Intervention de Laurence Harribey

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 décembre 2018 à 17h30
Institutions européennes — Relation franco-allemande : rapport d'information de mm. jean bizet jacques bigot philippe bonnecarrère mme laurence harribey et m. andré reichardt

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

Nous revenons pour la deuxième fois en deux semaines sur la relation franco-allemande.

Lors de notre réunion du 22 novembre dernier, nous avions eu un premier échange sur les conclusions de notre groupe de travail sur la révision du traité de l'Élysée. Comme vous avez pu le lire dans la deuxième partie du rapport, nous avons pris en compte cet échange dans les conclusions, en particulier sur deux thématiques.

En premier lieu, nous avons insisté sur la dimension culturelle de la relation franco-allemande. Il s'agit, en fait, de demeurer fidèle à l'esprit d'origine du traité de l'Élysée. Le général de Gaulle et Konrad Adenauer voulaient dépasser la simple logique des intérêts des deux États pour faire du moteur franco-allemand un gage de paix et de coopération.

Il est important de mettre en avant que l'apprentissage interculturel entre la France et l'Allemagne passe non pas par la mise côte à côte de deux pays semblables, mais, au contraire, par la tentative de construire une coopération à partir d'éléments culturels qui sont, à bien des égards, différents. La force du couple franco-allemand tient justement à la volonté de trouver des convergences et des compromis entre des pays différents et de construire peu à peu une Europe dotée d'ambitions partagées.

Je cite souvent un exemple qui me semblait très probant - il l'est peut-être moins aujourd'hui - pour faire comprendre ces différences de culture. Si l'on demande à un parterre de chefs d'entreprise allemands ce qu'est le taux d'intérêt, ils répondent à 80 % que c'est la rémunération de leur épargne ; les chefs d'entreprises français répondent à 80 % que c'est le coût de leurs emprunts. Le taux d'intérêt, c'est les deux à la fois, mais culturellement le réflexe de répondre l'un plutôt que l'autre signifie que nous avons, derrière nos modèles économiques, des modèles culturels. Le système bancaire et monétaire que nous avons construit est en quelque sorte le résultat de ce compromis.

On vient d'évoquer l'agriculture : il existe sans doute aujourd'hui des divergences d'approche qui pourraient donner lieu, peut-être, à un nouveau modèle.

Le moteur franco-allemand, loin d'être fermé sur lui-même, a souvent pu servir de point de ralliement entre l'Europe dite « du nord » et celle « du sud », même si je mets beaucoup de bémols à cette différenciation qui contient un risque de stigmatisation, car les approches peuvent être différentes à l'intérieur même d'un pays.

En second lieu, nous avons bien rappelé qu'au-delà de la création annoncée par le Gouvernement de la « collectivité européenne d'Alsace », la question de la coopération transfrontalière devait être abordée de façon plus large, au niveau national. La France-Allemagne est le terrain privilégié, mais non exclusif, d'un sujet qui concerne directement sept régions métropolitaines, sans même parler de la Corse.

Les conclusions du groupe de travail ont été enrichies de nos débats en commission et de la première mouture du rapport dont nous avons discuté lors de la réunion du 22 novembre dernier.

En amont de ces conclusions, le cinquante-sixième anniversaire du traité de l'Élysée a aussi été pour nous l'occasion de revenir sur la relation franco-allemande d'une façon plus générale. Le constat est mitigé.

D'une part, nous avons été nombreux à souligner la panne assez sensible du moteur franco-allemand, ne serait-ce que si l'on compare le bilan des réalisations franco-allemandes à la fin de 2018 à ce qu'il était en 2013, dans le rapport de Jean Bizet adopté à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité. Force est de constater que, par rapport à 2013, on ne trouve qu'une seule réalisation concrète, à savoir la fameuse JEDI (Joint European Disruptive Initiative).

Mais, d'autre part, ce point de situation quelque peu amer peut être contrebalancé par des éléments sinon d'optimisme, en tout cas d'espoir et de satisfaction. Il suffit pour cela de comparer la déclaration de Berlin adoptée par les deux chefs d'État et de gouvernement pour le cinquantième anniversaire du traité avec la déclaration dite « de Meseberg » du 19 juin dernier. Ce dernier texte contient des pistes que l'on pourrait qualifier d'audacieuses.

Que l'on songe à la création d'un budget de la zone euro à l'horizon 2021 ou à l'instauration d'une assurance chômage au sein de la même zone euro : ces propositions sont non pas « fermées » sur le duo franco-allemand, mais ouvertes sur un système plus large. Certes, de nombreux points restent en suspens. Mais il s'agit tout de même là de percées, comme on en avait peu connu au cours de la décennie écoulée. Cela peut constituer un test pour la capacité d'entraînement du couple franco-allemand. Plus précisément, la Chancelière sera-t-elle en capacité de défendre ces propositions d'inspiration française face à des États membres réticents, les Pays-Bas en tête ?

Enfin, le contexte du Brexit peut constituer aussi une opportunité pour redéfinir le moteur franco-allemand, en particulier en matière de défense.

J'en viens au dernier volet de notre rapport relatif à la coopération interparlementaire.

La contribution du Sénat au cinquante-sixième anniversaire du traité de l'Élysée ne se bornera pas aux conclusions que je viens d'évoquer. Nous avons aussi saisi cette occasion pour renforcer notre coopération avec le Bundesrat, traditionnellement considéré comme notre équivalent le plus naturel au sein du Parlement allemand, ce qui n'empêche pas les relations avec le Bundestag. Nous avons pris en considération la différence, que nous avons évoquée le 22 novembre dernier, entre le Bundesrat et le Sénat, en termes de compétences législatives. Nous sommes à la fin d'un processus commencé il y a plus de sept mois lors de la visite de la Commission des questions européennes du Bundesrat, conduites par son président, Guido Wolf.

Sur la base de la déclaration que nous avions faite alors, nous avons travaillé à un texte formalisant une coopération plus systématique de nos deux commissions en amont des résolutions européennes, des avis politiques et avis motivés que nous adressons à la Commission européenne. Tout cela a été formalisé dans la déclaration conjointe que Jean Bizet et Guido Wolf ont signée à Vienne le 18 novembre dernier en marge de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Le texte de cette déclaration figure dans le rapport.

Je souhaiterais conclure par deux observations.

Pour sa partie générale relative à la coopération franco-allemande, la déclaration est nourrie des réflexions de notre groupe de travail, d'une part, et des résultats de la consultation des Länder allemands par le gouvernement fédéral, d'autre part.

Concernant la mise en oeuvre de cette coopération plus permanente entre nos deux commissions, il nous reviendra d'en fixer les modalités dans les semaines qui viennent en prenant en compte un élément important. Cet élément est l'accord de coopération plus large qui devrait être signé le 22 janvier 2019 entre le président Larcher et son homologue du Bundesrat lors de la venue de ce dernier au Sénat.

La coopération parlementaire qui sera ainsi renforcée aura, en effet, une portée plus large puisqu'elle concernera aussi les commissions législatives. Ce texte sera nourri par ailleurs du travail préparatoire des deux commissions des affaires européennes. Il permettra en particulier d'insister sur la dimension territoriale de la relation franco-allemande.

Le 22 janvier prochain sera donc, comme il se doit, le point d'orgue de toutes ces initiatives au traité de l'Élysée.

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