Cette convention arrive alors que se sont multipliées les affaires impliquant des stratégies d'optimisation fiscale par des grands groupes, impliquant le Duché de Luxembourg, considéré comme un pays à la fiscalité avantageuse - plus pour les personnes morales que pour les personnes physiques, du reste.
Nos travaux sont facilités par le travail considérable effectué par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que je salue ici : elle fournit à ses membres des modèles de convention qui paraissent les plus à même de garantir la transparence fiscale et la lutte contre l'évasion fiscale. L'objectif, c'est la sécurité juridique des opérateurs économiques et la protection des bases imposables, autrement dit, la garantie que les opérateurs économiques sont imposés là où ils créent de la valeur. L'accord reprend la totalité des éléments préconisés par l'OCDE.
Il consiste en une révision générale d'une convention qui date de 1958, et qui a au fil du temps fait l'objet de nombreux avenants. Le dernier a été approuvé par le Sénat en 2015. Ces avenants concernaient des aspects très ponctuels des relations fiscales entre la France et le Luxembourg, pour limiter les abus constatés : par exemple, en 2015, sur les investissements immobiliers, où les stratégies d'optimisation aboutissaient à une double exonération des plus-values... L'avenant a produit des effets positifs. Mais nous avions à l'époque souhaité une révision générale.
Cette refonte s'inspire très largement des travaux de l'OCDE, et notamment du « traité multilatéral pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices », ou traité CML, ratifié cette année.
Le travail mené entre nos deux pays illustre une saine articulation entre le multilatéral et le bilatéral. Alors même que la convention multilatérale n'entrera en vigueur en France qu'au 1er janvier prochain et n'a pas encore fait l'objet d'une ratification au Luxembourg, elle a pourtant très largement inspiré la négociation, au point que la quasi-totalité des articles sont conformes au modèle de l'OCDE.
La convention multilatérale prévoit la possibilité de prendre ou non, dans des menus à options, certaines obligations. Le Luxembourg, prudent, en avait retenu un nombre très minimal. La France avait pris un nombre important d'engagements. Or au cas présent, le Luxembourg a accédé à l'ensemble des demandes de notre pays, sauf sur un point mineur touchant l'imposition des retraités luxembourgeois vivant en France - ils resteront imposés au Luxembourg.
La négociation est incontestablement un succès. Cela est dû en grande partie au changement d'attitude du Luxembourg ; il figure désormais parmi les pays qui ont adopté la nouvelle norme commune d'échange automatique de données de l'OCDE. Les premiers échanges de renseignements concernant les données ont été effectifs en 2018. Le forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales de l'OCDE a relevé la note du Luxembourg en matière de transparence fiscale, de « non-conforme » à « largement conforme ». La notation du Luxembourg est désormais identique à celle des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou encore de l'Italie.
J'en viens aux principales avancées. L'actuelle convention ne contient pas de définition précise de la résidence fiscale ; la nouvelle reprendra la définition de l'OCDE et permettra d'éviter les situations de double exonération. La nouvelle convention prévoit une clause générale anti abus qui empêchera des montages complexes ayant pour unique objet de tirer des avantages fiscaux de l'application de la convention.
La définition d'un établissement stable permettra de déjouer les montages qui, par le biais d'intermédiaires, notamment de commissionnaires, ou à travers la fragmentation des fonctions de l'entreprise, sont organisés pour diminuer la base fiscale.
En l'absence d'une imposition partagée des redevances avec un taux minimal de retenue à la source, la faible imposition des redevances au Luxembourg a pu conduire à une évasion fiscale importante. La nouvelle convention y remédie.
Elle pose le principe de l'imposition des dividendes dans l'État de résidence des bénéficiaires, mais aussi la possibilité que l'État de la source puisse les imposer à un taux n'excédant pas 15 % de leur montant brut.
Ces avancées permettent aujourd'hui de situer cette convention parmi les plus proches des standards les plus récents pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.
Si l'on compare cette convention avec celles que nous avons avec la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas - aucune ne contient de clause anti abus, aucune ne définit l'établissement stable - on mesure le chemin parcouru. La convention avec le Grand-Duché constitue un modèle qui pourrait inspirer la révision des conventions fiscales avec nos principaux partenaires économiques.
Le texte ne règle pas toutes les difficultés : il a été négocié par les deux parties dans le respect du pouvoir de chacun ; ce n'est pas une convention d'harmonisation fiscale, mais il organise les relations fiscales entre deux pays.
Pour le dire autrement, cette convention renforce la sécurité juridique pour l'ensemble des opérateurs, évite les doubles impositions ainsi que les doubles non-impositions, renforce les moyens de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Elle règle la question des travailleurs frontaliers, avec l'instauration d'une possibilité de télétravail jusqu'à 30 jours sans double déclaration. Certains demandent 60 jours, mais c'est déjà une avancée, car cela n'existait pas auparavant. L'accord ne touche en rien cependant aux différences d'imposition, concernant le taux et les méthodes d'imposition des sociétés.
Or, chacun le sait, la fiscalité du Luxembourg est plus avantageuse que la fiscalité française. Les disparités sont encore accrues par le ruling pratiqué par le Luxembourg, en français des « décisions anticipatives en matière fiscale ». Ces accords individuels, autrement dit des rescrits fiscaux, étaient autrefois secrets, ils sont maintenant notifiés publiquement. Ce sont ces accords qui ont été à l'origine de l'affaire dite du « Luxleaks » ; l'administration fiscale luxembourgeoise avait conclu plusieurs centaines d'accords avec des multinationales.
Sans parler de ces accords, sur un certain nombre d'impositions, le droit commun en matière de redevances sur le droit à l'image, les brevets, ou en matière de dividendes ou de plus-values liés à la cession de capital, le constat est clair : la fiscalité luxembourgeoise est de façon générale plus avantageuse que la fiscalité française. Cette convention ne traite pas de ce différentiel.
En revanche, cette situation appelle plusieurs observations. La première, et la principale, est que la lutte contre les pratiques fiscales agressives au sein de l'Union européenne relève de l'Union européenne. Or le cadre juridique européen a été considérablement consolidé en ce qui concerne la transparence fiscale et la lutte contre l'optimisation fiscale ; les directives sur la transparence des entreprises multinationales, sur la lutte contre l'optimisation fiscale agressive, sur la qualification juridique de certains instruments financiers, et sur les montages d'optimisation fiscale serviront de cadre à l'application de la convention.
Les difficultés nées du différentiel d'imposition ou de dumping fiscal doivent être réglées par une harmonisation fiscale accrue, notamment de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Deux projets de directive sont cruciaux à ce sujet : la directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés et la directive sur la taxe sur les services numériques.
Par conséquent, la présente convention bilatérale a vocation à être complétée par des avancées du droit européen. Au bénéfice de ces observations, je suis favorable à l'adoption du projet de loi.