Il faudrait donc réviser la Constitution.
Général Daniel Ménaouine. - C'est la première fois que l'on me demande : « pourquoi un général ? » Je répondrai : « pourquoi pas ? ». Un général est un serviteur de l'État comme un autre, qui peut être engagé sur toute mission. Je ne suis pas surpris que l'on confie une telle mission à un officier général, mais votre question m'étonne et pose la question plus large de la place des officiers dans la société. Au Royaume-Uni, par exemple, beaucoup d'anciens militaires siègent au Parlement.
Quand on a conçu le SNU, on a eu la préoccupation de ne pas heurter ce qui fonctionnait déjà - service civique, associations sportives, initiatives locales. Des syndicats de lycéens ou d'étudiants, qui ont des difficultés à recruter des cadres, m'ont demandé si la participation à leur syndicat serait reconnue comme une forme d'engagement ; évidemment. Le SNU a vocation à être une ombrelle, qui recouvre les dispositifs existants, non pas à être un tsunami qui balaiera tout ce qui existe. De même, j'ai discuté avec un jeune Lillois qui donne des cours de boxe en banlieue ; le fait d'être instructeur de boxe dans un quartier difficile est bien entendu un engagement.
Néanmoins, on constate aujourd'hui que seuls 17 % des jeunes de dix-sept ans sont engagés. Le SNU ne va pas tout balayer ; il va, au contraire, encourager les initiatives, car j'ai aussi rencontré des associations qui souhaitent intégrer des jeunes. Il faudra bien entendu penser à la labellisation des associations, avec les collectivités territoriales.
Ces douze jours d'engagement, de projet collectif, doivent être obligatoires, car, aujourd'hui l'engagement est très inégalitaire : ce sont majoritairement des enfants de personnes engagées qui s'engagent. Il faut donc que la découverte du monde associatif fasse partie de l'éducation des jeunes, car certains s'en sentent exclus.
En effet, on ne m'a pas parlé de l'isolement des jeunes. On constate que, parmi les jeunes qui sont allés en Syrie, beaucoup venaient des campagnes. Dans bien des endroits, le seul mode de transport pour aller à la ville voisine est le bus scolaire, qui ne roule pas le mercredi après-midi ni le week-end. Il est donc plus simple pour eux d'aller sur un site internet que de se rendre dans l'association du village d'à côté. Il faut donc organiser leur premier engagement ; l'engagement est aussi une clef de l'éducation. Le SNU propose aux jeunes de vivre ce temps d'engagement.
On me dit également qu'une période de deux fois douze jours est insuffisante, que l'on n'apprend rien en douze jours. Sachez que la formation initiale d'un réserviste de l'armée de terre dure douze jours, et les encadrants affirment que les réservistes ne sont plus les mêmes. Les Britanniques l'expérimentent aussi et ils affirment que, au bout de douze jours, quelque chose s'est passé chez les jeunes. Il s'agit de leur apprendre des choses pratiques et de faire en sorte qu'au bout de cette période, un déclic ait eu lieu.
Le système d'information existe déjà, il sert au suivi des jeunes qui, en vertu de l'article 34 de la Constitution, sont tenus d'effectuer leur JDC, celle-ci pouvant avoir lieu entre dix-sept et vingt-cinq ans. Seuls 6 % des jeunes ne l'effectuent pas. Donc ce système d'information existe, est robuste et nous allons simplement le faire évoluer pour l'adapter au SNU.
J'en arrive aux associations existantes et aux initiatives locales. On a évidemment recensé diverses initiatives prises partout en France par les élus locaux pour encourager le bénévolat - c'est d'ailleurs souvent lié au code de la route, effectivement. Sur les 785 000 jeunes qui ont suivi la JDC en 2017, 70 000 présentaient de grandes difficultés de lecture, un chiffre troublant et inquiétant. Or, au moment de passer le code, ces jeunes se sentent handicapés, et cela explique pourquoi ils se sentent isolés et pourquoi ils conduisent sans permis.
Seize ans est précisément l'âge où ils commencent à prendre conscience d'un décrochage, alors qu'à dix-huit ans, il est déjà trop tard pour raccrocher. En 2017, il y avait 33 000 décrocheurs de dix-sept ans en France, c'est-à-dire sans emploi, sans diplôme et sans suivi. Cela aussi plaide pour l'âge de seize ans.
Vous m'avez aussi interrogé sur la compatibilité d'un tel système avec des études supérieures. Depuis un certain temps, le système des crédits European Credit Transfer and Accumulation System (ECTS) permet aux étudiants qui s'engagent de bénéficier de crédits universitaires. Ce système n'est pas assez développé dans les universités françaises, alors qu'il l'est largement dans les grandes écoles. Ainsi, un polytechnicien m'a expliqué qu'il disposait de sept mois dans sa scolarité pour s'engager au profit des autres.
De même, les écoles de commerce s'investissent dans ce secteur car elles procèdent d'un écosystème anglo-saxon, dans lequel on valorise l'engagement des jeunes. Les césures n'y entraînent pas de pénalités, au contraire, elles sont reconnues. En revanche, j'ai rencontré une jeune diplômée de Sciences Po qui donne des cours dans le nord de Paris dans le cadre du service civique, et la première décision prise à son égard a été de lui retirer sa carte de transport Navigo, réservée aux étudiants. Un jeune étudiant qui effectue un service civique ne devrait pas être pénalisé !
L'engagement des jeunes doit être reconnu. J'ai discuté du SMA avec des directeurs des ressources humaines de grands groupes ; Il se trouve que 10 % de nos jeunes compatriotes d'outre-mer passent par ce dispositif, c'est très important. En France, on ne reconnaît pas les compétences, on ne reconnaît que le diplôme. Or, les jeunes qui s'engagent font l'acquisition de compétences ; un jeune qui encadre une équipe de football n'a pas de diplôme, mais il a des compétences d'encadrement. Pourtant, sur le marché du travail, cela n'a pas de valeur, alors qu'un jeune diplômé de management ne sait pas nécessairement encadrer dix personnes.
La France est mal classée en matière de reconnaissance des compétences, et le SNU doit permettre d'améliorer cette reconnaissance, qui donne accès au travail. Il permettra aux jeunes qui décrochent de l'école, souvent en raison de difficultés sociales, de mieux s'en sortir.
Vous m'avez également interrogé sur l'encadrement. Nous envisageons la mise en place d'équipes constituées à 25 % d'encadrants professionnels et à 75 % de jeunes réalisant leur seconde phase de SNU. Les directeurs d'université et d'écoles de la fonction publique sont prêts à modifier leurs programmes pour reconnaître ce moment de césure. De même, les étudiants en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) doivent réaliser, au cours de leur troisième année, un stage qualifiant d'encadrement de jeunes. Il y en a ainsi 18 000 chaque année.
Il y aura donc aussi un brassage de l'encadrement. Il faut mélanger des jeunes qui ont réussi dans leur quartier, par leur engagement, avec des étudiants. Beaucoup de jeunes en banlieue sont découragés parce qu'ils n'ont pas de réseau ; en permettant une rencontre entre un jeune énarque et un instructeur de boxe de banlieue, on construit un réseau qui n'existe pas aujourd'hui en France.
L'intérêt du SNU pour les militaires rejoint la question du rôle des militaires dans la société, que j'évoquais dans ma première réponse. Les militaires doivent être connus ; si des militaires participent à la formation, cela permettra aux jeunes étudiants de les côtoyer. En outre, il y aura, parmi les options proposées, une option « Défense et sécurité ». On peut estimer qu'environ 150 000 jeunes suivraient ce module, soit 75 000 pour la défense et 75 000 pour la sécurité - gendarme, police, pompiers.
Je le reconnais, 75 000 personnes, cela représente un pas non négligeable pour le ministère des armées qui encadre aujourd'hui 14 000 jeunes en préparation militaire. Néanmoins, les armées européennes sont confrontées à un grave problème de recrutement - certains pays européens réinstaurent même le service militaire, faute de jeunes recrues. On ne rencontre pas encore ce problème en France, mais on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait. Le SNU permettra de faire connaître les métiers de l'armée à un plus grand nombre de jeunes. Les jeunes ont deux grands sujets d'intérêt : l'environnement et le développement durable, à 39 %, et la défense et la sécurité, à 37 %.
La question des jeunes Français de l'étranger est une vraie question, qui conditionne le caractère inclusif du SNU. Elle rejoint celle de la participation des jeunes étrangers présents en France. Notre rapport suggère de leur donner accès au SNU s'ils le souhaitent. Le service civique accueille aussi de jeunes étrangers. Le jeune intervenu dans le magasin Hypercacher lors de la prise d'otages le 9 janvier 2015 était malien. Nous n'avons pas envisagé une ouverture européenne, mais le jeune Belge scolarisé à Lille ne doit pas être laissé à l'écart.
Nous avons rencontré des associations de handicapés ; nous avons d'ailleurs assisté à un moment poignant, quand des membres de ces associations nous ont demandé de ne pas les oublier. Il nous faut imaginer comment les faire venir à nous ou comment aller à eux.
Pour ce qui concerne le projet, lui-même, vous le savez, un secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a été nommé, il s'agit de M. Gabriel Attal. C'est une satisfaction pour nous car c'était l'une de nos préconisations. En effet, le centre de gravité du SNU est la jeunesse ; ce n'est ni un sujet militaire, ni d'éducation. Un jeune m'a dit : « l'école de la vie n'est pas dans la vie de l'école » ; il avait résumé l'esprit du SNU.
Vous avez aussi évoqué le SMA, qui illustre formidablement les difficultés de certains jeunes. Les deux premiers jours de ce programme sont consacrés à s'assurer que les papiers des arrivants sont en ordre et que chacun bénéficie effectivement de ses droits. Vous seriez surpris de voir le nombre de jeunes qui n'ont pas de carte Vitale, ne voient jamais de médecin ni de dentiste et qui décrochent à l'école parce qu'ils ont des problèmes de vue.