Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la période de grande incertitude que vit l’Union, ces derniers mois ont montré que les Vingt-Sept savaient rester unis. Cette unité doit beaucoup à Michel Barnier, qui a su, par sa ténacité et ses compétences, obtenir ce résultat. Je souhaite ici lui rendre un hommage appuyé. Cette union constitue peut-être le seul point positif depuis le vote britannique de juin 2016, qui reste à nos yeux une véritable opération de « suicide collectif », une « tragédie », comme l’a dit M. Juncker.
Un accord pour une sortie ordonnée a donc été signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne le 25 novembre dernier, assorti d’une déclaration politique. Que les choses soient claires, il s’agit de limiter les dégâts du Brexit, qui ne fera, de toute façon, que des perdants.
Cet accord est le seul accord raisonnable possible, les dirigeants européens ont eu raison de le rappeler. Il ménage une clause de sauvegarde sur la question si cruciale de la frontière irlandaise, et préserve les intérêts essentiels de l’Union.
La commission des affaires étrangères avait déploré, dès mai 2016, que la campagne référendaire au Royaume-Uni sur la sortie de l’Union ait laissé dans l’ombre de très nombreux sujets. Qui parlait à l’époque de l’Irlande du Nord ? Qui avait eu le courage de dire au peuple britannique que le Brexit aurait un coût ? C’est un contre-exemple à méditer, au rebours de l’éthique de responsabilité qui devrait animer tous les dirigeants publics.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le parcours du combattant de la Première ministre Theresa May, prise entre les feux croisés des hard brexiters et des pro-Union européenne, soit loin d’être terminé.
L’échec du vote de défiance suscité par l’aile droite de son parti ne saurait cacher qu’elle a perdu le soutien de plus du tiers des députés conservateurs. À l’heure qu’il est, on voit moins que jamais sur quelle majorité Theresa May pourrait s’appuyer pour faire adopter l’accord sur le Brexit par le Parlement britannique. Tout se décidera au dernier moment, puisqu’aucun vote n’aura lieu avant janvier.
Depuis deux ans, le groupe Brexit du Sénat, sous la présidence de Jean Bizet et de moi-même, n’a cessé d’alerter la Haute Assemblée, le Gouvernement et les entreprises sur la possibilité d’une sortie sans accord, qui doit être préparée d’urgence.
Car aujourd’hui tout est possible, y compris un nouveau référendum, des élections générales en Grande-Bretagne, un report de l’échéance du 29 mars ou une absence de sortie de l’Union européenne. Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’article 50 du traité sur l’Union européenne confirme en effet la possibilité de révocation unilatérale par le Royaume-Uni, possibilité qui reste tout de même très théorique.
Un « divorce » non ordonné et sans phase de transition reviendrait à effacer d’un trait, en une nuit, quarante-cinq ans d’acquis européen, et entraînerait une forte instabilité économique, non seulement pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour l’Europe tout entière. Alors que la situation économique de la France est déjà préoccupante, le Brexit fait peser un risque supplémentaire sérieux sur la croissance.
Si l’accord du 25 novembre dernier n’était pas ratifié, quel serait l’impact, pour les transports aériens, maritimes, ferroviaires et routiers, d’un contrôle sur les marchandises et les passagers ? Les ports français seraient en première ligne. Les investissements à réaliser représentent, par exemple, 25 millions d’euros pour le seul port de Dunkerque ! Le ministère britannique des transports estime, d’après la presse d’outre-Manche, que l’axe Douvres-Calais pourrait fonctionner à seulement 13 % de ses capacités pendant les six premiers mois qui suivraient le Brexit !
Notre autre préoccupation majeure, ce sont les droits des citoyens. L’accord apporte un certain nombre de garanties qui, en son absence, seraient remises en cause.
Le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de préparation au Brexit doit être examiné demain matin en commission mixte paritaire. Nous sommes en principe défavorables aux ordonnances, mais, prenant ses responsabilités, le Sénat a voté ce texte, car il y a urgence – cela ne fait aucun doute.
Le groupe de suivi sera vigilant sur les mesures de préparation qui seront prises par le Gouvernement.
Nous veillerons également, en cas d’absence d’accord, à l’instauration, par le Royaume-Uni, de mesures réciproques en faveur de nos compatriotes et de nos entreprises outre-Manche.
Si le Brexit est un non-sens économique, je souhaite répéter dans cette enceinte qu’il s’agit aussi d’un non-sens stratégique.
L’Europe a besoin du Royaume-Uni pour sa défense, et réciproquement. Le Royaume-Uni est le seul pays du continent à partager notre vision stratégique et notre culture opérationnelle. Un partenariat de sécurité et de défense est dès lors indispensable.
Le Conseil européen a salué les avancées dans le domaine de la sécurité et de la défense, notamment la mise en place de la coopération structurée permanente, l’amélioration de la mobilité militaire, l’instauration du programme de développement industriel de défense et les négociations sur le Fonds européen de défense.
Si le Royaume-Uni participe à l’Initiative européenne d’intervention, l’IEI, il faudra qu’il puisse contribuer aussi à d’autres projets européens, tels que la coopération structurée permanente ou le Fonds européen de défense, selon un cadre à déterminer. Le Brexit doit nous inviter à davantage de souplesse dans les coopérations.
Puisque vous l’avez évoquée, madame la ministre, je souhaite dire également un mot de la situation en Ukraine. Le 25 novembre dernier, un grave incident a opposé des garde-côtes russes à la marine ukrainienne. Depuis l’annexion de la Crimée, en 2014, la Russie tend à exercer un contrôle de plus en plus étroit sur la région de la mer d’Azov, et, au-delà, sur celle de la mer Noire.
Cette situation nous préoccupe, comme vous, et nous avons récemment entendu l’ambassadeur d’Ukraine à ce sujet, en commission des affaires étrangères, tout en entretenant un dialogue soutenu et ferme avec nos amis russes.
Les dirigeants européens ont réaffirmé leur soutien à la souveraineté de l’Ukraine et proposé une aide financière. Vous avez évoqué ce point, madame la ministre, mais vous nous direz certainement quels sont les résultats des recommandations qu’a formulées le Conseil européen. La priorité doit être en effet la désescalade ; il est nécessaire, en outre, d’obtenir des avancées supplémentaires dans l’application par les deux parties des accords de Minsk, seule porte de sortie politique à cette crise.