Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 17 décembre 2018 à 15h00
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 13 et 14 décembre 2018

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce dernier Conseil européen de l’année 2018 étaittrès attendu. Outre la réforme de la zone euro, lesdifficultés de politique intérieure, au Royaume-Uni maisaussi en France, ont été au cœur des échanges entre les États membres. Le Brexit s’est ainsi invité à l’ordre dujour : il s’est agi de tenter d’apaiser les craintes des parlementairesbritanniques au sujet de l’accord de retrait.

Plusieurs despoints évoqués au cours de ce Conseil européenintéressent particulièrement la commission desfinances.

Premièrement, concernant le Brexit, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont une nouvelle fois fait preuve d’unité face aux vicissitudes des négociations.

Alors que la Première ministre britannique, Theresa May, espérait gagner des marges de manœuvre concernant l’accord de retrait et, plus précisément, au sujet du filet de sécurité de la frontière irlandaise, le fameux « backstop », elle n’a obtenu qu’un soutien poli de la part des États membres. Seule porte de sortie de crise à l’horizon, ce filet de sécurité consiste à maintenir le Royaume-Uni dans l’union douanière, afin de conserver la réglementation sur la libre circulation des biens et d’éviter le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.

Les vingt-sept États membres, sans modifier l’accord, ont rappelé qu’il ne s’agissait que d’une solution de dernier recours, pour le cas où aucun accord commercial ne serait trouvé avant la fin de la période de transition.

Deuxièmement, le sommet de la zone euro a permis d’examiner les conclusions de l’Eurogroupe sur la réforme de celle-ci. Si des progrès peuvent être soulignés, force est de constater que les propositions sont moins ambitieuses que le projet initialement porté par le Président de la République, Emmanuel Macron.

L’Eurogroupe a été mandaté en juin dernier pour élaborer un rapport sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, à la suite des propositions présentées par la Commission européenne en décembre 2017. Dans cette perspective, le sommet de la zone euro a permis d’entériner la mise en place d’un filet de sécurité du Fonds de résolution unique, assuré par le Mécanisme européen de stabilité.

Ce dernier verra ses compétences élargies et devrait devenir un prêteur en dernier ressort pour les banques. Les contours de sa coopération avec la Commission européenne ont été établis. Le duo formé par la Commission européenne et le Mécanisme européen de stabilité devrait ainsi permettre de sécuriser le système bancaire au sein de la zone. Les prêts du Mécanisme européen de stabilité pourraient être disponibles dès 2020 s’il apparaît que le risque de faillite bancaire est suffisamment réduit au sein de la zone euro.

Cet accord constitue indéniablement une avancée, dix ans après la crise financière mondiale de 2008.

Toutefois, les principaux éléments de divergence sur l’avenir de la zone euro n’ont toujours pas été tranchés. D’une part, le système européen de garantie des dépôts a été renvoyé aux calendes grecques. D’autre part, la question d’un budget de la zone euro – l’idée est défendue depuis dix-huit mois par la France – n’a pas trouvé de réponse à la hauteur des ambitions initiales. En effet, cet « instrument budgétaire », qu’on prend soin de ne pas nommer « budget », serait intégré au budget de l’Union européenne. Sa vocation même a été minorée : elle devrait être de permettre la convergence de nos économies, et non d’assurer une fonction de stabilisation de celles-ci et de leurs rapports.

Cet accord reste très éloigné de la « refondation » annoncée par le Président de la République en septembre 2017. En réalité, il révèle en creux le mur auquel la France est confrontée dans ses tentatives de convaincre ses partenaires de la nécessité d’un projet européen ambitieux.

À la résistance des États dits « de la ligue hanséatique » s’ajoute la question de la crédibilité de la France face à ses partenaires de la zone euro, notamment en matière de respect des règles budgétaires. Lors de l’audition de M. Moscovici par les commissions des finances et des affaires européennes du Sénat, la semaine dernière, il a semblé que la Commission européenne pourrait accepter de faire preuve de souplesse au regard du risque, pour la France, d’atteindre 3, 5 % de déficit public l’an prochain.

Cette tolérance serait d’autant plus difficile à comprendre pour nos partenaires de la zone euro que le déficit public ne s’y élève en moyenne qu’à 1 % du PIB. Dans cette perspective, je vois mal comment la France pourra à l’avenir défendre un véritable budget de la zone euro, alors qu’elle reste en queue de peloton !

Lors de ce Conseil européen a été abordé, troisièmement, le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Un consensus visant à attendre l’automne prochain pour obtenir un accord se dessine.

Initialement, la Commission européenne souhaitait que les États membres s’accordent sur un cadre financier pluriannuel pour les années 2021-2027 avant les élections européennes. Ce calendrier se heurtait à un problème démocratique, puisque les députés nouvellement élus n’auraient pas pu se prononcer sur les orientations budgétaires de l’Union européenne.

L’horizon de l’automne 2019 semble donc plus approprié, tant en raison des faibles progrès des négociations que du point de vue du mandat des futurs députés européens.

Néanmoins, il n’est pas souhaitable qu’un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel intervienne au-delà de cette échéance. En effet, un accord conclu ultérieurement se traduirait par un démarrage tardif des programmes de financement européens. Ce retard pénaliserait les porteurs de projets locaux qui bénéficient de la politique de cohésion européenne.

À six mois des prochaines élections européennes, il me paraît important de rappeler que les citoyens européens demandent des preuves concrètes de l’efficacité et de la valeur ajoutée de l’Union européenne, et ce au plus près de leur vie quotidienne.

Par ailleurs, le sort du budget de la zone euro étant désormais lié à celui du cadre financier pluriannuel, il serait préférable que les négociations ne prennent pas davantage de retard, afin de concrétiser rapidement l’accord conclu la semaine dernière.

Je terminerai mon propos en soulignant que la taxe sur les services numériques n’avait pas été retenue par la Commission européenne, en mai dernier, au titre des nouvelles mesures et ressources du budget européen. En tout état de cause, la concession de la France envers l’Allemagne, consistant à limiter l’assiette de cette future taxe aux recettes publicitaires, réduit largement…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion