Nous allons tenter de vous répondre à deux voix, avec Laurent Nunez. Nous évoquerons la situation, telle que nous l'avons observée, et vous ferons part des enseignements nécessaires à en tirer pour adapter notre réponse si de tels événements devaient se reproduire samedi prochain.
Au-delà de votre droit constitutionnel à demander que les ministres rendent compte au Parlement, dans le cadre de sa mission de contrôle, il me semble que l'émotion nationale est telle que nous devons vous présenter en toute transparence la situation telle que nous l'observons et l'analysons. Nous sommes dans une démarche de totale transparence avec vous. Toutefois, nous n'évoquerons que les modalités de préparation du dispositif pour samedi prochain, car ce dernier n'est pas encore totalement arrêté à ce jour. Je poursuis mes consultations : j'ai rencontré la maire de Paris hier, les maires d'arrondissement, l'ensemble des organisations syndicales de la police ce matin et je rencontrerai les représentants des gendarmes après cette audition pour affiner le dispositif. Nous vous présenterons les évolutions que nous souhaitons voir mises en oeuvre.
En effet, la France a connu le week-end dernier des événements d'une extrême gravité, ainsi que vous les avez qualifiés, monsieur le président. Avec celles et ceux qui m'accompagnent ce soir, nous avons vécu cette violence à chaque instant. Les attaques immédiates ont été beaucoup plus violentes que tout ce que l'on a pu connaître lors de toutes les manifestations au cours de ces trente dernières années au moins, à Paris, mais aussi en province.
Je veux préciser que, même si ces incidents ont été très graves, nos forces de l'ordre, qui se sont heurtées à des scènes de guerre, n'ont pas été mises en échec : à dix-neuf heures, Paris était maîtrisé. Je sais que ce n'est pas satisfaisant de dire cela, mais je veux apporter un soutien massif, net et clair à nos forces, qui ont pu se trouver à certains moments - je l'assume totalement et j'en prends ma part de responsabilité - dépassées. À cet égard, permettez-moi de citer les propos d'un représentant syndical, que nous avons rencontré ce matin : nous avons lutté face à des gens qui n'ont pas de limites ; nous, nous avons eu une limite, elle s'appelle la démocratie. C'est parce que nos forces de l'ordre ont systématiquement cherché des réponses proportionnées face à la violence, face à des femmes et des hommes qui voulaient blesser, voire tuer dans certains cas, qu'elles n'ont pas toujours tenu. Mais elles ont bien fait de reculer : quand la vie d'un policier ou d'un gendarme est en cause, il doit se protéger - si je ne devais donner qu'une seule instruction, ce serait celle-là -, et je sais que nous sommes tous rassemblés sur ce sujet. Face à ces actes odieux, les forces de l'ordre ont fait preuve de détermination et de sang-froid.
Je vous livre le bilan parisien de la journée du 1er décembre : 412 personnes ont été interpellées - un niveau jamais atteint dans l'Histoire - ; 378 personnes ont été placées en garde à vue ; 163 personnes ont été déférées au parquet de Paris les 2 et 3 décembre ; 73 personnes ont été jugées dès lundi en comparution immédiate ; 20 comparutions immédiates sont actuellement en cours depuis le début de l'après-midi au tribunal de Paris ; 15 condamnations à des peines de prison ferme ont d'ores et déjà été prononcées ; 8 mandats de dépôt ont été exécutés dans le cas de condamnations ou de renvoi de l'audience. Jamais autant de personnes n'avaient été placées en garde à vue dans le cadre d'un événement revendicatif à Paris. J'ai demandé aux services de police d'accélérer leur travail d'enquête pour interpeller, dès que possible, tout casseur formellement identifié. Ce travail méticuleux portera ses fruits et permettra de ne laisser aucun de ces actes impunis, j'en suis convaincu.
Nous intervenons évidemment à chaud, trois jours à peine après les événements du 1er décembre, quelques jours avant de possibles nouvelles actions prévues le 8 décembre, quelques heures aussi après l'annonce d'un certain nombre de mesures par le Premier ministre. Je veux profiter de cette audition pour porter avec vous un message essentiel : l'appel au calme. J'invite les gilets jaunes raisonnables, ceux qui ne soutiennent pas l'action violente, à se désolidariser des extrêmes et à ne pas se rassembler à Paris samedi prochain, ni dans les lieux ayant fait l'objet de tensions.
La préfecture du Puy-en-Velay a été attaquée, on a voulu y mettre le feu alors que des fonctionnaires étaient en son sein et on a empêché les services d'incendie et de secours d'y accéder.
Samedi, nous avions fait un choix qu'aucun ministre de l'intérieur n'avait jamais fait, celui non pas d'autoriser la manifestation sur les Champs-Élysées, mais de laisser la possibilité, comme une main tendue, aux gilets jaunes, qui en avaient fait un lieu symbolique, d'y manifester. Quelque 750 personnes ont accepté cette proposition, à la condition que leurs sacs soient fouillés pour éviter des armes par destination. C'était la seule condition ; toutes les rues adjacentes étaient ouvertes, même lorsque la tension a été la plus forte sur la place de l'Étoile. Celles et ceux qui ont fait le choix de ne pas venir manifester pacifiquement sur les Champs-Élysées, je vous le dis, doivent assumer la coresponsabilité d'avoir été aux côtés des casseurs et d'avoir très souvent empêché nos forces de l'ordre d'agir. Une intervention trop brutale de nos forces aurait pu créer un mouvement de violence, y compris chez les personnes qui ne commettaient pas d'actes de violence. Aussi, je souhaite vraiment saluer l'action des forces de l'ordre.
J'ai rencontré chaque jour, depuis dix-sept jours, les forces de police et de gendarmerie, et je sais leur engagement. J'ai découvert chez eux la crainte de mal faire, la volonté de toujours trouver le geste proportionné, même face à la violence. Quand vous êtes ministre, vous êtes dans un bureau, vous êtes avec des femmes et des hommes compétents qui ont toute votre confiance, mais, à un moment donné, vous ne devez jamais négliger que votre décision impliquera une femme ou un homme, qui, sur le terrain, court un risque pour sa vie. C'est aussi cela la réalité de l'action politique, et ce n'est pas à vous sénateurs, qui connaissez le terrain mieux que quiconque, que je vais l'apprendre.
Je veux rendre un hommage appuyé aux unités de terrain, à ces femmes et à ces hommes dont le maintien de l'ordre n'est pas forcément la spécialité, qui se sont retroussé les manches - pardonnez-moi cette expression - pour venir sur le terrain. Pour prendre l'exemple de Paris, on comptait près de 3 000 personnes mobiles en dehors des forces statiques. C'est cela aussi la réalité. Je veux évoquer le sang-froid de ceux qui ont agi à La Réunion, à Charleville-Mézières, à Toulouse, à Saint-Étienne, à Bordeaux ; la liste n'est pas exhaustive. J'ai échangé, par exemple, dimanche après-midi avec le chef qui était sur le site de Narbonne : retranché avec ses collaborateurs, alors que l'on mettait le feu à l'ensemble du dispositif de péage et qu'ils recevaient des cocktails Molotov, il a fait un choix, celui de partir. Il a bien fait ; je lui ai dit qu'il avait toute ma confiance d'avoir sauvé ses hommes ; c'est cela l'essentiel. Il importe de ne jamais l'oublier ; je pense à eux, à leurs proches. Gardons à l'esprit que le mouvement des gilets jaunes se distingue très fortement des mouvements revendicatifs que l'on a pu connaître par le passé, et ce pour plusieurs raisons.
Laurent Nunez évoquera maintenant l'évolution du mouvement et la dérive observée.