Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis devant vous à l’occasion du débat qui suit le Conseil européen des 13 et 14 décembre. Celui-ci s’est ouvert par une minute de silence, pour marquer avec gravité la solidarité et la détermination de l’ensemble de l’Union européenne après l’attaque terroriste commise à Strasbourg lundi dernier et qui a coûté la vie, vous le savez, à cinq personnes.
Son ordre du jour était chargé puisqu’à la session classique du Conseil européen se sont ajoutés, comme nous le souhaitions, un sommet de la zone euro, puis une réunion en format article 50 sur le Brexit.
Le sujet le plus attendu était bien entendu le Brexit. Mme May a d’abord fait le point sur les difficultés qu’elle rencontre dans le processus de ratification de l’accord de retrait du Royaume-Uni. Elle a souligné que de très nombreux députés marquaient leurs réserves face au « filet de sécurité » prévu pour traiter de la question irlandaise et au risque qu’il ne soit pas limité dans le temps.
Je veux rappeler que ce dispositif, tel qu’il figure dans l’accord de retrait, correspond à une proposition britannique. Il prévoit un maintien dans l’union douanière de tout le territoire britannique et un alignement spécifique de l’Irlande du Nord sur le marché unique, au cas où aucun accord sur la relation future ne serait intervenu à la fin de la période de transition.
Tout en ayant sans doute conscience qu’il était impossible politiquement et techniquement de rouvrir l’accord de retrait, Mme May cherchait des garanties ou des assurances, à la fois politiques et juridiques, notamment sur la durée du backstop.
Les échanges entre les États membres et les conclusions adoptées ont de nouveau témoigné de la très grande unité des Vingt-Sept. Le Conseil européen a rappelé que l’accord de retrait, agréé par le gouvernement britannique comme par les Vingt-Sept, était le seul accord possible et ne pouvait être renégocié. Par ailleurs, un filet de sécurité est une solution de dernier recours, indispensable pour éviter de réintroduire une frontière classique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Dans le souci d’apporter une réponse politique aux inquiétudes exprimées par Mme May, le Conseil européen a rappelé dans ses conclusions ce que prévoit l’accord de retrait : ce filet de sécurité ne serait activé que s’il n’y avait pas d’autre solution après la fin de la période de transition et serait temporaire par nature, puisqu’il cesserait d’exister lorsque l’Union et le Royaume-Uni auraient conclu un nouvel accord pour leurs relations futures.
Je veux ajouter que ces derniers développements, tout comme les incertitudes sur la suite de la procédure britannique, renforcent encore notre détermination à accélérer notre travail de préparation des mesures de contingence à prendre en cas d’absence d’accord, à l’échelon européen comme national. C’est ce que demande le Conseil européen et j’espère que la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’habilitation – elle se réunira demain –, que j’ai eu l’honneur de présenter devant les deux chambres, sera conclusive. Nous pourrons ainsi, dès janvier prochain, commencer à adopter les ordonnances nécessaires pour atténuer les effets d’un Brexit sans accord sur notre économie comme sur la situation de nos ressortissants qui reviendraient du Royaume-Uni et des ressortissants britanniques en France, et mener à bien les contrôles nécessaires à nos frontières, sans porter atteinte à la fluidité du trafic transmanche.
L’autre grand rendez-vous était le déjeuner de travail, vendredi, en format sommet zone euro dit « inclusif », c’est-à-dire à vingt-sept.
Ce sommet revêtait une importance particulière pour la France, car notre objectif était, je le rappelle, que le Conseil européen prenne des décisions concrètes sur l’Union bancaire, la réforme du Mécanisme européen de stabilité, ainsi que le budget pour la zone euro, pour lesquels des progrès importants ont été réalisés au cours des dernières semaines. C’est ce que nous avons obtenu.
Tout d’abord, les chefs d’État et de gouvernement ont endossé l’accord trouvé au sein de l’Eurogroupe le 3 décembre dernier sur les modalités de mise en œuvre du filet de sécurité du Fonds de résolution unique, ainsi que sur le renforcement du Mécanisme européen de stabilité, en assurant notamment une efficacité accrue des lignes de crédits de précaution dont il dispose. C’est une première satisfaction.
Notre seconde satisfaction concerne la question, qui nous est chère, du budget de la zone euro. Les chefs d’État et de gouvernement ont pris la décision politique de créer un tel budget et ont donné un mandat clair à l’Eurogroupe pour rendre opérationnel cet instrument de convergence et de compétitivité pour la zone euro. La taille de cet instrument budgétaire sera déterminée dans le contexte des discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel. Les paramètres de ce budget doivent être fixés d’ici au mois de juin 2019.
C’est une étape majeure qui est ainsi franchie, grâce à une impulsion commune franco-allemande. Naturellement, il reste beaucoup de travail devant nous et, comme l’a dit le Président de la République, nous allons continuer à nous mobiliser pour doter à terme ce budget de la fonction de stabilisation qui nous paraît indispensable.
J’en viens maintenant aux principaux sujets traités lors du Conseil européen à proprement parler.
Les chefs d’État et de gouvernement ont tout d’abord échangé longuement sur la substance et le calendrier des négociations du prochain cadre financier pluriannuel, le CFP. Si les discussions ont avancé à un rythme soutenu sous présidence autrichienne, la perspective d’un accord avant les élections européennes, comme le privilégiait la France, est dorénavant écartée, les chefs d’État et de gouvernement appelant à y parvenir à l’automne 2019.
Sur le fond, les débats ont été nourris, chaque État souhaitant affirmer ses priorités. Le Président de la République a rappelé que nous souhaitions que le prochain CFP apporte une réponse à la hauteur des nouveaux enjeux auxquels l’Union doit faire face, tels que la protection des frontières, les migrations et la défense, et affiche une ambition supplémentaire pour la jeunesse, la recherche et l’innovation.
Pour autant, de telles priorités ne doivent pas porter atteinte aux politiques traditionnelles, en particulier à la politique agricole commune. Vous savez à quel point nous défendons la PAC avec détermination. Ainsi vingt et un États ont-ils appelé au maintien de ses moyens.
Le Président de la République a aussi insisté sur la création de nouvelles ressources propres et la suppression des rabais dès 2021.
Enfin, la France souhaite que la solidarité soit mise au cœur de ce budget commun et demande que des incitations à la convergence y soient introduites. Des conditionnalités liées au respect de l’État de droit, comme le propose la Commission, nous semblent ainsi pleinement nécessaires, mais cette solidarité devrait également aller de pair avec une convergence sur le volet social et fiscal.
Les chefs d’État et de gouvernement ont ensuite fait un point d’étape sur les travaux en cours pour améliorer le fonctionnement du marché unique. Le Conseil européen a adopté une approche pragmatique centrée sur les besoins réels des entreprises et des consommateurs, y compris s’agissant des services. La France a défendu le renforcement de la lutte contre la fraude dans l’industrie alimentaire et a annoncé des propositions pour une force européenne d’enquête et de contrôle dans ce domaine. Nous ne pouvons plus accepter que des scandales surviennent périodiquement et minent la confiance des Européens dans la capacité de l’Union à prévenir ce type de dérives.
Dans la continuité des échanges du Conseil de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement ont poursuivi les discussions sur les enjeux migratoires. Des progrès inégaux ont été enregistrés dans les négociations sous présidence autrichienne, celle-ci s’étant concentrée sur la dimension extérieure. Cinq textes sont quasiment finalisés : EURODAC, Accueil, Qualifications, Réinstallations et EASO. Pardonnez-moi de le dire ainsi, Vienne et quelques autres ont montré peu de volonté de progresser dans la réforme du régime de Dublin.
Nous avons obtenu, avec l’Italie, Chypre, Malte, la Grèce, l’Espagne, la Suède, la Pologne et la Bulgarie, que le Conseil européen maintienne la pression pour l’adoption de la réforme du règlement de Dublin dans un ensemble cohérent et complet avec les cinq textes que j’ai cités, le règlement Procédures et la directive Retour. Tous les paramètres d’un compromis sur cette réforme sont sur la table, sur la base notamment d’idées franco-allemandes. C’est désormais une question de volonté politique. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Concernant le contrôle de nos frontières extérieures, notamment le renforcement de FRONTEX, la Commission a renouvelé sa proposition de renforcer l’Agence, en étoffant son mandat en matière de retour et en portant ses effectifs à 10 000 hommes dès 2020.
Cette proposition se heurte à la contestation de certains États membres, mais il est indispensable que nous nous montrions suffisamment ambitieux. Vous savez par ailleurs que les travaux se poursuivent pour améliorer la coopération avec les pays d’origine et de transit et pour trouver une solution européenne durable, efficace et respectueuse du droit international en matière de gestion des débarquements des migrants sauvés en mer, autour de centres contrôlés sur le territoire européen.
Le Conseil européen a permis d’évoquer, en outre, de nombreux sujets dont il a voulu marquer l’importance politique.
En matière de défense, il a souligné, à notre demande, les progrès réalisés pour ce qui concerne la coopération structurée permanente, qui compte désormais plus de trente projets concrets, ou le programme européen de développement de l’industrie de défense, qui commencera dans quelques semaines et préfigurera le Fonds européen de défense qui sera mis en place en 2021. Je note que les conclusions rappellent l’importance du concept d’autonomie stratégique de l’Union qui est fondamental.
À quelques mois des élections européennes, le Conseil a endossé le plan d’action présenté par la Commission européenne le 5 décembre dernier sur la lutte contre la désinformation, qui prévoit la création d’un « système d’alerte rapide » entre les institutions et les États membres. Un point d’étape des travaux sera fait au Conseil européen de mars.
Sous l’impulsion de la présidence autrichienne, le Conseil a rappelé à juste titre sa détermination à lutter contre le racisme et la xénophobie.
Alors que la COP24 se terminait à Katowice en Pologne, les dirigeants européens ont répété leur engagement à mettre en œuvre l’accord de Paris et se sont fixé comme objectif de déterminer les grandes priorités nécessaires dès 2019, afin que l’Union puisse préciser sa stratégie de long terme dès 2020.
S’agissant des relations extérieures, le Conseil européen s’est prononcé à l’unanimité en faveur du renouvellement des sanctions sectorielles européennes à l’encontre de la Russie. Ses membres ont également exprimé leurs vives préoccupations quant aux incidents maritimes graves survenus le 25 novembre dernier en mer d’Azov et demandé à la Russie de libérer immédiatement les marins ukrainiens détenus, de rendre leurs navires et d’assurer la libre circulation dans le détroit de Kertch. Le Conseil européen envisage un soutien additionnel de l’Union européenne aux régions ukrainiennes les plus affectées.
Enfin, il a salué les consultations citoyennes sur l’Europe, souligné leur caractère inédit et relevé les attentes et les préoccupations exprimées par les citoyens européens. L’ensemble des résultats obtenus dans les États membres et les synthèses nationales et européenne vont maintenant nourrir les travaux sur la refondation de l’Europe que les chefs d’État et de gouvernement reprendront lors du sommet informel prévu à Sibiu en Roumanie le 9 mai prochain. Je rappelle qu’en France 1082 consultations citoyennes se sont tenues et que leurs résultats sont en ligne sur le site www.quelleestvotreeurope.fr.
Je veux conclure en soulignant que, comme le Président de la République l’a dit vendredi à Bruxelles, c’est justement par des réponses concrètes et par des réformes, en France comme en Europe, que nous répondrons aux attentes de nos concitoyens et que nous leur donnerons l’occasion de se réconcilier avec la construction européenne.