Intervention de Laurent Nunez

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 décembre 2018 à 16h30
Manifestations à paris et dans plusieurs villes de france — Audition de Mm. Christophe Castaner ministre de l'intérieur et laurent nunez secrétaire d'état auprès du ministre de l'intérieur

Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur :

Vous l'avez souligné vous-même, monsieur le président, le mouvement des gilets jaunes se distingue très fortement des mouvements revendicatifs que l'on a pu connaître par le passé, et ce en raison de plusieurs caractéristiques, qui rendent d'ailleurs toute comparaison très difficile. On a entendu beaucoup de commentaires a posteriori, mais, franchement, il y a très peu de précédents de cette organisation, qui témoigne d'une évolution et d'une dérive.

Vous avez indiqué, monsieur le président, que le mouvement était majoritairement pacifique. Ce fut peut-être vrai au début, mais ce le fut moins ensuite et cela l'est encore moins ces derniers jours.

Voici les quelques étapes essentielles du mouvement.

Samedi 17 novembre : démarrage de l'appel à la mobilisation nationale. 282 000 personnes ont participé, au cours de cette journée, à des actions et des rassemblements dans tout le pays. Dans la grande majorité des cas, effectivement, les actions sont restées pacifiques et bon enfant malgré, déjà, l'apparition d'actes de blocage et de tensions sur certains points de blocage, qui étaient très majoritairement liés à la désorganisation et au mode opératoire choisi par les organisations. En effet, sans organisateur, il n'y a pas de déclaration de manifestation. Les blocages de voies publiques mis en place ont mis en danger les manifestants et les usagers. D'ailleurs, une personne a trouvé la mort lors de la première journée, et nous avons déploré 388 blessés.

Le mouvement a perdu de son intensité durant la semaine qui a suivi. Le dimanche, 46 000 personnes étaient mobilisées sur l'ensemble du territoire national. Lundi, 27 000 personnes étaient mobilisées. Le mardi, 34 000 personnes, et le mercredi, 15 000 personnes, un socle qui s'est maintenu jusqu'à la journée du samedi 24 novembre.

Samedi 24 novembre, le mouvement a basculé dans la violence. 166 000 participants ont été dénombrés sur l'ensemble du territoire. Des violences, des exactions, des destructions et des pillages ont été commis dans le quartier des Champs-Élysées. Je le redis, face à la désorganisation du mouvement, contrairement à ce qui se passe systématiquement, notamment à Paris, où les manifestants prennent l'attache du préfet de police, nous avons proposé que le rassemblement ait lieu sur le Champ-de-Mars, un espace où la sécurisation est beaucoup moins complexe.

Nous avions également prévu un périmètre d'exclusion puisqu'il y avait un appel manifeste à se rendre à l'Élysée, à l'Assemblée nationale : toute circulation et tout accès piétonnier étaient interdits aux abords de ces sites. Très tôt le matin du 24 novembre, des éléments identifiés proches de l'ultra-droite ont attaqué le périmètre de protection mis en place en bas des Champs-Élysées autour des institutions de la République, plus précisément sur le rond-point des Champs-Élysées. Puis, par un effet de contagion ou d'opportunisme, le même que nous avons constaté le 1er décembre, sur lequel je reviendrai ultérieurement, d'autres groupes ont multiplié les attaques contre les forces de l'ordre sur l'avenue des Champs-Élysées, puis contre certaines enseignes commerciales en fin d'après-midi à Paris. Ce sont 103 interpellations qui ont alors été réalisées.

Tout au long de la semaine, la mobilisation n'a cessé de décroître, alors que les points de tension, eux, se multipliaient. Entre 12 000 et 17 000 personnes, selon les jours, ont été recensées sur les différents points de blocage.

Comme l'a souligné le ministre de l'intérieur, la journée de samedi dernier a connu un pic d'une extrême violence dans plusieurs quartiers de la capitale, mais aussi en province. J'insiste sur le fait que plusieurs quartiers de la capitale ont été touchés. Différents mouvements se sont déroulés en de nombreux endroits de la capitale, ce qui est inédit, avec manifestement la volonté de déstabiliser le dispositif de sécurité, de le désorganiser, d'attirer nos effectifs sur certains points, puis les ramener sur d'autres. Bref, à un moment, nous avons eu à gérer cinq grands lieux de rassemblement, avec plusieurs points d'attaque. Disons clairement les choses : il s'agissait d'attaques dirigées contre nos forces de l'ordre, contre les institutions, avec, toujours, la volonté de s'approcher au plus près du siège de celles-ci. Nous avons comptabilisé 136 000 participants sur l'ensemble du territoire. Nous avons procédé à 682 interpellations, dont 412 à Paris, un chiffre jamais atteint par le passé, comme l'a relevé le ministre de l'intérieur. Par ailleurs, 207 gilets jaunes ont été blessés, ainsi que près de 300 policiers et gendarmes. J'insiste sur ce chiffre : comme l'a souligné là encore le ministre de l'intérieur, les forces de l'ordre n'ont donc pas été mises en échec, le nombre de blessés ayant été relativement faible face à la violence déployée. Cela n'a, en revanche, pas été le cas en province, où les blessés ont été beaucoup plus nombreux.

La radicalisation violente du mouvement est aujourd'hui incontestable. Il a basculé dès la première semaine, avec un changement très net de sa physionomie. Sur le plan sociologique, le public de personnes âgées, commerçants et salariés s'est réduit, alors que les plus jeunes, souvent sans emploi, également plus agressifs, sont restés.

Sur le plan géographique, le mouvement qui concernait au départ uniformément la France s'est concentré à l'ouest d'une ligne allant d'Amiens à Grenoble. Sur le plan des perturbations, alors que les voies de communication constituaient au départ la cible majoritaire, on a progressivement assisté à un déplacement du mouvement vers les centres économiques, les dépôts pétroliers, les centres logistiques. Samedi dernier, un nouveau palier a été franchi, avec des exactions à l'encontre des symboles de l'État - préfectures, mairies, trésoreries et permanences parlementaires -, sans oublier les nombreuses agressions de journalistes, qui ont retenu toute notre attention.

Je note l'incapacité du mouvement à se structurer, à faire émerger un ou plusieurs leaders capables de dialoguer avec les institutions, alors que ce dialogue est pourtant essentiel. Comme je l'ai dit, sans organisateur, l'État se retrouve seul à encadrer un mouvement totalement désorganisé, qui se transforme en attroupements. Dans le cadre de manifestations traditionnelles, des services d'ordre sécurisent le cortège : samedi dernier, certaines manifestations avaient leur service d'ordre ; c'était aussi le cas le 24 novembre dernier. Ces services permettent d'assurer à la fois la sécurité des personnes et des biens et la liberté d'expression. Permettre l'exercice de cette liberté dans des conditions de sécurité est, avec Christophe Castaner, l'une de nos missions principales.

Vous connaissez les conséquences dramatiques de cette désorganisation : 3 décès, qui ont tous été occasionnés dans le cadre des barrages routiers ; 1 032 blessés, dont 39 graves. Les actions, d'une rare complexité, avec de nombreux barrages routiers, toujours imprévisibles, ont nécessité une mobilisation des forces de l'ordre en des points très éclatés, avec, parfois, des tensions entre manifestants. D'ailleurs, un certain nombre de gilets jaunes ont demandé une protection des forces de l'ordre aux services de l'État en raison des menaces dont ils faisaient l'objet.

Cette désorganisation permet bien évidemment toutes sortes d'infiltrations. Samedi dernier, nous avons constaté la présence de groupes de casseurs d'ultra-droite et d'ultra-gauche, et des manifestants ont prêté main-forte à ces différents groupes de manière assez complaisante. On s'est retrouvé face à quelques milliers de casseurs dans les rues de la capitale, un fait totalement inédit : autant de casseurs sur autant de points dans la capitale, cela ne s'est jamais produit - nous en tirerons bien sûr toutes les conséquences. Bien malin qui pouvait dire que ce scénario était prévisible ! Cette violence s'est aussi accompagnée d'actions visant à obstruer les services de secours. Les pompiers ont été empêchés d'éteindre l'incendie qui commençait à embraser la préfecture du Puy-en-Velay ; à Paris, les sapeurs-pompiers ont fait systématiquement l'objet d'attaques quand il s'est agi d'éteindre un feu, voire de porter secours. C'est dire la gravité de la situation.

Ces dernières heures, la mobilisation sur le terrain est plus erratique, même si les appels à l'action, parfois violente, se multiplient sur les réseaux sociaux.

Enfin, nous enregistrons une mobilisation des lycéens, qui s'est accrue dans certaines villes, notamment en Île-de-France, et qui est devenue plus violente, sans doute par mimétisme.

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