Intervention de Benjamin Moignard

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Violence dans les établissements scolaires — Audition de M. Benjamin Moignard universitaire

Benjamin Moignard, sociologue, maître de conférences à l'ÉSPÉ de Créteil :

Les plans de lutte précédents n'ont fait l'objet d'aucune évaluation. Ils reprennent des modalités d'intervention similaires - renforcement des sanctions, amélioration de la formation des enseignants, recrutement de personnel dédié - dont la France apparaît déjà convenablement dotée. La question de fond réside dans la manière dont le phénomène de la violence est abordé, celle d'une violence intrusive, extérieure à l'école, alors que le fonctionnement de cette dernière devrait être révisé. Des dizaines de recherches l'ont prouvé, mais des blocages idéologiques freinent la réflexion. La France dispose déjà d'un lien efficient entre l'éducation nationale, la police et la justice, et de sanctions adéquates. Mais la violence varie d'un établissement à l'autre. Elle est d'autant plus forte que l'équipe éducative est instable, que les inégalités sociales sont importantes et que les liens sont distendus entre les différents services.

La Cour des comptes a montré que le mieux doté des collèges de Seine-Saint-Denis l'était moins que le moins bien doté des collèges parisiens. Ce constat nourrit un sentiment d'abandon et d'isolement chez certains enseignants. La déception entraîne un malaise, une souffrance au travail mis en exergue par de nombreuses recherches. La solitude des enseignants représente un enjeu majeur, preuve que le collectif est absent de la culture scolaire française. Nos enseignants reçoivent une formation de qualité, mais inadaptée à l'école du XXIème siècle. La détresse existe également en milieu rural, même si les violences y sont moins fréquentes.

Les enseignants ont le sentiment d'être seuls, alors que la République a érigé l'école en priorité : il existe là une réelle incohérence. En France, en effet, le diplôme est survalorisé et la réussite scolaire jugée en conséquence prioritaire. Dès lors, l'amélioration du climat scolaire comme enjeu de réussite constitue un enjeu pour les établissements en difficulté. De fait, dans les établissements favorisés, les enfants réussiront quel que soit le climat scolaire.

Les établissements ont des pratiques différentes en matière de sanction. À titre d'illustration, la proportion d'élèves exclus de classe oscille entre 6 % et 64 % et le constat est identique pour d'autres types de sanction. À rebours du laxisme dénoncé par le mot-dièse #PasDeVague, l'école française punit beaucoup. Ainsi, 50 % des collégiens français sont collés dans l'année, contre 21 % en Grande-Bretagne, 17 % en Allemagne et 15 % en Espagne. En France, 10 % des collégiens sont exclus temporairement au cours de leur scolarité, contre 2 % à l'étranger. Dans chacun des départements franciliens, le nombre d'élèves temporairement exclus correspond, chaque jour, à l'effectif d'un collège, phénomène que je qualifié de « collège fantôme ».

L'approche idéologique de la sanction me semble par trop réductrice. Elle est évidemment nécessaire à l'école, mais son systématisme crée chez les élèves un sentiment d'injustice. Dans certains établissements, entre huit et quinze élèves sont temporairement exclus chaque jour. La sanction finit par être contreproductive, alors que son usage raisonné permet de limiter les violences. Hélas, la France, ne réfléchit pas comme le Canada aux moyens de renforcer les compétences sociales. Souvent, la sanction permet à l'administration d'assurer l'enseignant de sa solidarité, mais elle ne fonctionne pas. L'école ne représente pas un espace comme les autres : les élèves l'aiment et croient à son utilité, mais ils en viennent à la détester s'ils jugent que le contrat social a été rompu. Dans un pays où l'école est déconsidérée, la violence scolaire n'existe pas. La France, où les espoirs reposent massivement sur l'école, se trouvent dans une situation inverse : nos enseignants, dans leur solitude, portent la République. Ils sont pourtant infantilisés dans l'exercice de leur métier, bien qu'ils soient cadres de la fonction publique, et régulièrement accusés de corporatisme.

À ma connaissance, il n'existe pas de dispositif en faveur des professeurs victimes de violence. En 2005 puis en 2009, un numéro d'appel avait été installé par l'Autonome de solidarité, mais il n'avait guère fonctionné et a depuis disparu. Certains enseignants n'osent en effet pas relater, même anonymement, les faits dont ils sont victimes. Monique Sassier, ancienne directrice des ressources humaines du ministère, avait vu juste lorsqu'elle estimait que le véritable drame de l'éducation nationale était l'absence de politique humaine de ses ressources.

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