Nos deux commissions accueillent aujourd'hui le général Daniel Ménaouine, directeur du service national et de la jeunesse du ministère des armées, en tant que rapporteur du groupe de travail sur le projet de service national universel (SNU).
Nous n'auditionnerons pas M. Hubert Védrine qui a été chargé par le président de la République de représenter la France aux États-Unis à l'occasion des obsèques du Président Bush.
Nous sommes heureux de vous accueillir, Général, pour nous éclairer sur un sujet sur lequel nous avons eu, jusqu'à présent, assez peu d'informations. Chargé par le Président de la République, au début de 2018, de formuler des propositions en vue de la mise en oeuvre du SNU, ce groupe de travail a rendu deux rapports, l'un le 26 avril 2018, qui s'efforce de définir un schéma de SNU, l'autre le 12 novembre, qui synthétise les résultats d'une consultation menée tambour battant, entre juillet et octobre auprès de jeunes, de représentants du monde associatif, d'acteurs économiques, d'administrations et d'élus. Personnellement, je me demande quels élus ont été consultés : chacun se souvient combien nous avons regretté que le Parlement ne soit pas consulté sur un projet de société susceptible d'impacter de nombreuses familles.
Le schéma que vous proposez comporte deux grandes phases : une phase obligatoire dite de cohésion, s'adressant à tous les jeunes de plus de 16 ans, et comprenant deux semaines en hébergement collectif et deux semaines consacrées à des missions d'intérêt général, soit au total un mois. Viendrait ensuite une phase facultative d'engagement, sur la base du volontariat, et jusqu'à l'âge de 25 ans, qui permettrait aux jeunes de s'engager pour une période plus longue dans des dispositifs qui, pour la plupart, existent déjà, comme la réserve ou le service civique.
À la suite de nos rapporteurs Jean-Marie Bockel et Jean-Marc Todeschini, cette proposition peine à nous convaincre et des questions demeurent. Tout le monde partage l'objectif de renforcer la cohésion nationale et de promouvoir l'engagement envers la collectivité. Mais est-il besoin pour cela de mettre sur pied un dispositif aussi hasardeux et aussi coûteux ?
Côté hasardeux, les élus de terrain que nous sommes s'interrogent tant sur l'hébergement - qu'il faudra aller chercher du côté des internats, des logements universitaires et des centres de loisirs -, que sur le contenu de cette période, qui reste pour l'instant assez peu consistant... Tout cela paraît bien léger, notamment au regard des problèmes pratiques que la cohabitation en milieu fermé de jeunes issus d'horizons divers et des deux sexes ne va pas manquer de provoquer.
Le coût du projet ne doit pas non plus être éludé. Sur ce point, votre rapport retient des estimations : 1,7 milliard d'euros d'investissement initial et 1,6 milliard annuel de fonctionnement courant. Ces coûts sont très inférieurs au chiffrage du Sénat en 2015 - soit 3 milliards par an - et au chiffrage du rapport d'inspection, auquel nous n'avons jamais eu accès.
Les finances publiques peuvent-elles supporter une telle dépense dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons et alors qu'il y a tant de politiques prioritaires à financer, à commencer par la défense et l'école ? À cet égard, la préoccupation commune de nos deux commissions sera de préserver les crédits alloués aux missions dont nous assurons le suivi : pour les armées, nous avons voté un article dans la loi de programmation militaire excluant qu'elle finance le SNU. Il faudra donc trouver des ressources ailleurs; mais où ?
Pour que chacun mesure bien l'enjeu, je rappelle qu'aucun financement n'est prévu dans le PLF 2019 alors qu'une expérimentation du SNU, annoncée par le président de la République, devrait être mise en place avant l'été prochain. Comment va-t-elle être financée ?
Enfin, il y a la question juridique : en l'état, notre Constitution ne permet pas d'imposer aux jeunes l'accomplissement d'un tel service, qui n'est pas de la « défense ». Une disposition visant à l'autoriser a été introduite dans le projet de loi constitutionnelle dont l'examen à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, devrait reprendre bientôt.
Quant à la consultation des jeunes, franchement, peu d'entre eux en a entendu parler. Votre synthèse, Général, ne cache d'ailleurs pas l'absence d'enthousiasme des jeunes et leur réticence vis-à-vis de son caractère obligatoire et subi, ainsi que sa durée, sans parler des réactions hostiles de nombre d'associations de jeunesse.
Nous sommes dans l'attente d'une annonce présidentielle, attendue initialement pour décembre, mais il va sans dire que le calendrier pourrait encore glisser dans le contexte actuel. Pourtant, le lancement de la phase de préfiguration semble se préparer activement dans les ministères et même sur le terrain. Nous vous serions reconnaissants de nous dire où nous en sommes.