Intervention de Édouard Durand

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 12 décembre 2018 à 16h35
Audition de M. édouard duRand juge des enfants au tribunal de grande instance de bobigny membre du conseil national de la protection de l'enfance cnpe et membre du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes hcefh

Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny :

Nous voyons que, dans ce domaine, nous sommes en difficulté pour articuler nos principes fondamentaux. D'un côté, on énonce le principe de protection des enfants au nom de l'ordre public. De l'autre, on rappelle les principes fondamentaux de la procédure pénale. Il faut les mettre en cohérence sans faire primer l'un sur l'autre. Ces principes fondamentaux procèdent de la raison, principe qui leur est supérieur. Or il me paraît conforme à la raison de dire que, quand un adulte a un rapport sexuel sur un enfant de moins de treize ans, il l'a obtenu par la contrainte.

Le déni et l'impunité s'expliquent aussi par le concept de majorité sexuelle. On a coutume de dire des enfants de quinze à dix-huit ans qu'ils sont sexuellement majeurs. Ce n'est pas conforme à l'état du droit et c'est presque pervers. Un individu est mineur jusqu'à dix-huit ans ; en tant que tel, il est protégé par ses parents et, subsidiairement, par la société. Les parents ont une responsabilité de protection de leur enfant dans toutes les dimensions de son existence et de son développement : ils doivent se préoccuper de sa scolarité, de ses fréquentations et de ses activités. Il me paraît inconcevable d'affirmer que les parents n'ont rien à dire de la sexualité une fois que l'enfant a atteint quinze ans. La protection doit intervenir dans ce domaine, comme pour des cas d'absence de soins ; si tel n'est pas le cas, la protection institutionnelle doit intervenir.

C'est une difficulté très lourde, pour le législateur, que de formuler cette articulation entre des principes qui ne sont pas contradictoires.

Nous manquons de recherche et d'éléments statistiques sur les violences sexuelles faites aux enfants. Dans la stratégie de protection de l'enfance, recherche et statistique constituent pourtant un axe essentiel. Travailler sur la violence faite aux enfants, qu'elle se déroule dans la famille ou au sein des institutions censées les protéger, nous met aux prises avec nos représentations de la masculinité, de l'enfance, de la sexualité et du développement sexuel de l'enfant. Il y a une manière de faire en sorte que nos représentations soient protectrices de l'enfant : injecter du savoir dans nos pratiques.

Cela inclut la formation des professionnels. Pour en avoir été chargé, je peux en dire un mot. J'ai eu l'honneur de lancer, avec Ernestine Ronai, une session de formation continue à l'ENM sur les violences sexuelles. Il faut que le niveau de compétence des professionnels monte, quelle que soit leur fonction. Une chaîne ne vaut que ce que vaut son maillon le plus faible.

Il faut réunir deux choses indissociables, quelle que soit la forme de violence abordée : d'une part, permettre aux professionnels de voir ce qu'ils ont sous les yeux, c'est-à-dire de comprendre les mécanismes de la violence et la stratégie de l'agresseur ; d'autre part, leur donner des outils pour agir. Si un professionnel est chargé de repérer la violence sans être doté d'outils pour agir, il se mettra en danger et se défendra naturellement par le déni. À l'inverse, même s'il a des outils, s'il ne sait pas repérer les mécanismes d'agression, il ne s'en servira jamais.

Il nous faut donc développer des protocoles, des dispositifs et des outils de protection. Le repérage est absolument fondamental : les enfants victimes de violences sexuelles présentent rarement des traces corporelles, génitales ou anales, de violences. Il faut les repérer par d'autres signes traumatiques, tels qu'un excès d'agitation, un repli sur soi, ou des troubles du sommeil, soit tous les signes qu'une institutrice, un éducateur, voire un juge peuvent relever.

On peut progresser encore plus par un repérage systématique de la violence. On dit souvent aux victimes qu'elles doivent parler, alors que c'est à la société de parler, aux parents et aux professionnels mandatés pour la protection de l'enfant. Il faut donc ouvrir des espaces où l'enfant pourra percevoir qu'il est en présence d'un adulte capable de supporter la révélation des violences sexuelles et où sa parole sera donc libre. Les enfants perçoivent le degré d'attention du professionnel par des signes même très faibles.

Mme Laurence Rossignol, quand elle était ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, a mis en place le premier plan de protection des enfants contre les violences. J'ai repris le sommaire de ce plan ; vous y trouverez beaucoup d'idées de nature à renforcer les compétences des professionnels et à sensibiliser la société entière à ces violences.

On peut aussi dire un mot du signalement des faits de violence sexuelle contre les enfants. Il serait très protecteur pour les enfants comme pour les professionnels de systématiser l'obligation de signalement. C'est par l'automatisation des réflexes professionnels qu'on parviendra à un taux de classement sans suite inférieur à 70 % et qu'on mettra fin à ce système d'impunité !

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