J'enseigne l'anglais dans un lycée professionnel d'Ile-de-France qualifié de « poubelle de l'académie » selon les élèves eux-mêmes. Comment travailler sereinement dans ce cadre ? Je suis arrivée récemment dans l'éducation nationale, après avoir travaillé dans la formation professionnelle et enseigné bénévolement en milieu carcéral durant mes études. Je ne suis donc pas en terrain inconnu : de nombreux élèves de l'établissement où j'enseigne sortent de prison ou risquent d'y aller...
Nous avons à la fois un rôle d'enseignant et d'éducateur - aucun n'est présent sur place - et devons apprendre à nos élèves les règles de base de la vie en société : ne pas manger de chewing-gum ou de chips en classe, ne pas faire de bruit avec sa chaise, ne pas sortir son téléphone ni y répondre, frapper à la porte avant d'entrer.
Actuellement, j'exerce les fonctions de professeur principal à la place d'un collègue arrêté. Dans une classe de vingt-quatre élèves, certains relèvent d'un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse et ont agressé des policiers, d'autres des éducateurs en foyer, d'autres sont hyperactifs... Comment faire pour leur enseigner l'anglais ? « Madame, vous êtes un véritable flic » me disent-ils. Oui, je fais régner l'ordre, je souris rarement, sinon je serais perçue comme faible ou tolérante. Mes collègues me demandent souvent conseil sur cette classe ingérable. Hier, un des élèves a repoussé une de mes collègues au niveau de la poitrine et l'a frappée. Dans un réflexe d'auto-défense, la collègue l'a giflé. Convoquée par le proviseur, celui-ci lui a expliqué qu'il n'y aurait pas de conseil de discipline mais une simple commission éducative car, en raison de la gifle, la famille pouvait porter plainte. Je ne peux imaginer quel est le ressenti de cette collègue qui a plus de vingt ans d'ancienneté.
Les professeurs gèrent aussi le suivi des stages. Comment faire en cas de vol ou d'insulte sur le lieu de stage ? Pour moi, il n'y a pas lieu de tergiverser, cela relève du conseil de discipline. Mais là encore, le proviseur veut parler à l'élève lors d'une simple commission éducative. Les incidents augmentent en intensité.
L'an dernier, le proviseur précédent a quitté l'établissement après avoir été agressé plusieurs fois physiquement et verbalement. Son remplaçant est dans une bienveillance extrême et le misérabilisme, trouvant sans cesse des excuses aux élèves. Mais à ce stade, c'est de la maltraitance envers les professeurs, laissés dans leur détresse et leur désarroi.
Hier, j'ai remis, durant trois heures, les bulletins aux parents des douze élèves venant en classe, alors qu'ils devraient être vingt-quatre en classe entière. L'absentéisme bat des records absolus. Lorsque j'ai vingt-quatre élèves, dans certaines classes, je suis en mode « commando », avec des fiches d'exclusion toutes prêtes ; je n'accepte pas un élève exclu, sinon ce ne serait pas tenable. La réponse à ces violences intra-scolaires est inadéquate. C'est de la violence institutionnelle ! Mes collègues n'ont pas été étonnés que certains élèves soient mis à genoux et tenus en joue par la police. Nous attendons que les élèves soient sanctionnés. Comment en est-on arrivé là ?
J'ai travaillé en milieu carcéral et j'arrive un peu à gérer mais là je subis des insultes, « vous me faites chier », un chahut monstre en salle de permanence sous ma classe, des coups dans les portes, entre élèves. Je ne suis pas là pour cela, pour m'inquiéter d'un regard bizarre. Je suis aussi atterrée de voir mes collègues subir cela depuis vingt ans. Le proviseur se retranche dans son bureau et ne se mouille pas. Nous sommes à la fois des CRS, des éducateurs, des assistantes sociales et des professeurs.