Nos pensées accompagnent les victimes des événements dramatiques de Strasbourg.
Dans la continuité de nos travaux consacrés au phénomène #PasDeVague et à la violence à l'encontre des professeurs et, plus largement, des personnels de l'éducation nationale, nous entendons Benjamin Moignard, maître de conférences en sociologie à l'ÉSPÉ de l'académie de Créteil et membre du conseil scientifique de l'observatoire international de la violence à l'école.
Notre commission a commandé à la rédaction multimédia du Sénat une analyse de la mobilisation du mot-dièse #PasDeVague. L'analyse porte sur le volume et le contenu des messages émis sur Twitter pendant un mois, du 21 octobre au 21 novembre 2018.
Le mouvement a émergé sur la plateforme de manière rapide et massive : plus de 150 000 messages utilisant le mot-dièse #PasDeVague ont été publiés sur la période par plus de 35 000 comptes, dont près de 105 000 dans les cinq premiers jours. La mobilisation est 2,5 fois inférieure à celle constatée pour le mot-dièse #BalanceTonPorc, qui avait été particulièrement relayé, mais deux fois supérieure à celle de la marche pour le climat, qui avait donné lieu à de fortes mobilisations en septembre et en octobre derniers. S'agissant d'un sujet centré sur une profession particulière, il s'agit d'une mobilisation de très forte ampleur.
Ce mouvement de libération de la parole est né en réponse à l'agression d'une professeure à Créteil, révélée le 21 octobre, et aux propos du ministre, qui assurait les enseignants du soutien de l'institution. De nombreux professeurs témoignent alors de l'incohérence entre leur expérience et le discours officiel. En relayant le témoignage d'un autre enseignant, un professeur a lancé le mot-dièse #PasDeVague, avant que sa réutilisation par Fatima Aït Bounoua, une professeure de lettres et intervenante sur RMC, bénéficiant donc d'une certaine notoriété médiatique, n'entraîne véritablement la circulation du slogan.
Le nombre de tweets quotidiens explose dès le 21 octobre pour atteindre un pic le surlendemain, avant de retomber progressivement. La mobilisation se maintient toutefois à un niveau non négligeable, de l'ordre de plusieurs centaines de messages par jour en moyenne. Les annonces du Gouvernement le 31 octobre ont été sans conséquence sur le mouvement.
Les messages les plus relayés illustrent la dynamique à l'oeuvre : deux sont des témoignages de professeurs anonymes, émis par des comptes quasi inconnus et dénonçant la réaction inappropriée de l'institution à la suite de violences dont ils ont été témoin ou victime. Les interactions entre les différents comptes ayant relayé des messages comportant le mot-dièse #PasDeVague indiquent que le mouvement est issu principalement des professeurs, en marge des syndicats et des partis politiques, bien que quelques comptes soient animés par des personnes syndiquées extrêmement actives. L'analyse des comptes impliqués révèle que parmi les 35 385 utilisateurs concernés, seuls 8 500 ont effectivement publié des messages, les autres se contentant de les relayer, soit une proportion comparable à celle observée pour d'autres mot-dièse à succès.
Le mouvement doit être mis en perspective avec le nombre d'enseignants en fonction : plus de 400 000 professeurs dans le second degré public et 330 000 dans le premier degré. Il demeure toutefois important, car tous ne possèdent pas de compte Twitter. Il reflète le mal-être, la frustration envers l'institution, voire le sentiment d'abandon d'une partie de la profession, dont le rapport de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde sur le métier d'enseignant se faisait déjà l'écho.
L'analyse des profils à laquelle se livre l'étude doit être appréhendée avec prudence, la majorité des comptes de professeurs étant anonymes et comportant peu d'éléments biographiques. Parmi les utilisateurs identifiés, peut être observée une légère surreprésentation des hommes et des messages provenant de la région parisienne et des grandes métropoles, ce qui est cohérent avec l'utilisation de Twitter mais également la localisation des établissements les plus en difficulté. En resserrant l'analyse sur un échantillon des 125 profils individuels les plus influents ayant émis des témoignages de première main, retraités des médias et des organisations syndicales, il apparaît que les professeurs du second degré constituent, avec 84 % de l'échantillon, le coeur de la mobilisation. Seuls seize d'entre eux revendiquent une appartenance syndicale.
Les événements que mentionnent les témoignages relayés par les enseignants sont variés : actes d'incivilité ou de violence à l'encontre des professeurs commis par des élèves mais également par des parents, voire des violences entre élèves. Le dénominateur commun réside dans une réaction de l'institution jugée inadaptée : les mots « hiérarchie » et « rectorat » reviennent souvent. Ces témoignages ne mettent pas particulièrement en cause les ministres successifs, mais dénoncent le fonctionnement de l'éducation nationale comme institution, certains messages rapportant des pratiques de longue date.
L'analyse de la diffusion du mot-dièse #PasDeVague révèle une mobilisation importante, centrée sur le second degré, qui dénonce un manque de soutien de la hiérarchie et de l'institution face aux incivilités et aux violences. Émergé sur Twitter, ce mode de mobilisation, sans lien avec les organisations syndicales, est un phénomène nouveau dans l'éducation nationale.