable collégialité.

Le Gouvernement a, sur ce point, fait preuve d'une grande frilosité.

De même, l'article 2, relatif à la cosaisine des juges d'instruction, a été vidé de sa substance par la commission mixte paritaire. Alors que le Sénat avait approuvé, sur notre initiative, la disposition obligeant les juges cosaisis à cosigner l'avis de fin d'information et l'ordonnance de règlement, la commission mixte paritaire a substitué à cette obligation de cosignature une simple faculté, assortie de la possibilité pour les parties d'interjeter appel de l'ordonnance de règlement lorsque celle-ci n'a pas été cosignée.

Cette modification substantielle est regrettable : l'obligation de cosignature assurait l'effectivité de la cosaisine et l'implication de tous les juges cosaisis dans le dossier. Notre volonté était de renforcer les conditions de fonctionnement de la cosaisine, afin de la faire évoluer vers une véritable collégialité. Dans cet objectif, nous souhaitions que les actes les plus importants de l'instruction soient obligatoirement cosignés.

L'article 2 représente incontestablement une amélioration de la procédure d'instruction applicable dans les affaires complexes, mais la portée de cette amélioration se trouve réduite en l'absence de cosignature obligatoire de l'avis d'information et de l'ordonnance de règlement. Nous regrettons, par conséquent, le choix de la commission mixte paritaire en la matière.

En revanche, s'agissant de l'article 3 relatif aux critères de placement en détention provisoire, nous saluons le maintien, par la commission mixte paritaire, de l'abandon du critère de trouble à l'ordre public en matière correctionnelle. C'est, d'ailleurs, selon moi, la seule grande avancée de ce projet de loi.

Pour autant, nous n'oublions pas que nos propositions en faveur de la limitation du recours à la détention provisoire ont toutes été rejetées, alors qu'elles auraient pourtant permis de réaffirmer plus fortement encore le caractère exceptionnel de celle-ci.

Néanmoins, nous ne minimisons pas l'abandon du critère de trouble à l'ordre public. En effet, ce critère a permis tous les abus, notamment dès qu'une affaire était médiatisée ; nous l'avons bien vu avec celle d'Outreau. Combien de fois l'institution judiciaire a-t-elle été sommée par l'opinion publique et le pouvoir politique de maintenir un innocent en prison plutôt que de laisser un coupable en liberté ?

Depuis 2001, le nombre de détentions provisoires et la population carcérale ont augmenté l'un et l'autre de 25 %. La suppression du critère de trouble à l'ordre public permettra- c'est en tout cas ce que nous espérons - de redonner à la détention provisoire le caractère exceptionnel qu'elle avait perdu.

Mais il est vrai que ce n'est pas un hasard si les principes fondateurs de la procédure pénale ont à ce point été dévoyés. Combien de fois des magistrats ont-ils été critiqués et mis en cause par le pouvoir exécutif, en dépit du principe de séparation des pouvoirs, pour ne pas avoir eu recours à la détention provisoire ou pour ne pas avoir maintenu une personne en détention ?

C'est le second point sur lequel je voulais insister. La procédure pénale a été profondément, et à de multiples reprises, modifiée depuis 2002. Les textes répressifs se sont succédé, vidant progressivement de leur substance les principes de la présomption d'innocence et du procès équitable, ou encore les droits de la défense.

L'inflation pénale constitue également un risque quant à la compréhension du droit et à son accessibilité. Cette situation est évidemment préjudiciable pour nos concitoyens qui, s'ils ne maîtrisent ni ne comprennent les normes, ne peuvent pas être en mesure de se défendre correctement.

Sur ce point, la Commission nationale consultative des droits de l'homme a interpellé à de multiples reprises le Gouvernement en affirmant « son attachement à un système procédural cohérent, aisément accessible aux citoyens comme aux professionnels (...). » Or, elle a constaté que « les dernières réformes en ce domaine ne dessinent pas un ensemble lisible, permettant de fonder notre procédure pénale sur des principes clairs et reconnus », ajoutant que cette instabilité de notre procédure pénale et de notre droit pénal ne peut que « rendre plus difficile l'accès à la règle de droit, condition d'un procès équitable (...). » On peut ajouter à cela l'aggravation des sanctions pénales depuis 2002.

La commission mixte paritaire n'ayant pas bouleversé l'économie générale de ce projet de loi, nous maintenons notre opposition.

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