Nous souhaitons avoir avec la Commission européenne un dialogue politique de qualité. Malheureusement, cela n'a pas été le cas pour nos deux résolutions européennes sur la politique agricole commune (PAC), ainsi que pour les avis politiques que nous lui avons parallèlement adressés. Le courrier de réponse du commissaire Pierre Moscovici au dernier de ces avis ne contient que des considérations générales. Notez bien que nous auditionnerons le commissaire le 13 décembre prochain à 8 heures 30 : nous pourrons alors lui demander de nous fournir davantage d'éléments. Dans sa lettre, la Commission européenne ne cherche pas à argumenter, ou à expliciter son point de vue, en répondant aux vingt-cinq points de la résolution du Sénat du 6 juin 2018, ou aux dix-sept points de celle du 8 septembre 2017. Nous vous proposons donc de réitérer notre démarche de dialogue politique.
Depuis notre audition, réalisée le 24 mai 2017, du commissaire Oettinger, nous sommes alertés sur le risque d'une diminution drastique du budget de la PAC, mais nous avons du mal à obtenir des précisions. Chaque interlocuteur semble mal à l'aise pour répondre.
De fait, le courrier du commissaire Moscovici fait même totalement l'impasse sur les principaux axes de réflexion du Sénat : le niveau du budget de la future PAC, les enjeux agricoles du commerce international, le refus du statu quo au-delà des acquis du « règlement Omnibus » de 2017, ou encore le principe consistant à faire prévaloir les spécificités agricoles sur le droit de la concurrence.
Cette non-réponse de la Commission européenne justifie de « marquer le coup ». Je vous propose donc d'adopter un nouvel avis politique en dix points.
Le premier regretterait la faible qualité de la réponse du commissaire.
Les deux points suivants mettraient en évidence « l'écart très important » entre les propositions législatives avancées depuis le 1er juin 2018 par la Commission européenne pour la PAC 2021-2027 et les deux résolutions européennes du Sénat. Il s'agit de divergences de fond, car les travaux préparatoires de ladite réforme « ne correspondent pour ainsi dire pas aux préconisations du Sénat, voire en contredisent certains points essentiels ». Cet écart « ne se limite aucunement à la demande du maintien d'un budget stable pour la future PAC » : c'est l'économie générale même du projet de la Commission européenne qui est en cause.
Les trois points suivants de l'avis politique porteraient sur le coeur de nos divergences avec la Commission européenne, ainsi que sur l'objectif principal, à ses yeux, de la future PAC, à savoir le nouveau mode décentralisé de mise en oeuvre de la PAC. Ne laisse-t-on pas, par là même, la porte ouverte à des distorsions de concurrence supplémentaires au sein du marché unique ? N'y a-t-il pas là un réel danger de remplacement de cette politique « par 27 politiques agricoles nationales dans chacun des États membres, désormais de moins en moins compatibles entre elles » ? Le député européen français Michel Dantin résume le problème en ces termes : « la politique agricole commune devient de plus en plus politique, de moins en moins agricole et de moins en moins commune ».
Je vous propose ensuite de rappeler trois autres points clés de nos deux résolutions européennes du Sénat. Il s'agit, en premier lieu, de rejeter « la perspective d'un statu quo de la future PAC en matière de règles de gestion de crise ou d'intervention, au motif que les avancées du règlement Omnibus seraient suffisantes ». S'y ajoute le rappel de la « nécessité d'adapter, en règle générale, le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de renforcer effectivement le poids des producteurs dans la chaîne alimentaire ».
Enfin, le projet d'avis politique regrette « que les propositions de réforme publiées par la Commission européenne le 1er juin 2018 n'abordent pas le sujet des échanges agricoles internationaux, auquel les deux résolutions précitées du Sénat consacrent cinq points détaillés », tout en observant que le courrier du commissaire européen en date du 20 août 2018 fait lui aussi l'impasse sur le sujet.
En définitive, je vous propose d'adopter cet avis politique, non seulement pour marquer notre insatisfaction, mais aussi, et surtout, pour poursuivre notre travail de fond sur la prochaine réforme de la PAC. En effet, le risque à conjurer est celui, ni plus ni moins, d'une irrémédiable « déconstruction de la politique agricole commune ». Nous devons tout faire pour l'éviter ! Nous y reviendrons au cours des prochains mois, dans le cadre des travaux de notre groupe de suivi conjoint avec la commission des affaires économiques. Nous vous proposerons ainsi d'adopter une troisième proposition de résolution européenne sur la future réforme de la PAC.
Cet avis politique arrive à point nommé. Dans la situation très délicate que nous connaissons depuis quelques semaines avec les débats sur le pouvoir d'achat, la mise en place des ordonnances autorisées par la loi « Egalim » fait l'objet d'atermoiements de la part des pouvoirs publics. D'ici fin février 2019, les négociations commerciales entre la profession et la grande distribution seront difficiles. En outre, les crédits de la future PAC baisseraient de 3,9 % pour le premier pilier et de 14 % pour le second. Et l'on sait par expérience que les chiffres avancés par la Commission européenne un ou deux ans avant une réforme sont en général très voisins de la réalité. Le jeudi 13 décembre, nous recevrons donc le commissaire Moscovici, qui aura pris connaissance du présent avis politique entre-temps. Nous pourrons ainsi lui faire part de notre sentiment.