Intervention de Alain Weill

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Audition de M. Alain Weill président-directeur général d'altice france

Alain Weill, président-directeur général d'Altice France :

Merci de m'accueillir ici au Sénat, dans la maison des territoires. Je commencerai par quelques mots sur l'historique du groupe Altice. Le groupe a été créé dans les années 90, à Châteaurenard, lorsque Patrick Drahi a eu l'intuition qu'il était judicieux d'investir dans le câble, que cette technologie avait de de l'avenir. Il avait 30 ans. Il a eu du mal à trouver un financement local pour l'aider à câbler la ville de Châteaurenard, parce que le système bancaire français n'était pas prêt, et il a trouvé un investisseur américain. Finalement, dans les années 2000, il s'est retrouvé à la tête de la quasi-totalité du câble en France avec le groupe Altice, en ayant investi des milliards d'euros, parce qu'il avait eu cette vision, au moment où les investisseurs institutionnels ou les grosses entreprises publiques ou privées ne croyaient plus à l'avenir du câble. Le câble est le coaxial du cuivre, de la télévision par câble, et, aujourd'hui, de la fibre. Il a donc eu la vision depuis 30 ans de faire passer tous les moyens de communication modernes à travers un câble. Patrick Drahi n'est pas un aventurier : diplômé de Polytechnique, il est expert des télécommunications et aussi des financements, ce qui est indispensable lorsque l'on investit dans des infrastructures aussi lourdes.

Le groupe Altice est partagé en deux divisions principales. La première, en Europe, représente 70 à 80 % du chiffre d'affaires. Cette division est présente en France, qui représente 40 % du chiffre d'affaires du groupe, au Portugal, en République dominicaine et en Israël. Au Portugal, nous sommes l'acteur historique puisque nous avons repris Portugal Telecom : le système de déploiement de la fibre y est complètement différent, car il repose sur une licence nationale qui permet de déployer sur l'ensemble du territoire. Nous aurons terminé de fibrer 100 % du pays en 2019, et tous les Portugais auront donc accès à la fibre grâce à nous. De même, on a envie d'être l'un des acteurs principaux du déploiement de la fibre en France. L'autre division concerne les États-Unis. Jamais une entreprise française n'a investi autant aux États-Unis et avec succès. Nous contribuons à fibrer New York et les États-Unis, avec succès. Il est vrai que notre groupe a des dettes très importantes, mais l'activité des télécoms est très généralement associée à des dettes très élevées, un peu comme l'immobilier, car elle repose sur des actifs importants et des revenus récurrents. Il y a deux options. Soit vous ouvrez votre capital pour financer votre développement, et vous perdez l'indépendance de votre groupe ; soit vous souhaitez conserver le contrôle de votre groupe et vous avez recours à la dette. Patrick Drahi a toujours voulu contrôler son groupe. Depuis trente ans qu'il est dans ce métier, il n'a jamais fait d'erreur stratégique. C'est un entrepreneur extrêmement solide, visionnaire. Il a un associé principal, Armando Pereira, Français d'origine portugaise, il est arrivé en France dans les années 70, comme travailleur clandestin. Il a d'abord travaillé dans une entreprise textile du Nord de la France puis il a découvert le monde des télécoms à l'heure du déploiement du cuivre pour le téléphone fixe, enjeu des années du septennat de M. Valéry Giscard d'Estaing. Avoir Armando Pereira à nos côtés est une grande chance parce qu'il a tout connu : il a démarré dans une tranchée avant de créer son entreprise, de la revendre et de s'associer à Patrick Drahi. Altice est donc un groupe très solide qui n'a qu'un métier et qui le fait bien. Le groupe sera donc à la hauteur pour le déploiement de la 4G et de la 5G.

Il y a un an, nous avons rencontré une secousse boursière forte. Depuis, nous avons modifié notre organisation. Le retournement de SFR, cette année, a été exceptionnel. Lors de la reprise de la société, la qualité du réseau était mauvaise et la dette était élevée. Une restructuration était indispensable après l'arrivée du 4ème opérateur, comme l'ont également fait Bouygues Telecom et Orange. Cette année, les actionnaires ont été très présents et le retournement s'est fait à une vitesse incroyable. J'ai rejoint Altice il y a trois ans quand je lui ai cédé mon groupe NextRadioTV. Aujourd'hui, je suis le président de SFR et le directeur général d'Altice Europe, ce qui prouve que la convergence a très bien fonctionné. Nous nous entendons très bien : Patrick Drahi est le stratège, l'homme du marketing et des prix. Armando Pereira est l'homme des opérations et un expert du déploiement ; il est en train d'industrialiser le déploiement de la fibre en France. Je suis l'homme des médias et des relations institutionnelles, et, à ce titre, je suis très souvent sur le terrain, dans les communes, dans les régions, dans les départements car nous avons gagné beaucoup d'appels d'offres depuis un an : en Corse, dans le Gard, dans les Pyrénées Atlantiques, en Isère ou dans l'Oise, où le déploiement est presque terminé, etc. Le retournement de l'entreprise cette année a été incroyable : alors que nous perdions des clients, nous sommes l'opérateur qui a le plus recruté de clients cette année, tant sur le fixe que sur le mobile. Les résultats de SFR du 3ème trimestre ont été les meilleurs du groupe depuis 2005. Certes les marges ont baissé comme celle de nos concurrents : comme il y a quatre opérateurs en France, la concurrence est féroce et se fait sur les prix. On pourrait penser que c'est bon pour le consommateur, mais cela retarde aussi les investissements des opérateurs télécoms. Nous avons décidé cette année de ne pas casser les prix, mais de répondre aux offres promotionnelles de nos concurrents. Cela a été efficace puisque nous avons regagné le million de clients que nous avions perdu, certes au détriment des marges, mais notre stratégie est totalement maîtrisée car l'année prochaine SFR retrouvera le chemin de la croissance, avec un chiffre d'affaires et sans doute un résultat en hausse. Nous avons aussi investi dans le contenu, moyen de faire remonter le revenu par abonné en vendant des programmes. On a lancé cette année, avec succès, RMC Sport, qui compte deux millions d'abonnés. Nous développons aussi des chaînes de télévision locales, comme BFM Paris, et nous lancerons BFM Lyon au 2ème trimestre. Nous croyons beaucoup à la télévision sur le digital, en direct, en linéaire ; la France a beaucoup de retard sur la télévision locale.

SFR ne souhaite pas particulièrement la consolidation du secteur, nous ne sommes pas contraints. Notre cash flow est positif, ce qui signifie que nous avons les moyens de notre ambition comme Orange, tandis que les deux autres opérateurs, plus petits, ne sont pas dans la même situation. À un moment, il y aura un rendez-vous avec l'histoire, quand les investissements devront encore augmenter pour développer la 5G, comme cela s'est passé dans beaucoup de pays. Aux États-Unis, il y a quatre opérateurs mobiles et ils vont passer à trois au moment où la 5G est lancée parce que les deux plus petits se sont rendu compte qu'ils ne pourraient pas financer un réseau supplémentaire. En Chine, le nombre d'opérateurs est passé de trois à deux. En Europe, on compte 87 opérateurs, mais à 87 on ne peut pas financer les infrastructures nécessaires pour la fibre ou la 5G. C'est révélateur des difficultés de l'Europe. Notre continent risque de prendre beaucoup de retard...

La stratégie de SFR repose sur trois piliers : d'abord satisfaire nos clients pour regagner leur confiance. En France, nos clients - ils sont vingt millions - ont été perturbés par les soubresauts de la transformation de SFR ces dernières années. Mais nous avons fait un travail considérable depuis un an. Si nous recrutons des clients, c'est qu'ils sont davantage satisfaits. Le nombre de clients qui partent a baissé, preuve qu'il y a beaucoup moins de problèmes. J'ai lu hier un rapport de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'Arcep, sur la relation client, qui pointe du doigt SFR. J'ai trouvé cette étude de mauvaise foi. L'Arcep n'a pas pour mission de jouer le rôle des associations de consommateurs. Elle le fait d'ailleurs très maladroitement ; elle ne tient pas compte des tendances qui évoluent considérablement tandis que l'écart de notation entre les opérateurs n'est pas très important. La réalité c'est que la relation client change, même si elle est encore loin d'être parfaite aujourd'hui. Modifier la perception de l'opérateur par les clients prend beaucoup de temps. Au moment où l'Arcep publie son rapport, nous avons déjà réalisé un travail considérable. Nos propres études sur l'appréciation des clients ou des études qui sont communes et publiques montrent que sur beaucoup de critères, là où nous étions derniers, nous sommes passés en troisième, voire en deuxième position. La tendance est claire, même s'il reste encore beaucoup de travail à faire.

Les infrastructures constituent une autre de nos priorités. SFR a fait le choix d'investir dans ses infrastructures. Nous ne sommes pas seulement un opérateur commercial, nous souhaitons être aussi un opérateur d'infrastructures. Nous sommes présents sur toutes les délégations de service public (DSP), sur toutes les zones AMEL ; nous avons signé un accord avec Orange pour réaménager la zone d'Appel à Manifestation d'Intention d'Investissement (zone AMII) et nous avons pris des engagements de déploiement vis-à-vis du Gouvernement dans cette zone de moyenne densité. Nous nous appuyons sur notre réseau câble qui est maintenant celui de la fibre FTTB (Fiber To The Building) en très grande partie et qui finalement passera en FTTH (Fiber To The Home). Notre force est d'avoir cru depuis toujours au câble. Nous sommes le numéro un du très haut débit en France. Un abonné au câble modernisé jouit d'une expérience en matière de télévision et d'Internet très haut débit qui est équivalente à celui qui est abonné FTTH ; quand des services sophistiqués permettant de remonter de la donnée depuis le consommateur jusqu'à l'opérateur se développeront, il sera indispensable de passer du FTTB au FTTH, c'est d'ailleurs ce que nous avons commencé à faire. En étant candidat à toutes les DSP et dans toutes les zones AMEL en France, nous espérons passer de 11 millions de prises à 20 millions de prises. C'est pour cela que nous avons créé la société SFR FTTH, que nous contrôlons, qui s'appuie sur des investisseurs européens, Allianz et AXA, et sur un opérateur canadien. Cette société dispose ainsi de financements très importants, ce qui sécurise notre objectif de devenir l'un des deux premiers acteurs du déploiement de la fibre en France. Vous avez aussi fait allusion à l'opération que nous avions réalisée avec KKR dans les pylônes : nous n'avons pas cédé notre réseau mobile mais la moitié de nos tours et nous possédons 51 % de la société qui les contrôle, tandis que nous possédons toujours l'autre moitié de nos tours. Il y a quelques années, Bouygues avait aussi cédé la totalité de ses tours à un spécialiste des infrastructures. C'est une tendance générale dans tous les pays, mais nous avons souhaité garder le contrôle de cet actif important. Investir dans les infrastructures est pour nous, en effet, prioritaire parce que le secteur est évolutif. Or toutes les évolutions, qu'il s'agisse de la transformation digitale, avec les réseaux sociaux ou l'e-commerce, ou des mutations de la télévision, avec les programmes délinéarisés, le replay ou l'arrivée de Netflix, tout cela passera par nos réseaux ! C'est pourquoi il est essentiel de posséder les infrastructures.

La dernière priorité, c'est la convergence médias-télécoms. L'essentiel des débits sur nos réseaux est constitué des contenus ; cela n'était pas le cas il y a encore quelques années au début de l'ADSL. C'était, en revanche, le cas sur le câble, qui donnait accès à la télévision. Patrick Drahi a l'expérience, depuis toujours, de cette convergence médias-télécoms parce que son métier était de distribuer des programmes de télévision à travers le câble. Le câble a été le premier à se moderniser. Grâce à lui, les gens ont eu accès à l'Internet haut débit. Le câble va continuer à se moderniser pour passer à la fibre. À New York, à 18 heures, 80 % des débits sur notre réseau, sont le fait de Netflix et de YouTube. Il en ira bientôt de même en France. Or ces acteurs ne mettent pas un euro pour financer le déploiement, ils ne payent même pas leurs impôts en Europe puisque rien ne les y oblige, mais ils sont ravis que nous investissions dans la fibre et que nous allions très vite. Ils n'ont rien à financer. Mais est-il logique qu'une famille aisée de quatre personnes, à Paris, qui consomme et surconsomme des films sur son réseau paye le même prix pour l'accès à l'Internet qu'une personne isolée dans une petite commune rurale qui ne peut pas avoir accès à Netflix parce que son réseau ne le lui permet pas ? Les deux foyers paient pourtant le même prix, notamment en raison de la neutralité du Net, notion que tout le monde défend sans savoir vraiment ce qu'elle représente. C'est un peu comme sur l'autoroute où une vieille voiture diesel paie autant qu'une voiture extrêmement moderne et puissante... Netflix propose pour dix euros par mois un catalogue exceptionnel. Comment voulez-vous que Canal Plus puisse s'adapter face à un concurrent dont les prix sont extrêmement bas parce qu'il ne finance pas les réseaux ?

Nous croyons à la convergence médias-télécoms. Altice est présent dans les médias depuis la reprise de NextRadioTV, groupe que j'avais créé il y a 18 ans. Cette convergence permet de développer des chaînes de sport, d'investir dans l'information locale ou dans des journaux importants que nous essayons de moderniser pour assurer leur pérennité, comme l'Express et Libération.

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