J'enseigne depuis sept ans. Après une année de stage dans une académie de l'Ouest de la France, j'ai été envoyé là où je ne souhaitais pas aller : en banlieue parisienne, dont j'essaie de partir depuis. Titulaire sur zone de remplacement (TZR) pendant cinq ans, j'ai fait le tour des collèges de l'académie de Versailles. J'ai fini par arriver en lycée, où je suis plus heureux, rarement témoin d'incivilités et où la réponse du chef d'établissement est adéquate.
C'est assez ironique, pour nous, d'en témoigner devant vous alors que le Sénat nous apporte des réponses peu adaptées : vous avez voté récemment l'augmentation du nombre de jours de carence pour réduire l'absentéisme. Le point d'indice est gelé, alors que le coût de la vie et notamment des loyers augmente. Se reposer lorsqu'on est malade devient un luxe, du coup nous travaillerons durant notre maladie, sacrifiant non seulement notre santé mais aussi celle des jeunes pour de maigres économies. Toutes les institutions, Sénat, ministère, rectorat et autres nous tournent le dos voire nous pointent du doigt.
Les incivilités sont quotidiennes, et je suis sidéré par le manque de savoir-vivre : ce sont des comportements insolents, un refus de se taire, de changer de place, le raclement des chaises sur le sol, des remarques comme « c'est bon ! » ou « ça me saoule ! », des jets de sacs... Comment faire lorsque c'est quotidien, voire plusieurs fois au cours de la même heure ? Nous pouvons donner des heures de colle, les envoyer à la vie scolaire, mais nous finissons par les tolérer. On prétend que ce sont des adolescents en crise, mais ce relâchement entraîne la violence. La situation explose en cas d'insulte. Nous demandons des renforts à la vie scolaire pour ne pas être seul, rédigeons des rapports d'incidents, donnant parfois lieu à des sanctions, mais la réponse est insuffisante. Ayant demandé son carnet de liaison à une élève insolente et qui me coupait la parole, elle m'a jeté un stylo au visage en me demandant de « fermer ma gueule ». Après mon rapport d'incident, l'élève m'a envoyé une lettre : « Monsieur, je m'excuse de m'avoir conduit ainsi avec vous. Je me suis emportée un peu trop vite. Je ne romancerai plus. Veuillez m'excuser ». Était-ce une blague ? Selon le chef d'établissement, j'avais eu ce que je voulais, des excuses, et ce n'était pas si grave... Elle est revenue en cours comme si de rien n'était, et je devais oublier. Mais l'élève n'a pas oublié, ni ses camarades : j'avais été humilié. J'ai compris la leçon et arrêté mes rapports d'incidents ; c'est l'absence de soutien de la hiérarchie qui crée la vraie violence, et je ne voulais pas la revivre.
Une autre année, un élève de sixième m'a insulté ainsi que ses camarades. J'avais vingt-huit élèves, mais je ne m'occupais quasiment que de lui. Si je l'excluais, il m'était renvoyé directement : pas assez de personnel... Depuis, je suis parti, il est resté. J'ai appris qu'il avait eu six jours d'exclusion en février, qu'il y a quelques mois il a qualifié une collègue de « professeure la plus moche du collège », et dit à une autre « vous avez une tête à sucer des bites ». Et il déclarait « je fais ce que je veux, je m'en fous ». Il a fini par être exclu après avoir frappé une assistante d'éducation (AED). Fallait-il en arriver là ?
La répression n'est pas la solution, mais que faire ? Les mettre à genoux dehors pendant quatre heures en les filmant ? L'exclusion temporaire permet de souffler un peu mais les déconnecte encore plus de la vie de l'établissement. Dans le pire des cas, cela les incite à recommencer. Ils peuvent parfois changer de comportement, plus par crainte que par réelle compréhension. De même, une exclusion définitive ne change rien : elle arrive souvent très tardivement, après de multiples avertissements, blâmes et conseils, et n'offre rien de positif, hormis la crainte éventuelle de se retrouver dans un établissement encore plus loin de chez lui.
Le dispositif d'exclusion-inclusion serait préférable : l'élève ne suit pas le cours mais doit venir au collège, faire des exercices laissés par le professeur. Dans mon lycée, cela se tient parfois dans le bureau du proviseur ; c'est très efficace, mais nécessite d'avoir suffisamment de personnel.
Il suffit de se rendre une journée dans un établissement pour constater le manque de moyens évident : l'infirmière et le psychologue travaillent sur plusieurs établissements, nous n'avons plus d'AVS et trop peu d'AED. Il faudrait plus de postes encadrant ces élèves et non des gendarmes comme proviseurs adjoints. Il faut mettre fin aux classes surchargées de trente-sept élèves en lycée. On se plaint du faible niveau en langues vivantes, mais comment enseigner l'anglais avec plus de trente élèves par classe ?
Nous pouvons nous plaindre au chef d'établissement, mais nous ne le voyons jamais dans nos cours et pourtant il nous évalue. Comment avoir entièrement confiance si nos difficultés peuvent nous être reprochées ?
Le ministère multiplie les réformes au forceps, sans négociation. La réforme du collège a donné lieu à un tollé. Les nombreux jours de grève ont été ignorés. Actuellement, nous avons les informations sur la réforme du lycée au compte-gouttes. Les élèves comme les parents s'inquiètent ; c'est une usine à gaz. C'est bien de nous entendre aujourd'hui, mais il suffit de se rendre dans un établissement scolaire pour s'en rendre compte.