Le projet de loi de finances a donc été considérablement bouleversé par la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, cette dernière ayant été amenée à reprendre un certain nombre d’apports du Sénat et à introduire des dispositions nouvelles.
Si je me demande ce que nous faisons cet après-midi, c’est parce que nous nous trouvons dans une situation très particulière. En effet, le texte adopté ce matin par le conseil des ministres, qui comporte diverses mesures liées au pouvoir d’achat, bouleverse encore les équilibres de la loi de finances.
Comme le soulignait Roger Karoutchi ce matin en commission, nous pouvons nous interroger sur l’appréciation que portera le Conseil constitutionnel sur ce texte, sans parler de sa sincérité. Quoi qu’il en soit, nous sommes très éloignés, en termes de déficit, de dépenses publiques et d’endettement, des objectifs initiaux de la loi de finances, très éloignés aussi de l’objectif de lisibilité que le Gouvernement appelait de ses vœux.
En additionnant le texte adopté ce matin et les différents apports de l’Assemblée nationale, on obtient environ10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Nous sommes loin de l’épaisseur du trait ! Il s’agit, au contraire, d’une évolution considérable sur laquelle nous devons nous interroger.
Évidemment, je ne vais pas détailler les 241 articles du projet de loi de finances qui restent en discussion.
Je soulignerai en revanche que le Gouvernement a été amené – faut-il s’en réjouir ? – à retenir le texte du Sénat pour la hausse de la taxe sur les carburants. Pourtant, dès 2018, Jean-François Husson, ici présent, vous avait mis en garde. Nous l’avions redit cette année, et supprimé cette hausse à compter de 2019.
Finalement, après énormément de difficultés, vous avez retenu notre idée. Nous avons aussi eu raison, de fait, sur le gazole non routier, un sujet sur lequel nous avions également appelé votre attention.
De nombreuses autres dispositions introduites par le Sénat ont été retenues par l’Assemblée nationale. Je pense au crédit d’impôt pour la transition énergétique, que nous avons modifié en réintégrant les fenêtres, avec un sous-amendement de la commission, ou encore à nos propositions sur le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU, les régimes d’abattement en faveur des élus locaux ou le dispositif « Dutreil ».
L’Assemblée nationale a également conservé des apports importants du Sénat sur la taxe de séjour, sur l’exonération des résidences principales comportant une chambre d’hôte, sur les friches commerciales ou encore sur la suppression de la provision pour investissement des sociétés coopératives, ou SCOP.
Toutes ces mesures, dont certaines avaient été adoptées par une très large majorité au Sénat, ont été retenues par l’Assemblée nationale. Comme mes collègues l’ont fait ce matin en commission des finances, je voudrais souligner combien la navette parlementaire et l’apport du Sénat sont essentiels.
Au-delà de l’anecdote quelque peu malheureuse de la TICPE, vous avez reconnu, monsieur le secrétaire d’État, après Joël Giraud à l’Assemblée nationale lors de la réunion de la commission mixte paritaire, l’utilité des apports de notre assemblée.
Je pense également à d’autres amendements sur le mécénat pour les PME ou sur le prélèvement pour l’imposition des non-résidents, qui ont également été retenus. Malheureusement, je suis obligé de les passer très vite en revue compte tenu du temps qui m’est imparti.
Pour autant, devons-nous envisager une nouvelle lecture de ce projet de loi de finances à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire ?
Nous conservons des divergences fondamentales avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale.
La première divergence est macroéconomique. Elle porte non seulement sur le taux de croissance, mais aussi sur le taux de prélèvements obligatoires, que nous jugeons trop élevé. Elle s’exprime, me semble-t-il, sur de nombreuses travées dans cette enceinte. Les Français, eux, l’expriment de façon très visible, et malheureusement parfois de façon un peu violente.
Vous n’accompagnez pas votre politique d’une baisse des dépenses publiques. Vous vous engagez au mieux à les stabiliser, et toutes les réformes structurelles restent à accomplir. Elles seront encore plus difficiles à mener l’année prochaine et les années à venir, au moment où la croissance s’annonce en fort ralentissement. En termes de déficit et d’endettement, la France fait aujourd’hui figure de mauvais élève en Europe. En tout cas, notre pays est très isolé.
L’article liminaire du projet de loi, tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, entérine cette augmentation du déficit, en prenant en compte les mesures que j’ai annoncées.
Avec un déficit public de 3, 2 % du PIB, nous sommes très éloignés de l’objectif initialement annoncé, qui consistait à passer en dessous de la barre des 3 %.
Ce matin, des dépenses supplémentaires ont été décidées pour un montant de 6 milliards d’euros, et la situation n’est pas encore stabilisée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez défendu devant le Sénat un amendement à 600 millions d’euros sur la prime d’activité. Mais l’on nous dit aujourd’hui que la mesure coûtera peut-être 2 milliards d’euros, voire 2, 5 milliards d’euros. Les chiffres changent toutes les minutes ; je ne sais lequel annoncer ! Une chose est sûre : nous sommes très loin de l’objectif initial.
Au-delà de ces divergences fondamentales sur le contexte macroéconomique, nous regrettons que l’Assemblée nationale ait rétabli son texte sur un certain nombre de dispositions qui avaient été adoptées par le Sénat, parfois à une très large majorité. Ce sont, me semble-t-il, des erreurs politiques que les Français vont découvrir et qui se paieront.
Je pense par exemple à l’assujettissement des emprunteurs à la taxe sur les conventions d’assurances, la TSCA, qui va contribuer à renchérir le coût des emprunts immobiliers. Le Sénat s’était fermement opposé à cette mesure. Je pense aussi à nos alertes sur la définition des locaux industriels et artisanaux. Vous n’avez pas voulu reprendre le texte voté par le Sénat et c’est, là encore, une erreur.
L’Assemblée nationale a également rétabli le renforcement de la composante carbone de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, sans reprendre les amendements du Sénat. Cela signifie très concrètement que, dans les années à venir, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères augmentera pour tous les Français. Ils le découvriront au fur et à mesure, et c’est une nouvelle erreur.
L’Assemblée nationale n’a pas voulu entendre non plus le Sénat sur le pouvoir d’achat. Je pense au relèvement du quotient familial, une mesure en faveur de la justice fiscale et du pouvoir d’achat.
Nous n’avons pas été entendus non plus sur certains amendements votés à l’unanimité ou presque du Sénat. Je pense au maintien du prêt à taux zéro pour l’ensemble du territoire ou à l’exonération des sommes misées au titre du loto du patrimoine. Voilà un bel exemple de bêtise technocratique, qui consiste à taxer d’une main pour redonner de l’autre. Franchement, qui décide des arbitrages dans ce pays ? Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont sauvé leur patrimoine grâce à des lotos exonérés de taxes. Nous avions l’occasion de dégager des sommes importantes pour le patrimoine rural, là où les besoins sont les plus importants. Mais, par une vision totalement déconnectée et technocratique, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas voulu retenir l’amendement voté à la quasi-unanimité du Sénat.
Je pense également à la lutte contre l’arbitrage des dividendes. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, nous avons une divergence sur la notion de « fraude aux dividendes » dans les dispositifs reposant sur les non-résidents. Vous considérez que les dispositions des conventions fiscales s’imposent ; nous n’avons pas la même analyse et nous avons, sur ce point encore, une divergence fondamentale.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, les sujets de désaccord entre les deux assemblées restent nombreux. Même si le Sénat rétablissait son texte, je ne pense pas que cette nouvelle lecture serait de nature à faire évoluer le Gouvernement ni l’Assemblée nationale. Nous serions surtout dans une situation totalement paradoxale, avec un télescopage du projet de loi de finances et du texte que nous allons examiner vendredi, lequel va remettre en cause les grands équilibres, avec 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.
La logique aurait voulu que l’on travaille sur un projet de loi de finances rectificative.
Je vous pose donc la question, monsieur le secrétaire d’État : un collectif budgétaire sera-t-il bientôt déposé ?