Intervention de Alexandre B

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Violence dans les établissements scolaires — Audition conjointe de professeurs de l'enseignement secondaire

Alexandre B :

Merci de nous recevoir pour cette audition, très importante. Le métier de professeur est victime d'une crise des vocations très grave, inédite et catastrophique. Depuis 2011, de plus en plus de concours, malgré la réduction des exigences demandées, ne sont pas totalement pourvus. En mathématiques, 3 300 postes n'ont pas été pourvus. Quatre métiers de la fonction publique ont besoin de campagnes de publicité pour recruter : les militaires, les gardiens de prison, les policiers et les professeurs. Pourquoi ? La violence dans les établissements est l'une des réponses.

Même si je n'ai rien de spectaculaire à vous conter, je vous assure que la plupart des témoignages sur le mot-dièse #PasDeVague sont véridiques et crédibles, ils correspondent à ce que mes collègues et moi avons constaté.

Agrégé à 22 ans, je fais ce métier par vocation et suis ravi de le faire. J'ai effectué mon année de stage dans un lycée de banlieue, où j'ai pu subir des coups de poing dans le dos dans un couloir bondé, voir des stylos et des oeufs voler vers le tableau - certains collègues ont reçu des clefs en plein front. Une fois, la porte s'est ouverte brutalement, au point de renverser une table, ce qui aurait pu blesser un élève. Un de mes collègues qui a reconnu les auteurs de ce fait m'a dit : « Vous pouvez les coller ». Mais si vous voulez être titularisé, on vous fait comprendre qu'il vaut mieux arrêter de venir voir les conseillers principaux d'éducation (CPE) ou le chef d'établissement, qui vous interrogent alors sur votre pédagogie ou votre manière de procéder... L'année suivante, mon nouveau chef d'établissement gérait très bien la situation, preuve que cela ne se passe pas partout de la même manière.

Mais l'année d'après, j'ai effectué un remplacement dans un collège rural.

Dès le mois de septembre, un collègue a été accusé sur Facebook de viol sur plusieurs élèves, en pleine classe, plusieurs fois, faits invraisemblables - la police n'a même pas enquêté. Le chef d'établissement n'a pas voulu réunir de conseil de discipline car selon lui, les faits s'étaient produits en dehors de l'établissement. Il a fallu que les professeurs refusent d'aller en classe pour qu'un conseil de discipline se tienne. Les professeurs souhaitaient une exclusion définitive, mais le conseil a voté une exclusion avec sursis : l'élève est revenu le lendemain.

En octobre, je me suis étonné du carnet de correspondance déjà plein d'un élève. Selon le principal adjoint, il en avait épuisé trois l'année précédente... Faut-il battre un record ? Et lorsqu'un élève vous dit que vous lui « cassez les couilles », on vous demande de comprendre, car l'élève est issu d'une famille défavorisée, et de remettre en cause votre pédagogie. Au final, votre chef d'établissement vous fait comprendre que vous ne devez pas venir le voir. Mais il souhaitait demander au rectorat de me garder pour le remplacement d'une collègue en congé maternité ; je lui ai répondu par la négative et que je demanderais une autre affectation. Deux mois plus tard, j'effectue un autre remplacement qui se passe très bien mais l'inspectrice me rencontre deux heures, seul à seul, monopolisant la parole et m'intimant de me taire, déclarant que si un chef d'établissement se plaignait encore de moi, je serai affecté en lycée professionnel pour me « faire les pieds »...

Pourquoi la gestion est-elle aussi laxiste ? Les CPE et les chefs d'établissement s'appuient sur un texte officiel, stipulant qu'on ne peut pas exclure un élève de cours sauf en cas de « danger pour lui-même ou pour autrui ». S'il hurle ou vous insulte, on vous répond « pédagogie ». Comment un professeur peut-il avoir de l'autorité lorsqu'après une exclusion du cours, le CPE ramène, pendant la même heure, l'élève dans sa classe ? Selon les inspecteurs, il n'y a pas de mauvais élèves, seulement de mauvais professeurs... Admettons que cela soit le cas, on ne peut pas recruter 800 000 génies de la pédagogie dans des conditions pareilles ; l'administration doit soutenir ses professeurs.

En plus de la violence physique ou verbale, il existe une violence morale. Tout est fait pour décrédibiliser les professeurs. À la fin de l'année, le conseil de classe statue sur l'avenir de l'élève. Le redoublement est rarement prononcé car il est découragé. Et lorsqu'il est prononcé, il est presque systématiquement annulé en commission d'appel réunie à la demande des parents, sur promesse que l'enfant travaillera mieux l'année suivante...

Même un élève ayant moins de 7/20 en mathématiques en seconde pourra passer en première après appel ! Dès lors, à quoi bon inciter à travailler puisque l'élève sait qu'il passera dans la classe supérieure ? Le professeur est décrédibilisé.

La semaine dernière, un des chefs d'établissement que vous entendiez avait fait référence au classement PISA de 2015 pour indiquer qu'il n'y avait aucun problème de discipline dans les cours en France. C'est faux : selon cette étude, la France se place avant-dernière, juste avant la Tunisie parmi les 68 pays testés, s'agissant du temps consacré en classe à la discipline.

Lorsque vous entrez dans ce métier, pour enseigner une discipline que vous aimez, et transmettre comme vos professeurs l'ont fait, on vous dit dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) que ce que vous avez aimé comme élève, il ne faut surtout pas le faire : « moins le professeur parle, meilleur est le cours ». Plutôt que de raconter l'histoire, je dois distribuer des documents et faire travailler mes élèves en groupe... Le résultat est catastrophique, mais voilà ce qu'il faut faire pour satisfaire aux exigences de l'inspection. L'année dernière, un mail circulaire de l'inspection académique nous conseillait, en vue de futures inspections, de faire circuler un questionnaire de satisfaction aux élèves à la fin de chaque cours ! Comment voulez-vous être légitime ?

La crise des vocations est également due à un discours convenu, tenu y compris par des politiques : les enseignants seraient un poids pour la Nation, fainéants, qui ne travaillent pas assez. Vous avez voté, il y a peu, les trois jours de carence pour les fonctionnaires, mais lorsque vous faites cours à 200 élèves, il n'est pas anormal d'avoir une gastro-entérite en plein hiver, et en plus vous aurez 250 euros enlevés de votre salaire ? Il est vrai que cela est peut-être anecdotique par rapport au reste...

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