Je répondrai très brièvement aux deux dernières questions. Je les ai posées à Mario Draghi hier. Il a promis d'y répondre après la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE qui doit se tenir aujourd'hui. Dans tous les cas, la Commission n'a pas l'habitude de s'exprimer sur ces sujets, qui sont l'apanage de la BCE. J'ai confiance dans sa gouvernance ; sa politique accommodante devrait se poursuivre sous une forme ou une autre. Attendons les décisions qui seront prises aujourd'hui à Francfort.
Concernant la fraude à la TVA, effectivement, la Commission bataille depuis plusieurs années sur cette question. Le système actuel de TVA pour les échanges entre États membres repose sur un système transitoire qui a tout de même 25 ans. Ce système est trop fragmenté et trop vulnérable à la fraude. La fraude à la TVA transfrontalière seule est estimée à 50 milliards d'euros, et nous avons des raisons de penser qu'une partie importante de cette somme va financer des activités criminelles, voire terroristes.
Nous voulons aider les entreprises européennes à développer leurs activités transfrontalières en bénéficiant de conditions de concurrence égales au sein de l'Union. Nous voulons également éliminer cette fraude ; par des mesures simples, mais d'envergure, nous pourrions déjà la réduire de 80 % et récupérer ainsi 40 milliards d'euros, gain non négligeable pour les trésors publics. Nous avons proposé des réformes à plusieurs reprises ; nous estimons que les États membres ne peuvent plus ignorer le problème au vu de son ampleur. La Commission soulignait déjà en 2016 la nécessité de mettre en place un espace unique de TVA à l'échelle de l'Union. Le Parlement européen a également adopté en 2016 une résolution dans ce sens. Il est urgent de rendre les règles beaucoup plus efficaces. De telles mesures rapides ont été proposées par la Commission, en octobre 2017, et adoptées par le Conseil le 4 décembre dernier.
Nous avons donc accompli quelques progrès limités, mais la grande réforme consistant à traiter la TVA transfrontalière comme la TVA domestique, réforme pourtant très simple, n'a pas encore pu être adoptée du fait de la règle de l'unanimité en matière fiscale. Cette proposition a fait l'objet de six réunions du Conseil. Je regrette que cette grande réforme n'ait pas pu être conclue durant ce mandat. Dans ce contexte, vos propositions me semblent avoir un rôle à jouer ; la Commission est prête à travailler sur le mécanisme que vous avez bâti.
Quant au projet ACCIS, cette réforme est elle aussi absolument déterminante. La fiscalité des entreprises en Europe est archaïque ; son architecture est vieille d'un siècle. Elle repose sur la taxation des entreprises en fonction de leur localisation physique dans un État, alors que l'économie d'aujourd'hui est mondialisée et dématérialisée, et que les entreprises ont une présence transnationale. Nous connaissons encore des divergences de fiscalité des entreprises au sein du marché intérieur, ce qui encourage les démarches d'optimisation fiscale. Il faut donc une assiette commune et consolidée. Je suis au regret de constater que cette réforme non plus n'a pas été conclue sous ce mandat, mais je m'efforce de ne pas laisser à mon successeur la situation que j'ai trouvée en arrivant, à savoir une proposition sans chances d'aboutir. Les travaux techniques ont très bien avancé ; nous avons fait 80 % du parcours. S'il y a une volonté politique, un accord est à portée de main. J'encourage donc les parlements nationaux à aiguillonner les gouvernements à ce sujet. Je me réjouis de l'accord franco-allemand sur ce projet, car cette convergence est nécessaire pour progresser.
Nous n'avons pas non plus pu conclure notre démarche sur les taux de TVA réduits. La Commission est critiquée de toute part, car le système actuel ne permet pas aux États membres d'accorder des taux réduits à certains produits ou secteurs, notamment le secteur équestre. Chaque État a ses priorités en matière de TVA. On se demande pourquoi ils ne peuvent pas agir seul, puisque nous avons posé le principe de la taxation dans le pays du consommateur, ce qui met fin au risque de concurrence fiscale.
Nous avons proposé en janvier dernier de redonner aux États membres la liberté de fixer les taux de TVA comme ils l'entendent, le taux standard ne pouvant être inférieur à 15 %. Quelques garde-fous seraient inclus : la liste de produits pouvant faire l'objet de taux réduits serait remplacée par une liste négative de produits ne pouvant en bénéficier, tels que les armes, les munitions, les jeux de hasard, ou encore le tabac. Le nombre et le niveau des taux réduits autorisés seront limités à deux taux fixés entre 5 % et le taux normal, un taux fixé entre 0 % et 5 % et un taux de 0 %.
Une fois cette réforme adoptée, chaque État devra définir sa propre politique en la matière. Cette proposition est forte ; hélas, le Conseil n'en a discuté qu'une seule fois, sous forme d'un échange général d'opinions sans que les questions techniques aient été abordées. La Commission propose, mais ce sont toujours les États membres qui disposent.
L'approche protectionniste, en matière de commerce, n'est pas pertinente. Je comprends que l'on veuille réguler le libre-échange. Tous les accords que la Commission européenne négocie incluent ainsi désormais des clauses sur la protection de l'agriculture, de l'environnement, des normes sanitaires, etc. Vous évoquez le CETA. Mais si l'on n'est pas capable de commercer avec le Canada, pays qui partage les mêmes valeurs que nous, avec qui pourrons-nous signer un accord commercial ? Un premier bilan du CETA a été fait : ce traité est très favorable à la partie européenne. Les craintes des agriculteurs sur l'importation massive de viande bovine ou ovine ne se sont pas matérialisées. Au contraire l'accord incite les canadiens à mettre en place une filière de qualité. Quant à l'accord avec le Mercosur, les négociations sont dans la dernière ligne droite. La Commission est parvenue à un accord avec le Mexique, qui modernise l'accord signé en 2000. La Commission qui négocie au nom des États à la volonté d'aboutir, ensuite il appartiendra aux États de se prononcer, sous le contrôle de leurs parlements nationaux.
L'Espagne a mené un spectaculaire effort d'ajustement pendant la crise qui a permis de réduire fortement le déficit. La situation de l'emploi s'est améliorée. En 2012-2013, on avait frôlé la mise en place d'un programme d'ajustement pour l'Espagne et l'on a finalement mis en oeuvre un programme spécifique pour les banques espagnoles. Le rôle de la Commission n'est pas de juger les politiques nationales, qu'elles soient italienne, française ou espagnole, ni de mettre la main dans le moteur à la place des gouvernements. Il lui appartient seulement de vérifier si les annonces sont compatibles avec les objectifs d'équilibre budgétaire des traités. Nous attendons que l'Espagne transmette un projet de budget ; cela ne nous empêche pas toutefois de faire des remarques sur la politique économique suivie, par le biais des recommandations spécifiques par pays. L'augmentation des salaires doit s'apprécier en fonction de la productivité.