Intervention de Martine Berthet

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 décembre 2018 à 13h35
Proposition de loi visant à sécuriser l'exercice des praticiens diplômés hors union européenne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Martine BerthetMartine Berthet, rapporteur :

Il est une catégorie de praticiens contractuels exerçant dans les hôpitaux que notre commission connaît bien, celle des médecins intérimaires, souvent dénommés - parfois à juste titre - médecins « mercenaires ». Ce sont d'autres contractuels qui font l'objet de nos travaux de ce jour, bien moins rémunérés, cantonnés à une précarité qu'ils n'ont pas choisie, mais essentiels au fonctionnement quotidien de nos hôpitaux : les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens titulaires d'un diplôme d'un pays n'appartenant pas à l'Union européenne, les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).

Dans la mesure où ce sont en très grande majorité des médecins qui sont concernés par ces difficultés comme par le texte que nous examinons aujourd'hui, je parlerai essentiellement de cette profession dans ma présentation ; n'oublions pas cependant que d'autres professions médicales et hospitalières sont également concernées.

La situation des Padhue s'apparente, à divers titres, à un angle mort des politiques hospitalières, et elle est, plus généralement, un symptôme des dysfonctionnements de notre système de santé.

C'est un angle mort, tout d'abord, parce que ces praticiens ne correspondent pas à une catégorie ou à un statut spécifique de personnels hospitaliers. Ils sont recrutés de gré à gré par les établissements, où ils peuvent exercer pendant de nombreuses années sans plénitude d'exercice, sur le fondement d'un contrat précaire assorti d'une faible rémunération, en tant par exemple que stagiaires associés, ou que faisant fonction d'interne (FFI), pour une durée de six mois renouvelables une fois, et pour une rémunération de quelque 15 000 euros bruts annuels. Certains bénéficient toutefois d'un contrat de praticien attaché associé (PAA), qui peut, sous certaines conditions, devenir un CDI, avec une rémunération d'environ 36 000 à 39 000 euros bruts par an. En tout état de cause, ils ne sont pas inscrits à l'ordre des médecins.

Cette situation est très frustrante pour ces praticiens, qui, en pratique, n'ont pas le droit d'établir eux-mêmes leurs prescriptions, en dépit de leur qualité de médecin et d'une durée d'exercice parfois considérable au sein de nos hôpitaux. Cela ne signifie pas, en outre, que leur activité soit allégée ; il ne serait pas rare que ces praticiens assument davantage de contraintes que les autres, plus de tours de garde par exemple.

C'est un angle mort, ensuite, parce que leur situation n'a jamais été véritablement réglée par le législateur. Depuis 1972, pas moins de six lois se sont succédé sur ce thème, aboutissant à la mise en place d'une réglementation complexe, transitoire et dérogatoire, qui a fréquemment évolué depuis 1995. Je vous renvoie aux travaux de Victoire Cottereau, une universitaire qui a consacré sa thèse de doctorat en 2015 aux Padhue et qui a représenté cette législation complexe sous forme graphique.

La plupart des dispositifs législatifs successivement mis en place comportent deux volets : l'un vise à sécuriser, de manière transitoire, l'activité de fait des Padhue dans les hôpitaux, sous la responsabilité d'un autre praticien ; l'autre prévoit les conditions dans lesquelles ces Padhue peuvent accéder à une activité pérenne ou de plein exercice.

La dernière réforme d'ampleur date de 2006, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2007, qui a créé plusieurs voies d'accès au plein exercice pour les praticiens titulaires d'un diplôme étranger. La voie d'accès de droit commun, dite de la « liste A », consiste en un concours très sélectif - en 2017 par exemple, les 488 lauréats représentaient 8 % du nombre de candidats inscrits -, suivi d'une période probatoire de trois ans. Il existe également une liste B, réservée aux candidats réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Enfin, un dispositif spécifique, dit de la « liste C », a été prévu pour les Padhue déjà en activité dans les hôpitaux ; c'est sur celui-ci que portent nos travaux de ce jour.

En prenant en compte les modifications intervenues ensuite dans une nouvelle loi de 2012, ce mécanisme à double détente peut être résumé de la manière suivante. Il consiste tout d'abord en une autorisation temporaire d'exercice couvrant, jusqu'au 31 décembre 2018, les diplômés étrangers exerçant dans un établissement de santé public ou privé d'intérêt collectif, à condition qu'ils aient été recrutés avant le 3 août 2010 et qu'ils aient été en poste au 31 décembre 2016. Comme vous pouvez le constater, ce dispositif arrive à expiration, et la pratique des Padhue exerçant dans nos hôpitaux depuis 2010 au plus tard deviendra illégale au 1er janvier prochain.

Il comprend ensuite un examen d'autorisation de plein exercice sans quota (la liste C proprement dite), ouvert sous deux conditions : l'exercice de fonctions rémunérées pendant au moins deux mois continus entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011 ; une durée de trois ans d'exercice à temps plein à la date de clôture des inscriptions. Cet examen n'existe plus depuis 2016.

Au total, 5 418 médecins se sont vu reconnaître la plénitude d'exercice, depuis 2010, par le biais des différentes procédures d'autorisation ouvertes en 2006 - listes A, B ou C. Tous les Padhue actuellement présents sur notre territoire n'ont cependant pas pu en bénéficier, notamment parce qu'ils ne remplissaient pas les conditions d'éligibilité à la liste C. J'ai ainsi rencontré un cancérologue qui a suivi un parcours de surspécialisation aux États-Unis en 2010 et 2011, et qui, en dépit de sa compétence manifeste, n'a pu s'inscrire à cet examen, puisqu'il n'a pas travaillé pendant deux mois continus entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011.

En raison du faible nombre de places ouvertes par spécialité, le concours de la liste A n'est pas plus accessible : certains praticiens ont été recalés avec d'excellentes moyennes ; d'autres n'ont pu s'y inscrire parce que leur spécialité n'y était pas représentée. Dans l'attente d'une solution pérenne, ils continuent d'exercer sans plénitude d'exercice, sur les contrats plus ou moins précaires que j'ai mentionnés tout à l'heure.

Vous le constatez comme moi, si le règlement du sort des Padhue n'est pas simple, c'est qu'il recouvre une myriade de situations et de parcours individuels. Cela me conduit au troisième des angles morts que j'évoquais en introduction : le Gouvernement comme l'ordre des médecins sont dans l'incapacité d'évaluer le nombre de Padhue actuellement en activité sans plénitude d'exercice. Cela résulte à la fois de l'autonomie de gestion des hôpitaux, qui n'ont pas à rendre compte des recrutements qu'ils effectuent par voie contractuelle, et du fait que les Padhue ne sont pas inscrits à l'ordre.

Selon les syndicats de praticiens, 4 000 à 5 000 professionnels seraient aujourd'hui en difficulté ; 3 000 à 4 000 d'entre eux auraient été recrutés après 2012, et ne sont donc pas éligibles à la liste C. Ces recrutements sont intervenus en toute illégalité, puisque chacune des lois ayant successivement réglé le sort des Padhue a réaffirmé l'interdiction pour les hôpitaux de recruter de nouveaux professionnels. Le fait que ces recrutements aient cependant eu lieu n'atteste pas seulement de la complexité de la législation applicable aux Padhue, dont il résulte que certains hôpitaux la contournent sans le savoir ; il témoigne plus généralement du dysfonctionnement de notre système de santé face à la pénurie de professionnels médicaux, dont les Padhue sont une variable d'ajustement.

Nous le savons tous : dans de nombreux hôpitaux situés en zone sous-dotée, nécessité fait loi ; un poste pourvu par un Padhue sans plénitude d'exercice est un poste qui, sans lui, resterait vacant. Ces praticiens, qui ont pu à juste titre être qualifiés d'invisibles, sont ainsi devenus, au fil des années, indispensables au fonctionnement des hôpitaux français, principalement dans les zones sous-dotées.

Cette situation est très largement insatisfaisante. Elle l'est, en premier lieu, pour ces praticiens. Sans revenir sur les éléments que je vous ai déjà indiqués, il ne me paraît pas acceptable que des praticiens médicaux puissent exercer pendant plusieurs années au sein de nos hôpitaux dans des conditions matérielles dégradées, sans visibilité aucune sur leur avenir et sans inscription ordinale.

C'est insatisfaisant pour le fonctionnement de l'hôpital et la qualité des soins, en second lieu. Je ne remets pas en cause la compétence des Padhue - ceux que j'ai rencontrés m'ont semblé présenter toutes les garanties de compétence et d'implication dans leur activité -, mais cela ne préjuge pas des qualifications professionnelles de l'ensemble d'entre eux, ni d'ailleurs de leur niveau de maîtrise de la langue française. L'ordre des médecins m'a indiqué sur ce point que des abus avaient été constatés dans les territoires les plus touchés par les pénuries de professionnels, notamment outre-mer. Il n'est pas acceptable que le même niveau de prise en charge ne soit pas garanti à l'ensemble de nos concitoyens en tout point du territoire.

C'est insatisfaisant pour les patients, en troisième lieu. Il me paraît difficilement justifiable, pour des raisons de bonne information et de transparence, que ceux-ci puissent avoir affaire à des praticiens ne disposant pas de la plénitude d'exercice sans en être parfaitement informés.

Face à cette situation, l'ambition de la proposition de loi est très modeste. Il s'agit simplement de prolonger de deux ans, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2020, l'autorisation d'exercice dérogatoire mise en place par la LFSS pour 2007. Cette disposition figurait initialement à l'article 42 de la loi du 10 septembre 2018 sur l'immigration, mais elle a été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.

Cette prolongation du dispositif mis en place en 2006 serait la troisième, après celles qui sont intervenues dans la loi dédiée de 2012 et dans la loi dite « Montagne » de 2016. Il s'agit donc d'une mesure d'urgence, qui vise à éviter que les quelque 300 praticiens concernés, selon les estimations approximatives qui m'ont été transmises par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), se retrouvent hors-la-loi le 1er janvier prochain.

C'est bien évidemment très insuffisant, ne serait-ce que parce que la plupart des Padhue exerçant actuellement à titre dérogatoire ne relèvent pas de ce dispositif, puisqu'ils ont été recrutés après 2010. Une réforme d'ampleur permettant d'assurer le plein contrôle des connaissances des diplômés étrangers et de mettre fin aux recrutements abusifs doit donc impérativement entrer en vigueur le plus rapidement possible.

Au terme des auditions que j'ai conduites, il apparaît que la DGOS a assez largement avancé sur une proposition de réforme, qui sera présentée dans le cadre de la prochaine loi de santé ; les syndicats de Padhue, associés à son élaboration, approuvent son architecture générale. L'esprit en sera le suivant : une procédure d'autorisation de plein exercice dérogatoire et temporaire sera mise en place pour assurer l'intégration du plus large nombre de Padhue actuellement en activité ; une fois résorbée la situation actuelle, il ne demeurerait plus qu'une seule voie d'accès à l'exercice des médecins en France, celle de la liste A. Les hôpitaux n'auront plus la possibilité de recruter ces professionnels par voie contractuelle.

Si ces lignes générales me paraissent satisfaisantes, nous devrons cependant être attentifs à plusieurs éléments lors de l'examen de ce texte. Le périmètre du dispositif d'intégration devra être suffisamment large pour couvrir l'ensemble des Padhue aujourd'hui en activité ou en recherche d'activité - certains, du fait de la précarité de leurs contrats, pourraient ne pas être couverts par la condition d'activité qui sera proposée pour y accéder. Il semble par ailleurs que rien ne soit prévu pour régler l'épineuse situation des binationaux titulaires d'un diplôme étranger, qui sont très peu nombreux mais se trouvent dans une impasse, car ils ne satisfont aux critères d'aucun régime d'exercice.

Ces observations étant faites, il me paraît difficile dans l'immédiat de s'opposer à la mesure d'urgence qui nous est proposée, quoique l'on puisse regretter que le dernier report de deux ans, voté dans la loi « Montagne » de 2016, n'ait pas été mis à profit pour définir une solution plus pérenne. Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi, tout en préparant dès aujourd'hui l'examen de la réforme qui nous arrivera dans le cadre de la loi Santé.

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