Intervention de Clara F

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Violence dans les établissements scolaires — Audition conjointe de professeurs de l'enseignement secondaire

Clara F :

J'enseigne les lettres classiques dans une cité scolaire en Moselle, et viens d'une famille exclusivement issue de l'éducation nationale : ma mère était CPE, mon père chef d'établissement et ma petite soeur est professeur d'allemand. J'ai enseigné notamment à Montigny-le-Bretonneux, à Nanterre, et quatre ans au lycée français de Hong-Kong, en contrat local. Après le décès de ma mère, je suis rentrée en France mais avais perdu tous mes points, en raison de ce contrat local. J'ai été affectée en Réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+) au collège Évariste-Galois au milieu de la cité Pablo-Picasso, et j'y suis restée deux ans...

J'ai assisté au vol de la voiture du proviseur, au vol à l'arrachée du scooter d'un professeur de mathématiques, à la dégringolade de tables dans les escaliers depuis le premier étage, à une dizaine de départs de feu, au jet d'une bombe d'acide sur la grille du collège à la sortie de la récréation.

J'ai partagé mon expérience sur Twitter pour ces raisons, et en raison d'une incivilité : un élève de troisième, qui n'était pas le mien, est entré dans les bâtiments avec un bonnet et sa capuche dessus. Au bout de la troisième demande, j'ai pris délicatement son bonnet entre le pouce et l'index pour l'enlever, ce qui a mis l'élève en rage, et il m'a rouée de coups. Je suis allé faire cours ensuite. Convoquée dans le bureau du chef d'établissement, j'ai été accusée d'avoir commis une faute : je n'avais pas à porter la main sur les possessions personnelles d'un élève, qui serait alors légitime dans son sentiment d'avoir été agressé. Lors du conseil de discipline, il a écopé d'une exclusion, avec sursis, et me narguait ensuite dans les couloirs.

Contrairement à ce qui a pu être dit, la solution n'est pas dans la répression ni à la police dans les écoles, mais à la prévention. « Ouvrez une école, vous fermerez une prison » déclarait justement Victor Hugo.

Interrogeons-nous sur le langage comme rempart contre la violence. Les élèves sont violents car ils n'ont pas les moyens d'exprimer leur colère avec des mots. La réduction constante du nombre d'heures de français, notamment, ne leur permet pas de se construire un vocabulaire et une culture pour dire leur mal-être. Le langage représente un rempart contre la violence, et la culture un rempart contre l'extrémisme ; j'y crois. Nous mourons à petit feu de voir se réduire les horaires de notre discipline. Lorsque je suis rentrée dans l'éducation nationale, mes élèves de sixième avaient six heures de français par semaine contre quatre heures et demie aujourd'hui. En collège, j'avais huit heures hebdomadaires de latin ; désormais nous sommes heureux lorsque nous en avons quatre. Tout ce que nous n'avons pas le temps de leur dire est aussi un manque à gagner pour eux.

La réforme du collège de 2016 a été réalisée dans une logique purement comptable : économiser des heures, mais sur quoi ? On hypothèque l'avenir des jeunes ! La réforme du lycée permet moins aux élèves de progresser et de se cultiver.

Autre problème, le nombre d'élèves par classe : comment, avec vingt-quatre élèves par classe - et vingt en REP ou REP+ - pourrions-nous assurer un suivi individualisé comme préconisé ? Nous n'avons pas les moyens, actuellement, de mettre l'élève au centre, de l'accompagner et de répondre à ses besoins.

Désormais, je suis dans un établissement frontalier, avec de nombreux réfugiés, qui se retrouvent dans une unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants (UPE2A) pour suivre, pendant un an, des cours spéciaux de langue. Ensuite, qu'ils connaissent ou non le français et aient rattrapé ou non leur retard, ils intègrent une classe normale. La classe d'UPE2A de mon établissement est en fort sureffectif, et je me demande comment fait ma collègue, seule, pour enseigner à vingt-cinq enfants de tous les âges et de toutes les langues.

Certains enfants relèvent des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) mais se retrouvent en classe normale où ils n'arrivent pas à suivre et où les autres se moquent d'eux. Nous n'avons pas assez d'auxiliaire de vie scolaire (AVS). Qu'avez-vous fait avec les AVS ? Nous en avons tant besoin ! Nous n'avons pas été formés pour cela : j'ai appris la version latine, le thème grec, la dissertation mais je ne suis pas psychologue, ni éducatrice spécialisée.

Il y a une violence institutionnelle en raison de la précarité et de la paupérisation de la profession, qui envoie un signal fort, dans le mauvais sens, à toute la population française. Une étude de la fondation Varkey, reprise par la BBC, indiquait que la violence scolaire était liée à la place des enseignants dans la société. Il faudrait arrêter de réduire le budget de l'éducation nationale, de geler le point d'indice, de recourir aux contractuels et de payer les professeurs au lance-pierre, et supprimer les jours de carence et cesser de penser que les heures supplémentaires sont la panacée. J'enseigne vingt-et-une heures par semaine et ai en plus une charge de professeur principal. Il ne m'est pas possible de préparer correctement mes heures de cours, de les professer et de corriger les copies : cela revient à plus de soixante heures de travail par semaine ! Certes, des heures supplémentaires sont gérables si vous ne préparez pas vos cours, si vous corrigez peu et si vous montrez des DVD. Si vous voulez que nous fassions du bon travail, donnez-nous en les moyens !

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