Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 décembre 2018 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises pacte : observations de m. jean-françois rapin

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, rapporteur :

Nous avons tenté de synthétiser les enjeux de ce texte dense et vaste, en nous concentrant sur les sur-transpositions du droit européen et en illustrant notre propos de plusieurs exemples.

Le projet de loi Pacte intervient dans le domaine économique et financier, qui est particulièrement marqué par le droit européen, dans le cadre fortement harmonisé du marché intérieur.

Il renvoie très largement à des ordonnances pour la transposition de directives récentes, au motif de la technicité des dispositions à transposer et des coordinations à mettre en oeuvre. Sa taille - 73 articles initialement, plus de 200 après examen par l'Assemblée nationale - et la grande diversité des mesures proposées exigent une attention particulière pour identifier les mesures susceptibles de constituer des sur-transpositions du droit européen en droit interne.

Cette identification est d'autant plus malaisée que, le plus souvent, le projet de loi, y compris dans l'étude d'impact, ne fournit pas d'indications précises sur les options ouvertes par le texte européen qui seront retenues ou écartées - et l'étude d'impact ne donne pas d'éléments sur les options retenues ou écartées dans les ordonnances de transposition dont la ratification est proposée.

Le projet de loi poursuit par ailleurs, avec mesure, la démarche de suppression de sur-transpositions annoncée par le Premier ministre fin 2017.

Enfin, il comporte des mesures purement nationales de soutien aux entreprises et à l'activité économique, dans le respect des principes européens en matière d'aides d'État, de libre circulation des capitaux, de liberté d'établissement ou de concurrence. Plus précisément : les options retenues ou écartées sont souvent assorties de contraintes purement nationales.

Certains choix sont ainsi favorables aux entreprises. C'est le cas de suppression de sur-transpositions alourdissant les charges qui pèsent sur elles. On peut citer celle qui a fait fortement réagir les commissaires aux comptes : l'harmonisation et le relèvement des seuils de contrôle légal des comptes au niveau du plafond européen. Il n'est toutefois pas prévu de retenir les seuils les plus élevés de définition des petites entreprises, comme l'a fait l'Allemagne, ce qui permettrait de soustraire un plus grand nombre d'entre elles à cette obligation. C'est aussi le cas de l'exercice d'options pour renforcer l'attractivité de la place financière de Paris. Le projet de loi facilite ainsi les sorties de la cote en abaissant à 90 % du capital et des droits de vote le seuil du retrait obligatoire, soit le seuil le moins élevé prévu par la directive OPA de 2004. L'obligation nationale d'une expertise indépendante des conditions financières de l'offre de retrait, qui fait l'objet d'une attestation d'équité motivée, est toutefois maintenue, alors même que le rachat est effectué au prix de l'offre de retrait. L'exploitation d'une option favorable aux entreprises, prévue par le texte européen, s'accompagne en effet souvent d'une obligation purement nationale. Le Gouvernement fait ainsi le choix du seuil le plus élevé de dispense de prospectus en cas d'offre au public de titres mais un document d'information des investisseurs, non prévu par le règlement Prospectus, doit alors être établi.

La mise en avant de priorités nationales conduit à exploiter des options plus contraignantes et à écarter les allégements autorisés par le texte européen. C'est le cas en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L'ordonnance de transposition de la directive blanchiment n'a pas fait usage de facultés ouvertes par celle-ci, en particulier la définition d'obligations de vigilance simplifiée à l'égard de la clientèle pour la monnaie électronique et les instruments de paiement répondant à des conditions d'atténuation du risque, ou dans des domaines présentant un risque moins élevé. Le décret d'application a en outre fixé le plafond de paiement en espèces à 1 000 euros, très en-deçà de celui de la directive - sauf pour les dépenses personnelles des non-résidents, limitées à 15 000 euros, tourisme oblige !

À l'inverse, l'ordonnance a retenu la possibilité, prévue par la directive, d'assujettir aux obligations de vigilance des professions ou catégories d'entreprises autres que celles visées par la directive : les sociétés d'assurance et de réassurance, les agents sportifs, les antiquaires et les galeries d'art ou encore les syndics de copropriété. Le projet de loi portant suppression de sur-transpositions retire toutefois ces derniers du champ d'application de ces obligations au motif qu'ils ne manient pas de fonds significatifs, ce qui est de bon sens.

Une autre priorité est la protection du consommateur. L'ordonnance qui transpose la directive relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées renforce la responsabilité de plein droit des détaillants dans l'exécution des voyages à forfait, comme l'y autorise une option ouverte par la directive - et conformément à la résolution européenne du Sénat du 4 mars 2014.

Les indications sur les options qui seront retenues lors de la transposition sont toutefois plus ou moins précises. Par exemple, à propos de la transposition du paquet marques, l'étude d'impact indique que « les objectifs poursuivis par la transposition (...) correspondent aux objectifs visés par celui-ci. » On peut en déduire que l'ordonnance devrait aligner la procédure française sur le droit européen, en particulier pour le système de dépôt monoclasse, qui s'accompagne du paiement forfaitaire d'une redevance par classe. Toutefois, la visibilité est moindre quant à l'utilisation des options ouvertes en matière de refus d'enregistrement ou de nullité de l'enregistrement. Pour la facturation électronique, l'habilitation ne précise pas s'il sera fait usage de la faculté de reporter d'un an l'application des obligations d'interopérabilité des systèmes aux collectivités territoriales et aux établissements publics locaux pour lesquels la mise en conformité pourrait être lourde et coûteuse.

L'Assemblée nationale a ajouté, ou rétabli, quelques sur-transpositions. Ainsi l'obligation de faire figurer dans le rapport annuel sur la gouvernance des sociétés cotées la rémunération de chaque dirigeant, filiales comprises, au regard de la rémunération moyenne et de la rémunération médiane des autres salariés, et le rétablissement du droit des actionnaires à la communication des opérations courantes intra-groupes conclues à des conditions normales, supprimé par le Sénat en 2011 en raison de sa lourdeur administrative et non prévu par le droit européen.

Je ne suis pas membre de la commission spéciale, mais je dois être entendu par sa présidente et ses rapporteurs mardi prochain. Je pourrai ainsi relayer les observations de la commission des affaires européennes.

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