Intervention de Geneviève Avenard

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 12 décembre 2018 à 16h35
Audition de Mme Geneviève Avenard défenseure des enfants

Geneviève Avenard, défenseure des enfants :

Merci de votre invitation. Je souhaite, au nom du Défenseur des droits et en mon nom propre, saluer la mise en place de cette mission d'information, puisque ce sujet de la prévention et de la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs par des adultes ayant une responsabilité ou une autorité sur ces mineurs, notamment dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions, est un sujet important, trop peu traité actuellement. Nous déplorons le manque de visibilité de ce problème, lié notamment à un manque de connaissance de ces réalités. Alertons les pouvoirs publics, faute de disposer de données chiffrées consolidées à l'échelle nationale, car il y a de très nombreux acteurs, et les systèmes d'information, de recueil et de remontée des données sont cloisonnés. Lorsqu'on ne peut pas identifier, quantifier ou qualifier un phénomène, il a peu de chance d'être traité...

Lors de la publication du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants de 2017-2019, nous avions regretté qu'il ne concerne que les violences intrafamiliales.

Dans le cadre de cette mission, il s'agit de s'interroger, en observant et en comprenant les mécanismes à l'oeuvre dans les différentes situations dans lesquelles un adulte abuse de sa fonction auprès d'un mineur pour l'agresser sexuellement, sur les moyens d'améliorer la protection des enfants.

La piste principale, qui doit être déclinée par tous, qu'il s'agisse du législateur, des autorités publiques, des institutions, ou des professionnels, nous est dictée par l'article 3 de la Convention internationale et droits de l'enfant : l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toute décision le concernant.

Ce problème est peu visible car il se produit dans des établissements scolaires, des associations sportives, de loisirs, des foyers d'hébergement, des lieux de garde d'enfants... Le poids de l'institution, en tant que tel, peut entraîner une forme d'omerta qui va faire obstacle à la révélation des faits. Plusieurs phénomènes risquent de se conjuguer, dans une dynamique systémique, pour aboutir au silence, à commencer par celui de l'enfant qui va se trouver en état de sidération du fait des violences commises à son encontre. Il osera d'autant moins révéler les faits que l'adulte a une position d'autorité, peut-être même valorisée par ses parents. Les adultes témoins ou qui ont des doutes n'oseront pas non plus faire part des faits par crainte de se tromper, de faire du tort, ou des conséquences pour leur propre carrière. La hiérarchie craint aussi de causer du tort à l'un de ses salariés ou de ses bénévoles, et doit gérer l'équilibre entre les droits de l'enfant à être protégé contre toute forme de violence et l'ensemble des législations qui concernent les adultes, en particulier le code du travail. Ce phénomène est donc largement sous-estimé, faute de remontées d'informations suffisantes.

Depuis le début de l'année 2018, nous avons traité 1 817 réclamations relatives aux droits de l'enfant, dont 1 000 ont été traitées par le pôle « Défense des droits de l'enfant » que dirige Marie Lieberherr. Seulement 90 de ces allégations concernent de la maltraitance, dont 18 des violences sexuelles. C'est donc très peu. C'est aussi lié au fait que nous ne sommes pas un acteur de première ligne : nous n'intervenons pas dans l'urgence.

Il faut aussi pointer un manque de remontées. Dans l'enquête sur l'accès au droit publiée en 2016 par le Défenseur des droits, basée sur une étude auprès de 5 000 personnes, un volet portait sur les droits de l'enfant. Les répondants étaient interrogés sur les démarches engagées en cas de constat d'atteinte à ces droits. Une minorité s'en abstenait, notamment en cas de violences sexuelles, en alléguant le manque de preuves, le fait qu'ils n'étaient pas concernés, ne savaient pas vers qui se tourner ou ne voulaient pas commettre un acte de délation. Ces informations doivent vous permettre d'identifier des leviers d'action.

La grande majorité des signalements intervient dans le cadre intrafamilial, mais nous avons aussi été saisis d'infractions en foyer d'aide sociale à l'enfance (ASE) et en famille d'accueil, commises par d'autres mineurs. Nous avons aussi constaté une augmentation des saisines mettant en cause des agents de l'Éducation nationale pour des violences ou des comportements inadaptés, mais pas d'ordre sexuel.

La protection des enfants contre toute forme de violence passe d'abord par la reconnaissance de l'enfant, dès sa naissance, comme un sujet de droit à part entière, conformément à la Convention des droits de l'enfant. Il faut sensibiliser la société à la place de l'enfant, pour qu'il grandisse en développant assurance et estime de soi - donc en le protégeant des violences. Dans le rapport 2018 intitulé « De la naissance à six ans : au commencement des droits », nous avons recommandé des campagnes nationales et locales portant le message que tous les enfants ont des droits et sensibilisant le public à la place de l'enfant comme personne à part entière.

Les campagnes de communication dédiées à la prévention contre les violences, notamment sexuelles, doivent être renforcées et multipliées, mais en veillant à les appuyer sur une évaluation des précédentes. Il est très difficile pour les enfants de s'exprimer s'ils ont le sentiment que les adultes sont potentiellement dangereux ; et tout autant s'ils se sentent coupables des mesures qu'une dénonciation pourrait provoquer. Or il arrive que les campagnes contiennent en germe des difficultés de cet ordre. Nous avons soutenu la campagne « Stop aux violences sexuelles faites aux enfants », lancée avec la coopération de Bayard Presse et de France Télévisions. Ne mettons pas les enfants dans une situation de responsabilité, qu'ils parlent ou qu'ils ne le fassent pas.

Le Défenseur des droits conduit également un travail de sensibilisation aux droits des enfants grâce à une équipe d'ambassadeurs constituée de cent deux volontaires en service civique qui, au cours de l'année scolaire 2017-2018, ont rencontré plus de 62 000 enfants dans les écoles et les centres de loisirs. La différence d'âge étant faible, ils leurs tiennent un langage plus accessible et nouent une relation de confiance, qui permet aux enfants de libérer une parole qu'ils n'auraient pas forcément exprimée avec leur enseignant par exemple.

Dans notre rapport annuel de 2017 consacré au suivi des recommandations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, nous constatons que l'éducation à la sexualité n'est pas systématiquement mise en oeuvre dans les écoles ; or elle est indispensable à une approche globale intégrant les aspects affectifs, psychologiques et sociaux. L'éducation à la sexualité, dans le cadre scolaire, peut aider un enfant ou un adolescent à mettre des mots sur des comportements déviants d'un adulte et à les dénoncer.

Nous défendons également la prohibition des châtiments corporels, comme nous l'avons précisé dans notre avis sur la proposition de loi présentée par la députée Maud Petit. Notre rapport annuel 2018 rappelle que la notion de droits autonomes de l'enfant n'est pas encore acquise, aussi bien chez les pouvoirs publics que chez les parents.

La loi du 14 avril 2016, adoptée à la suite de l'affaire de Villefontaine, qui organise la communication entre l'autorité judiciaire et l'administration au sujet des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de leurs fonctions, est une réelle avancée. Elle énonce que le respect de la présomption d'innocence, avec toutes les garanties nécessaires, peut souffrir dans le cadre de la primauté donnée aux droits de l'enfant, et pour prendre des mesures de prévention. Il faut toutefois évaluer l'application de cette loi, et notamment déterminer si les administrations s'en saisissent.

Concernant la détection et le signalement, détecter les infractions sexuelles n'est possible que si l'on est à l'écoute de l'enfant, de sa parole, de son comportement, de ses attitudes. Il faut développer pour cela un climat bienveillant et sûr dans les institutions et lieux d'accueil, qui encourage les enfants à poser des questions. La détection des violences sexuelles ne s'improvise pas mais doit s'inscrire dans une éducation plus globale aux droits de l'enfant, à commencer par le droit énoncé par l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant : celui « d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». J'ajouterais même que son opinion doit être prise au sérieux. Enseigner ce principe dans les institutions et faciliter son appropriation par les professionnels dans leurs pratiques facilitera l'expression des enfants sur les sujets les plus graves.

Il convient aussi que les professionnels soient formés à la détection des changements de comportement et à leur compréhension, en équipe et avec les parents et les autres professionnels intervenants. L'échange d'informations, la coordination sont primordiaux : il s'agit de mettre en commun les doutes, les signaux faibles, pour que chaque professionnel constatant un comportement inadapté chez un collègue le partage. Il faut donc développer cet aspect de la formation pour libérer la parole des professionnels.

Autre point essentiel, la connaissance par les enfants des numéros à appeler. Le 119 est assez largement affiché dans les établissements scolaires, à la différence de la Convention internationale des droits de l'enfant ou du 3020 contre le harcèlement scolaire. Il faut en poursuivre la promotion, et surtout s'assurer que des suites rapides seront données à un appel. Si un enfant qui appelle le 119 doit attendre pour être mis en contact avec un professionnel, ou s'il lui est demandé de rappeler plus tard, il abandonnera. Il faut donc mettre en oeuvre les moyens d'une réponse rapide.

Nous avons affirmé dans une décision de 2017 l'importance de prendre en compte la parole de l'enfant au sein de l'école lorsqu'il dénonce des actes de maltraitance, quelle que soit la réalité des faits. Ainsi nous avons eu à connaître un cas où des enfants avaient allégué des violences de la part d'un agent territorial spécialisé des écoles maternelles, mais l'école avait imputé ces accusations à un conflit entre les parents et l'établissement. Nous avons recommandé qu'une formation complémentaire soit organisée au profit du personnel pour favoriser une éducation bienveillante et rappelé l'interdiction du recours à des violences soi-disant éducatives.

Dans le cadre d'une affaire de violences exercées par une directrice d'école maternelle sur plusieurs enfants, le Défenseur des droits a rappelé devant la cour d'appel que le droit positif n'impose pas qu'un mineur soit capable de discernement pour que sa parole soit prise en considération dans le cadre d'une procédure pénale ; et que les éléments non-verbaux du comportement des enfants doivent eux aussi être pris en compte. En l'espèce, on avait observé un changement massif de comportement des enfants de l'école, avec des phénomènes d'encoprésie et d'énurésie, de désinvestissement des activités, de trouble du sommeil entraînés par les comportements inadaptés de la directrice, également enseignante de la petite section.

L'enfant doit donc être écouté par les professionnels, sans que ces derniers se laissent paralyser par l'existence de procédures pénales. Nous avons en effet constaté que la procédure avait un effet de sidération sur l'ensemble des personnes impliquées, comme dans cette affaire où le déclenchement de l'enquête de police avait suspendu l'action éducative auprès de l'enfant, qui alléguait des violences sexuelles commises par un proche de la famille. Nous avons rappelé qu'une enquête pénale sur des faits de violence ne devait pas, sauf instruction contraire du procureur de la République, empêcher les professionnels d'évoquer les paroles de l'enfant avec lui, ne serait-ce que pour l'entourer, l'encadrer et le réconforter. La médecine scolaire et les services de protection maternelle et infantile (PMI) jouent un rôle capital dans le repérage des violences, or les services de PMI souffrent d'un manque très dommageable de ressources. Ces services doivent être confortés dans leur mission. Infirmiers et médecins scolaires peuvent, quant à eux, jouer un rôle de confident auprès de l'enfant pour détecter des violences.

Nous constatons aussi que les réactions des professionnels sont parfois freinées par des considérations étrangères à l'intérêt supérieur de l'enfant, notamment en cas de doute sur un adulte dont le métier le met en contact avec les mineurs. Or il convient d'engager des démarches dès qu'existent des éléments suffisants rendant vraisemblables les faits dénoncés. Concernant la directrice de maternelle, nous avions recommandé aux services départementaux des mesures de protection des enfants au-delà de la procédure pénale, mais nous n'avons pas été suivis. Nous sommes confrontés à ces réflexes dans toutes les administrations qui accueillent des enfants. Ainsi, nous instruisons actuellement un cas d'agression sexuelle d'une jeune fille par un surveillant de nuit dans un foyer de l'aide sociale à l'enfance, où le fait que l'agresseur était un salarié protégé l'a emporté sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous allons proposer des réformes dans ce domaine.

Nous déplorons également les réticences de certains professionnels à signaler des informations préoccupantes par crainte de se tromper, par méconnaissance du dispositif ou par crainte de perdre la confiance de la famille. La priorité doit être donnée au besoin de protection de l'enfant ; tout doute sur un danger potentiel doit donner lieu à une mesure de protection. La loi du 14 mars 2016 institue au sein des conseils départementaux un médecin référent pour la protection de l'enfance, chargé de coordonner l'action des professionnels de santé. La désignation d'un référent dans chaque établissement hospitalier est recommandée par le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants. Or deux ans et demi après la loi, l'installation des référents départementaux n'est que partiellement effective, tandis que celle des référents hospitaliers tarde également faute d'un décret rendant la désignation obligatoire.

Enfin, il faut renforcer la formation des professionnels intervenant dans le champ de l'enfance, qu'ils soient professionnels de santé, intervenants sociaux, magistrats, pour les sensibiliser aux signes d'alerte. Il est également important que les professionnels eux-mêmes soient accompagnés, supervisés et soutenus par leur hiérarchie.

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