Intervention de Martine Berthet

Réunion du 18 décembre 2018 à 14h30
Praticiens diplômés hors union européenne — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Martine BerthetMartine Berthet :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens titulaires d’un diplôme d’un pays situé en dehors de l’Union européenne – ils sont appelés PADHUE –, qui exercent dans nos établissements de santé depuis parfois de longues années, sont souvent décrits comme les « invisibles » de l’hôpital.

Bien moins rémunérés que les autres praticiens hospitaliers, cantonnés à une précarité qu’ils n’ont pas choisie, ils sont pourtant devenus essentiels au fonctionnement quotidien de certains de nos hôpitaux. Leur situation apparaît comme un angle mort des politiques hospitalières, sur lequel les pouvoirs publics ont fait preuve, au cours des dernières années, d’une négligence qui me semble coupable.

Un angle mort, tout d’abord, parce que ces praticiens ne correspondent pas à une catégorie clairement identifiée de personnels hospitaliers. Ils sont recrutés de gré à gré par les établissements où ils peuvent exercer pendant de nombreuses années sans plein exercice, sans contrôle de compétences et sans inscription à l’ordre des médecins, sur le fondement d’un contrat précaire assorti d’une faible rémunération, en tant, par exemple, que stagiaires associés ou faisant fonction d’interne, pour une durée de six mois renouvelables une fois, et pour une rémunération annuelle de quelque 15 000 euros brut.

Un angle mort, ensuite, parce que leur situation n’a jamais été véritablement réglée par le législateur. Depuis 1972, pas moins de six lois se sont succédé sur ce thème, aboutissant à la mise en place d’une réglementation complexe, transitoire et dérogatoire, qui a fréquemment évolué depuis 1995.

La dernière réforme d’ampleur date de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui a créé plusieurs voies d’accès au plein exercice pour les titulaires d’un diplôme étranger.

La voie de droit commun est celle de la liste A, qui consiste en un concours très sélectif suivi d’une période probatoire de trois ans.

Il existe également une liste B, réservée aux candidats réfugiés et apatrides.

Enfin, le dispositif spécifique de la liste C a été prévu pour les PADHUE déjà en activité dans les hôpitaux.

Ce mécanisme à double détente consiste tout d’abord en une autorisation temporaire d’exercice couvrant jusqu’au 31 décembre 2018 les diplômés étrangers exerçant dans un établissement de santé public ou privé d’intérêt collectif, à condition qu’ils aient été recrutés avant le 3 août 2010 et qu’ils aient été en poste au 31 décembre 2016. Ce dispositif arrive à expiration, et la pratique de certains PADHUE exerçant dans nos hôpitaux depuis 2010 au moins deviendra illégale le 1er janvier prochain.

Il comprend également un examen d’autorisation de plein exercice sans quota, ouvert sous deux conditions : l’exercice de fonctions rémunérées pendant deux mois continus entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011 ; une durée de trois ans d’exercice à temps plein à la date de clôture des inscriptions. Cet examen n’existe plus depuis 2016.

Tous les PADHUE actuellement présents sur notre territoire n’ont cependant pas pu bénéficier de ces procédures, notamment parce qu’ils n’en remplissaient pas les conditions d’éligibilité. J’ai ainsi rencontré un cancérologue qui a effectué un parcours de surspécialisation aux États-Unis en 2010 et 2011, et qui, en dépit de sa compétence manifeste, n’a pu s’inscrire à l’examen de la liste C.

En raison du faible nombre de places ouvertes, le concours de la liste A n’est pas davantage accessible : certains praticiens ont été recalés avec d’excellentes moyennes ; d’autres n’ont pu s’y inscrire parce que leur spécialité n’y était pas représentée.

Si le règlement du sort des PADHUE n’est pas simple, c’est parce qu’il recouvre une myriade de situations et de parcours individuels.

Cela me conduit à ma troisième remarque concernant l’angle mort que j’évoquais : du fait de l’autonomie de gestion des hôpitaux et de l’absence d’inscription ordinale de ces praticiens, aucune statistique officielle ne permet d’évaluer précisément le nombre de PADHUE actuellement en activité sans plein exercice.

Selon leurs syndicats, entre 4 000 et 5 000 professionnels seraient aujourd’hui en difficulté ; 3 000 à 4 000 d’entre eux auraient été recrutés après 2012 et ne sont donc pas éligibles à la liste C.

Ces recrutements sont intervenus en toute illégalité, puisque chacune des lois ayant successivement réglé le sort des PADHUE a réaffirmé l’interdiction pour les hôpitaux de recruter de nouveaux professionnels.

Le fait que ces recrutements aient cependant eu lieu n’atteste pas seulement de la complexité de la législation, dont il résulte que certains hôpitaux la contournent sans le savoir ; il témoigne plus généralement du dysfonctionnement de notre système de santé face à la pénurie de professionnels médicaux, et les PADHUE apparaissent comme une variable d’ajustement.

La situation est pour le moins paradoxale : pour faire face à la pénurie résultant du maintien du numerus clausus à un niveau très bas, nos établissements de santé ont dû recruter des médecins étrangers exerçant en dehors de tout régime légal.

Nous le savons tous, dans de nombreux hôpitaux situés en zone sous-dotée, nécessité fait loi : un poste pourvu par un PADHUE sans plein exercice est un poste qui, sinon, resterait vacant.

Ces praticiens sont ainsi devenus au fil des années indispensables au fonctionnement des hôpitaux français, principalement dans les zones sous-dotées.

Madame la secrétaire d’État, cette situation est très largement insatisfaisante.

Pour ces praticiens, en premier lieu. Il ne me paraît pas acceptable que des praticiens médicaux puissent exercer pendant plusieurs années dans des conditions matérielles dégradées, sans inscription ordinale et sans visibilité aucune sur leur avenir.

Pour la qualité des soins, en deuxième lieu. Je ne remets pas en cause la compétence des PADHUE, et ceux que j’ai rencontrés m’ont semblé présenter toutes les garanties de compétence et d’implication. Mais cela ne préjuge pas les qualifications professionnelles de l’ensemble d’entre eux ni d’ailleurs de leur niveau de maîtrise de la langue française. Il n’est pas acceptable que le même niveau de prise en charge ne soit pas garanti à l’ensemble de nos concitoyens en tout point du territoire.

Pour les patients, en troisième lieu. Il me semble difficilement justifiable, pour des raisons de bonne information et de transparence, que ceux-ci puissent avoir affaire à des praticiens ne disposant pas du plein exercice sans en être parfaitement informés.

Face à cette situation, il est demandé à la représentation nationale de reconduire dans la précipitation un dispositif dérogatoire qui place les professionnels dans une grande précarité et les établissements de santé dans une forte insécurité juridique, et qui pose la question de la qualité des soins garantie aux patients sur l’ensemble du territoire.

Car l’ambition de la proposition de loi est très modeste : il s’agit simplement de prolonger de deux ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2020, l’autorisation d’exercice dérogatoire mise en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Cette prolongation serait la troisième, après celle qui est intervenue en 2012, puis dans la loi Montagne de 2016. Il s’agit donc d’une simple mesure d’urgence, qui vise à éviter que les quelque 300 praticiens concernés par la mesure reconduite ne se retrouvent hors-la-loi le 1er janvier prochain.

Cette mesure est bien évidemment très insuffisante, ne serait-ce que parce que la plupart des PADHUE exerçant actuellement à titre dérogatoire ne relèvent pas de ce dispositif. Je vous rappelle que, tandis que la DGOS estime à 300 ou 350 le nombre de praticiens répondant aux critères fixés en 2012, 4 000 à 5 000 PADHUE au total seraient en difficulté. C’est d’autant plus regrettable que les reports intervenus en 2012 et en 2016 auraient dû être mis à profit pour définir une solution plus large et plus pérenne.

Constatant l’urgence de la situation, ne souhaitant ni mettre en danger l’activité des praticiens concernés ni déstabiliser l’organisation des hôpitaux qui les emploient, et prenant acte de la réforme annoncée par le ministère des solidarités et de la santé, la commission des affaires sociales a malgré tout adopté cette proposition de loi sans modification.

Nous souhaitons cependant, madame la secrétaire d’État, poser quelques jalons en amont de la réforme annoncée. Si j’en crois les éléments qui m’ont été transmis, l’esprit en sera le suivant : une procédure d’autorisation de plein exercice dérogatoire et temporaire permettra l’intégration des PADHUE actuellement en activité ; une fois résorbée la situation actuelle, il ne demeurerait plus qu’une seule voie d’accès à l’exercice des médecins en France, celle de la liste A.

Nous souhaitons insister sur trois points.

Tout d’abord, le périmètre du dispositif d’intégration devra être suffisamment large pour couvrir l’ensemble des PADHUE aujourd’hui en activité ou en recherche d’activité, car certains, du fait de la précarité de leur contrat, pourraient ne pas être couverts par la condition d’activité qui sera proposée. Ce dispositif devra cependant et bien évidemment garantir que les praticiens qui seront finalement retenus présentent toutes les garanties de compétence et de maîtrise de la langue.

Il semble par ailleurs que rien ne soit prévu pour régler l’épineuse situation des binationaux titulaires d’un diplôme étranger qui sont très peu nombreux, mais se trouvent dans une impasse, car ils ne satisfont aux critères d’aucun régime d’exercice.

Nous nous interrogeons enfin sur les mesures qui seront mises en œuvre pour éviter que les établissements de santé ne continuent à recruter de nouveaux PADHUE avant l’entrée en vigueur de la réforme annoncée.

Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir nous fournir vos éclairages sur ces différents points.

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