Intervention de Alain Weill

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Audition de M. Alain Weill président-directeur général d'altice france

Alain Weill, président-directeur général d'Altice France :

Nous faisons des efforts considérables depuis un an. Nous investissons 2,5 milliards d'euros par an dans les infrastructures. Le nombre de plaintes baisse régulièrement. Nous sommes en amélioration permanente. L'Arcep le sait. Publier un arrêt sur image en 2018 ne correspond pas à la réalité. L'Arcep devrait aider les opérateurs plutôt que dénoncer leurs difficultés. Je ne dis pas que tout est parfait aujourd'hui mais la situation est bien meilleure qu'il y a un an. La réalité ne correspond pas au message que l'Arcep a fait passer hier. C'est préjudiciable pour nous. La relation-client s'améliore, le nombre de clients qui partent a chuté de 40 % cette année. Nous progressons aussi dans la perception qu'ont les clients de la qualité de notre service. L'étude de l'Arcep a un an de retard.

La santé financière du groupe est bonne. Nous dégageons un Ebitda en Europe de 5 milliards d'euros, dont 3,5 milliards en France. Nous n'avons pas d'échéance dans les années qui viennent sur notre dette. Les actifs que nous avons cédés nous ont permis de désendetter le groupe. Le groupe a une expérience considérable de ce mode de financement depuis 30 ans. Il n'y a jamais eu de problème. Il n'y aucune raison de croire qu'il y aurait aujourd'hui une « fuite en avant ». Tout est sous contrôle. Notre dette, en Europe, est de 30 milliards d'euros. L'endettement va baisser avec les cessions. Donc le ratio entre la dette nette et l'Ebitda, en progression avec les opérations dans la fibre qui se feront sentir dès 2019, va baisser.

Tout à l'heure, je me suis mal exprimé quand j'ai comparé un foyer parisien et un abonné vivant dans un petit village. Je voulais dire qu'il n'est pas normal que quelqu'un qui vit loin d'une ville et n'a pas accès à un internet de très bonne qualité paie le même prix qu'un ménage qui profite d'un très haut débit pour regarder des films toute la journée.

Concernant la fiscalité, notre groupe a son siège à Amsterdam. Qu'un groupe aussi international que le nôtre y soit basé, comme Air France ou Publicis, n'a rien d'anormal. Le droit boursier néerlandais correspond à notre stratégie, non pas fiscale - nous ne tirons aucun intérêt fiscal de notre implantation à Amsterdam -, mais relative aux droits de vote : la législation en vigueur dans cet État européen permet à Patrick Drahi d'avoir des droits de vote plus importants que dans d'autres pays. On est loin d'une logique de paradis fiscal !

Vous m'avez aussi interrogé sur la TVA presse. SFR Presse, que nous avons lancé il y a quelques années, est un grand succès qui permet à beaucoup de Français d'avoir accès à la presse sur leur téléphone mobile pour un prix extrêmement bas. Le taux de TVA sur ce service optionnel est de 2,1 %, comme pour la presse sur papier : pourquoi le consommateur qui consulte les journaux sur son téléphone paierait-il un taux supérieur ? Nous contribuons à inventer un nouveau modèle pour la presse ; il faut s'en réjouir.

Je veux rappeler de façon plus précise et formelle nos engagements pour les zones faiblement couvertes. SFR et Orange ont signé un accord pour étendre et mettre en cohérence leurs déploiements de fibre FTTH en dehors des zones très denses. Cet accord concerne une partie de la zone de moyenne densité, dite zone AMII, qui n'était pas couverte par l'accord conclu par SFR et Orange en 2011. SFR s'est engagé à raccorder à la fibre plus de 1 million de logements ou locaux professionnels, sur 291 communes ; au total, 2,6 millions de prises seront déployées par SFR en zone AMII, d'ici à 2020. Ces déploiements s'effectuent sous le haut contrôle du régulateur, qui pourrait prononcer des sanctions si les engagements n'étaient pas respectés.

Concernant les alertes de l'Arcep, si le régulateur a pu noter une légère inflexion de nos déploiements, rien ne laisse présager d'un retard au regard de nos objectifs pour 2020. Un accord avec les fonds d'infrastructure des groupes AXA, Allianz et OMERS vient d'être conclu : une part minoritaire de SFR FTTH - 49,99 % du capital - leur a été cédée pour 1,8 milliard d'euros, ce qui contribuera au désendettement d'Altice France, tout en lui conservant le caractère d'actionnaire majoritaire.

Cet accord témoigne de la confiance des marchés financiers dans la stratégie d'infrastructure de l'entreprise. Altice a la confiance des investisseurs internationaux ; Patrick Drahi leur fait appel depuis longtemps. Il les associe à des projets importants ; aucun élément objectif ne peut laisser penser qu'ils ne seraient plus gagnants.

Grâce à l'entrée au capital de ces trois partenaires, SFR pourra accroître ses investissements dans la fibre, accélérera donc ses déploiements dans les zones moyennement denses, et deviendra l'un des acteurs majeurs de la fibre en Europe et même dans le monde. Nous avons stocké de la fibre pour ne pas prendre de retard, car elle est très recherchée et devient parfois rare. Cette garantie d'approvisionnement constitue d'ailleurs un atout lorsque nous candidatons aux marchés publics. Nous utilisons de la fibre fabriquée en France, plutôt qu'en Chine.

Quant au calendrier prévisionnel, notre engagement pris, au niveau national, au titre de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques a comme horizon l'année 2020. Les conventions historiques conclues avec les collectivités sont en cours de mise à jour afin d'intégrer le rappel de notre engagement national. Des engagements complémentaires ont été pris au niveau local ; ils incluent des calendriers plus précis. Des outils sophistiqués permettent aujourd'hui aux élus de suivre le déploiement de la fibre rue par rue. Les habitants eux-mêmes, dans les Pyrénées Atlantiques, par exemple, ont parfois accès à ces outils. La fibre est bien la priorité de tous les Français. C'est ce qu'ils demandent à leurs élus. L'intérêt de l'entreprise est aussi d'aller vite : ainsi, nous pourrons commercialiser notre réseau dès que possible.

S'agissant du marché des entreprises, il apparaît nécessaire que la concurrence se renforce. Le projet de l'Arcep est de faire émerger un troisième acteur, mais cela ne semble pas porter ses fruits. Orange garde 70 % de parts de marché ; SFR Business est un acteur secondaire. La fibre représente aussi une opportunité pour convaincre les entreprises de nous rejoindre. Le marché professionnel sera notre priorité en 2019. Un troisième acteur, plus opportuniste qu'innovant, s'est certes lancé il y a quelques années. Nous ne craignons pas la concurrence d'opérateurs supplémentaires : étant de taille moyenne dans ce domaine, nous avons aussi vocation à prendre des parts de marché.

J'en viens au new deal de la téléphonie mobile : les opérateurs se sont engagés auprès du Gouvernement à améliorer la couverture 4G. Je voudrais rappeler que, lorsque les licences de chaque génération ont été attribuées, les ambitions de chacun n'étaient pas les mêmes. On a privilégié la baisse des prix au travers de l'arrivée d'un quatrième opérateur, ce qui a pu nuire au développement des infrastructures. Aujourd'hui, les priorités ont changé. Le très haut débit doit atteindre tous les villages, par la fibre ou le réseau mobile. SFR a joué un rôle moteur dans la négociation qui s'est tenue il y a un an avec le Gouvernement et l'Arcep.

Nous saluons le choix du Gouvernement de préférer des engagements de déploiement et de haute qualité sur tout le territoire national plutôt que d'exiger de lourdes contributions financières. Le Gouvernement a choisi d'apporter son soutien aux investissements des opérateurs : l'intérêt général y gagne.

Plusieurs milliards d'euros seront donc investis par les opérateurs pour la couverture des territoires. Ces engagements sont opposables et seront contrôlés par l'Arcep. Ce new deal mobile place les collectivités territoriales au coeur du processus de remontée des besoins de couverture, au travers d'un nouveau dispositif de couverture ciblée.

Le new deal va bien au-delà des dispositifs de couverture ciblée. Il vise l'accélération et la densification de la couverture mobile à très haut débit, mais aussi l'amélioration de la qualité de service. Ce qui compte est désormais la « bonne couverture » au sens de l'Arcep, c'est-à-dire la capacité de passer des appels et d'envoyer des SMS à l'extérieur des bâtiments.

La 4G sera généralisée, d'ici à la fin de 2020, à l'ensemble de nos sites 2G et 3G ; 75 % des sites en centre-bourg seront couverts en 2020, 100 % en 2022 ; ce sera aussi le cas de 55 000 kilomètres d'axes routiers, d'ici à la fin de 2020, et de 23 000 kilomètres du réseau ferré régional, pour 90 % d'ici à 2025. La couverture à l'intérieur des bâtiments sera aussi améliorée, notamment par la technique de la voix sur Wi-Fi. Des offres 4G fixes seront également déployées dans des zones identifiées par le Gouvernement : SFR et Orange se chargeront de 500 sites chacun.

Quant au nouveau dispositif de couverture ciblée, il prévoit la construction par chaque opérateur de 5 000 sites, choisis par les collectivités territoriales, entre 2018 et 2026. Pour un premier volet de 2 000 sites, on prévoit une mutualisation active à quatre opérateurs dans les zones les plus habitées où aucun opérateur n'offre une bonne couverture pour les appels et les SMS. Un atlas de 2 063 zones a été constitué par les opérateurs sous le contrôle de l'Arcep et remis en juillet aux collectivités. Piocher dans cet atlas permettra à celles-ci de disposer plus rapidement de sites dans les zones les plus habitées. Un second volet de 3 000 sites concerne les autres zones à couverture insuffisante, notamment celles où les opérateurs ne sont pas tous présents.

Un arrêté a été publié en juillet dernier pour 485 projets issus des anciens programmes pour lesquels les collectivités porteuses ont souhaité transférer aux opérateurs la maîtrise d'ouvrage. Deux autres arrêtés seront pris ce mois-ci et en février prochain pour 700 sites supplémentaires.

Le téléphone mobile existe depuis des décennies, mais on observe une vraie accélération. Maintenant, la priorité n'est plus au prix, mais aux infrastructures. On avait encore récemment du mal à trouver où installer nos pylônes ; maintenant, tous les acteurs travaillent main dans la main, sans négliger pour autant les enjeux de santé publique, pour trouver des sites adéquats.

J'en viens aux questions relatives aux médias. BFM TV est accessible dans le monde entier sans abonnement ; les Français de l'étranger en bénéficient donc. Aujourd'hui, la technologie le permet, sur téléviseur, ordinateur ou tablette.

Le fonctionnement des chaînes d'information est parfois critiqué par des élus ou des membres du Gouvernement. Je suis très fier du travail, parfois difficile, de BFM TV. Nous sommes loin d'être parfaits, mais notre rôle est très important : permettre à tous les Français, même les plus isolés, d'avoir accès aux images d'actualité, des relations internationales aux faits divers et aux catastrophes naturelles. Lors des inondations du mois d'octobre, nous avons montré la souffrance des victimes et ainsi permis une plus grande solidarité. Nous montrons également le travail quotidien de nos gouvernants, quels qu'ils soient, et de tous les élus.

Si BFM TV rencontre un tel succès, c'est que les chaînes d'information ont la confiance des Français. Ces derniers jours, 20 millions de Français ont regardé BFM TV chaque jour ! Au lendemain des événements dramatiques du Bataclan, un Français sur deux a regardé BFM TV. Nous fédérons tous les Français en leur permettant de partager des moments plus ou moins dramatiques, et je suis conscient de notre responsabilité.

Le CSA a fait le choix d'une concurrence très vive entre chaînes d'information, ce qui renforce le besoin de fournir des images fortes en cas d'accélération de l'actualité. Le monde politique a aussi un usage particulier des chaînes d'information, comme outil de travail ; cela donne aux hommes politiques une vision de ces chaînes qui ne correspond pas à l'usage qu'en ont tous les Français.

Nous essayons d'être le plus rigoureux possible, d'être impartiaux et de mener un travail de qualité. Ce n'est pas toujours parfait : quand on doit assurer 22 heures de direct par jour, c'est très difficile d'avoir en permanence le recul nécessaire. BFM TV fonctionne comme les autres chaînes d'information dans le monde et subit les mêmes critiques qu'elles. Au contraire de Fox News, nous sommes impartiaux, à l'image de CNN, qui veut fédérer un très large public autour des grands événements. Nous sommes souvent le reflet de l'air du temps : nous avons souvent accompagné des mouvements de l'opinion ; nous n'avons pas la puissance nécessaire pour la créer.

Les critiques actuelles à notre endroit me rappellent celles qu'on adressait aux radios périphériques en mai 1968. On leur reprochait d'avoir couvert les événements et ainsi mis de l'huile sur le feu, quand les stations publiques se taisaient. Serait-on aujourd'hui aussi sévère ?

Nous voulons investir dans le contenu et, en premier lieu, dans l'information. Celle-ci, contrairement à la fiction, ne subit pas la concurrence de grands studios américains avec lesquels nous ne pouvons pas lutter. Nous avons donc décidé de lever un peu le pied sur nos investissements dans le secteur du cinéma, mais des discussions sont en cours avec d'autres acteurs français pour se regrouper et ensemble être plus forts dans le domaine des séries et du cinéma. L'exception culturelle française est globalement un succès ; nous voulons continuer à la faire vivre.

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