Intervention de Bruno Le Maire

Commission spéciale transformation entreprises — Réunion du 12 décembre 2018 à 18h15
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances :

J'obéirai à cette recommandation, madame la présidente, je serai bref dans ma présentation.

Le projet de loi Pacte arrive au Sénat dans des circonstances politiques qui ont radicalement changé en quelques mois. Nous faisons aujourd'hui face à une crise qui nous concerne tous : une crise sociale - la crise de ceux qui ont un travail mais qui n'arrivent pas à en vivre dignement -, une crise démocratique - des millions de Français estiment n'être représentés ni par vous, ni par les députés, ni par le Gouvernement, ni par l'exécutif - et une crise de la Nation - une nation qui se vit comme unie et ne supporte pas les déchirements territoriaux, qui se vit comme laïque et qui ne supporte pas de voir l'islam politique prendre tant de place, et qui se vit comme porteuse d'un projet collectif qu'elle n'arrive plus à définir. Je dis cela comme ministre de l'économie et des finances, mais aussi comme ancien parlementaire, comme élu local et comme ancien ministre de l'agriculture, qui a sillonné la campagne française et qui aime profondément la ruralité.

Ce projet de loi est une petite pierre - restons modeste - qui peut apporter une réponse au désespoir de millions de Français. En effet, dans la méthode, elle répond à ce qu'attendent les Français, c'est-à-dire du dialogue. Je remercie donc les députés, qui ont amélioré substantiellement le texte, au travers d'amendements issus de tous les groupes. Cette méthode a aussi consisté à associer des chefs d'entreprise, des élus, des salariés. Si ce texte a fait si peu de vagues et a recueilli une si large majorité en première lecture à l'Assemblée nationale, c'est parce que, quand on travaille ensemble, cela passe mieux. Je compte donc sur le Sénat, qui connaît si bien les territoires et le tissu économique français, pour améliorer encore ce texte.

Le premier volet de ce projet de loi concerne la simplification. Dans la colère qui s'exprime aujourd'hui, il y a aussi le ras-le-bol des artisans, des commerçants et des petits entrepreneurs, qui en ont assez de la paperasse, des taxes et des contraintes administratives. Or ce texte peut répondre à leur demande de simplification. Je donnerai un exemple : l'allègement des seuils sociaux. On supprime le seuil de vingt salariés, et, quand on ne franchit pas pendant cinq années consécutives le seuil de cinquante salariés, il n'y a pas d'obligation. Il y a aussi des simplifications dans les modalités de transmission.

Pour les salariés, on a simplifié le maquis incompréhensible de l'épargne retraite. Il n'y aura désormais plus qu'un produit portable au long de la carrière. Aujourd'hui, on change de métier et d'entreprise, on n'entre plus à vingt dans une entreprise dans laquelle on reste toute sa carrière. On gardera donc son produit d'épargne retraite toute sa carrière. De même, beaucoup de salariés sont en difficulté à la fin du mois ; ils veulent mettre de l'argent de côté, mais veulent aussi pouvoir le récupérer en cas de besoin. Avec ce texte, ils pourront libérer leur épargne retraite avant la fin de leur carrière. En outre, on n'obligera plus les salariés à toucher leur épargne sous forme de rente ; ils auront la liberté de la toucher en capital ou en rente, comme des citoyens libres et responsables.

Voilà des éléments de simplification qui répondent en partie à la colère qui s'exprime.

Un deuxième élément répond à cette colère : la justice. Nous voulons plus de justice dans notre économie. Il n'y a pas de succès économique sans justice économique. Cette justice se retrouve dans les mesures relatives à l'intéressement et à la participation ; nous supprimons le forfait social de 20 % pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés qui versent de l'intéressement. Cela améliorera le salaire net de millions de salariés et cela incitera les petites entreprises à la performance économique. J'espère que beaucoup de PME et TPE s'empareront du dispositif.

La justice économique touchera aussi les indépendants. Le statut de conjoint collaborateur deviendra le statut par défaut des conjoints d'indépendants. Cela évitera à nombre de conjoints, souvent des femmes, de se retrouver sans protection sociale ni retraite.

J'en arrive au troisième volet du projet de loi ; nous voulons profiter de ce texte pour clarifier les rôles respectifs des entreprises et de l'État. Le monde de l'entreprise ne se limite pas à faire du profit. Elles valent beaucoup plus, et leurs salariés aussi. Ce qui transforme notre vie quotidienne provient des entreprises. Une entreprise est une collectivité dont l'activité a un sens et, d'ailleurs, les entreprises qui réussissent le mieux sur la planète sont celles qui se sont donné le sens le plus clair.

Ainsi, nous souhaitons modifier le code civil pour reconnaître ce sens de l'activité économique, en suivant les recommandations de Jean-Dominique Senard et de Nicole Notat. Nous valorisons le rôle des entreprises en leur faisant dépasser, si elles le souhaitent, le seul objectif de profit économique.

Nous redéfinissons aussi le rôle de l'État, qui n'a pas vocation à diriger des entreprises dont l'activité n'est pas stratégique, liée à l'indépendance nationale ou à la souveraineté nationale. D'où la privatisation des Aéroports de Paris (ADP), de la Française des jeux (FDJ) et d'Engie. Je rappelle en effet que 60 % des bénéfices d'ADP relèvent de la boutique de luxe ou de l'hôtellerie. Le reste - contrôle des pistes, des personnes, des frontières - restera dans les mains de l'État. Il me semble donc préférable de récupérer cet argent, environ 10 milliards d'euros, pour financer l'investissement dans des innovations profitables à terme mais non pas immédiatement - stockage des énergies renouvelables, programmes de santé ou encore intelligence artificielle.

C'est un texte auquel je crois profondément ; il est sorti meilleur et plus fort de l'Assemblée nationale ; il sortira encore meilleur et plus fort du Sénat.

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