Intervention de François de Rugy

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 décembre 2018 à 16h35
Programmation pluriannuelle de l'énergie — Audition de M. François de Rugy ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire

François de Rugy, ministre d'État :

Quelle autre solution ? Les quotas carbone suscitent l'opposition de ceux qui sont contre les mécanismes de marché ; les CEE, tout le monde y adhère sur le principe car on pense que c'est indolore mais c'est en réalité une forme de taxation pour les vendeurs d'énergie, notamment fossiles ; dernière solution, la norme, par exemple en matière de véhicules, mais cette norme engendre aussi des surcoûts, au moins dans un premier temps, et peut paraître socialement injuste, d'où les appels à aller moins vite sur ces sujets. Le Gouvernement, aux responsabilités, tranchera et assumera ses choix, mais toute idée opérationnelle demeure la bienvenue. Je dis bien opérationnelle car quand j'entends une ancienne ministre - devenue depuis directrice d'une organisation non gouvernementale - parler de « taxe carbone juste », qu'elle nous donne le mode opératoire !

Je suis bien entendu favorable au développement de l'hydroélectricité en améliorant la productivité des barrages et leur capacité à servir de tampon pour répondre à la pointe. Mais cela n'a pas de lien avec la remise en concurrence des concessions, qui relève d'un choix politique. D'aucuns souhaiteraient prolonger les concessions existantes, ce que la Commission européenne nous interdit. Nous allons donc sortir cette question du statu quo mais je ne laisserai pas dire qu'il s'agit d'une privatisation des barrages, car c'est faux : on ne vend pas le barrage, on met en concurrence son exploitation, avec des investissements et une redevance. Nous travaillerons avec les élus locaux, dont beaucoup sont demandeurs et regrettent qu'on ne fasse plus rien sur les barrages, pour rédiger les cahiers des charges des concessions d'exploitation.

Vous avez également évoqué, monsieur Gontard, le rôle du Parlement. Je prendrai l'exemple de l'EPR : ce sujet fera-t-il l'objet d'une loi en 2022 ? Je vous rappelle que le programme électronucléaire français a été lancé sans la moindre loi ni le moindre débat au Parlement. Nous avons désormais une loi de transition énergétique, une PPE et l'on prévoit que si de nouveaux EPR devaient être commandés, cela se fera dans un cadre transparent, avec toutes les données à disposition et avant une échéance électorale dans laquelle chacun pourra se positionner.

Monsieur Gay, le désengagement de l'État du capital d'Engie représente un choix politique que j'assume : ce n'est pas en conservant des participations minoritaires dans l'entreprise que l'État dispose des meilleurs outils de politique énergétique. Vous souhaitez que nous taxions le kérosène : alors, soyez certains que si nous taxons uniquement en France, les compagnies aériennes iront se fournir hors de nos frontières, comme le font déjà les camions étrangers, qui représentent 35 % du trafic mais ne participent qu'à hauteur de 8 % aux recettes sur les carburants, grâce à Mme Royal qui a supprimé la taxe poids lourds et préféré imposer les carburants plutôt que l'usage des routes.

Le dossier de la Montagne d'Or sera traité dans les prochaines semaines. J'ai, à cet effet, rencontré les associations, les élus locaux et le préfet de Guyane. S'agissant de l'éolien posé ou offshore, si les industriels démontrent qu'ils sont en mesure de réduire le coût de production - il s'affiche actuellement entre 120 et 130 euros par mégawattheure, soit le double du prix de marché - nous fixerons un objectif supérieur. De la même façon, si, dans cinq ans, une solution moins coûteuse était trouvée pour le stockage de l'énergie, la PPE pourrait être révisée car l'utilisation des énergies renouvelables en serait facilitée d'autant.

Je défends, pour ma part, l'éolien flottant dans la perspective de faire émerger une filière française en permettant à nos entreprises, dont trois comptent parmi les cinq entreprises mondiales à la pointe sur le sujet, de déployer ce savoir-faire en France. Les coûts de production, pour autant, doivent demeurer raisonnables. J'entends bien vos inquiétudes : plusieurs projets existent, en Bretagne, en Occitanie et en Provence et chaque région voudrait que son projet se concrétise. J'en profite pour inviter la région Occitanie à développer l'éolien terrestre...

La doctrine, qui n'interdit la production que sur les terres agricoles et les espaces naturels, ne me semble nullement défavorable au développement du photovoltaïque au sol. Les blocages venant localement de l'administration doivent être remontés au ministère, même s'il apparait que l'application de règles multiples constitue un frein évident. Imaginez que nous ayons dû respecter autant de normes lors de la construction des centrales thermiques et nucléaires ! En revanche, je réfute les propos tenus sur l'absence d'intérêt, pour les collectivités territoriales, qu'il y aurait à développer les énergies renouvelables. D'aucuns estiment d'ailleurs que les élus locaux seraient achetés par les promoteurs. Les retombées fiscales existent localement - même s'il y a toujours un débat sur le partage de ces recettes entre niveaux de collectivités - et cela me semble normal, notamment au bénéfice des territoires ruraux qui, par nature, sont davantage susceptibles d'accueillir les installations de production. Vous m'avez interrogé sur l'affectation d'une part de la taxe carbone aux collectivités, mais les surplus de recettes seront nuls en 2019, voire au-delà.

Madame Loisier a évoqué la captation du dioxyde de carbone par la forêt. S'il n'est pas prévu de produire à grande échelle de l'électricité en brûlant du bois, compte tenu du coût élevé de l'opération et de son faible rendement - et l'on voit les difficultés que l'on connaît à Gardanne -, en revanche, le bois est intéressant pour la production de chaleur.

Monsieur Cuypers, veillez à ne pas déformer mes propos sur les biocarburants. Nous allons augmenter leur part dans la consommation de carburants. Pourtant, d'aucuns critiquent leur bilan carbone, compte tenu de l'importation d'huiles diverses et de la déforestation que leur production entraine. Vous avez eu à en débattre ici au Sénat et cette nuit encore, l'Assemblée nationale a adopté un amendement sur l'huile de palme qui ne va pas faciliter les choses pour l'usine de la Mède. Avec le ministre de l'agriculture, j'ai même pris une mesure favorisant la filière betterave pour la production de l'éthanol. Mais, s'il faut sauver l'usine Total de La Mède, il convient d'accepter que 50 % de la production soit issue de l'huile de palme.

Soyons, par ailleurs, réalistes et honnêtes vis-à-vis de nos concitoyens : si s'appliquaient aux biocarburants les mêmes règles en matière de taxation qu'aux carburants d'origine fossile, ils seraient bien plus coûteux. Le raisonnement est identique s'agissant du biogaz, dont les industriels doivent s'efforcer de réduire le coût de production pour le rapprocher du prix de marché, même si l'on n'arrivera pas au prix du gaz importé. Je suis favorable au développement de nos ressources afin de limiter les importations, mais les coûts doivent en demeurer acceptables, sauf à peser sur l'État au travers d'une subvention publique ou sur les Français via les tarifs d'achat. Et encore une fois, sur les biocarburants, nous maintenons le taux d'incorporation.

Concernant enfin la recherche et le développement dans l'industrie, l'émergence de filières industrielles doit pouvoir bénéficier d'un soutien public raisonnable, notamment pour compenser un différentiel de coût entre le coût de production et le prix de marché. Par ailleurs, des programmes de recherche, dont je souhaite qu'ils aboutissent, sont financés par le programme d'investissements d'avenir (PIA). Bruno Le Maire a négocié un accord franco-allemand sur les batteries. Les industriels de la filière automobile vont désormais discuter pour développer une filière européenne, offrant des retombées à l'économie française et européenne.

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