Intervention de Rachel Mazuir

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 décembre 2018 à 10h00
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le conseil des ministres de la république d'albanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de l'accord de coopération en matière de défense entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de chypre — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Rachel MazuirRachel Mazuir, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi autorisant l'approbation de deux accords de coopération dans le domaine de la défense conclus respectivement avec l'Albanie, en mars 2017, et avec Chypre, en avril 2017.

Ces deux accords, au contenu normalisé, ont pour objet de renforcer la coopération bilatérale en matière de défense avec chacun de ces pays et d'assurer, comme c'est traditionnellement le cas, un statut protecteur aux forces d'un État envoyées sur le territoire de l'autre dans le cadre de cette coopération. Ils s'inscrivent toutefois dans des contextes quelque peu différents.

Examinons d'abord l'accord signé avec l'Albanie. L'Albanie est un petit pays de 2,9 millions d'habitants, bordé par la mer Adriatique et qui a des frontières communes avec la Grèce, la Macédoine, le Kosovo et le Monténégro. La langue albanaise est pratiquée dans ces quatre pays. C'est aussi un des pays les plus pauvres d'Europe avec un PIB de 4 000 euros par habitant en 2017 et un taux de chômage de 14 %, même si, depuis 2015, la croissance est positive, de près de 4 % en 2017.

L'Albanie a entamé sa transition politique au début des années quatre-vingt-dix et sa situation est désormais stable. Depuis 2014, elle a le statut officiel de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne et s'est engagée dans l'amélioration des relations de bon voisinage avec les pays de la région. Depuis 2009, elle est aussi membre de l'OTAN. Ses ressources budgétaires et capacitaires sont faibles - le budget de la défense est de 150 millions d'euros en 2018, dont 18 millions d'euros affectés aux investissements. En revanche, l'Albanie participe aux opérations de l'OTAN : une centaine de soldats est déployée, ce qui est un effort notable, eu égard à la taille de ses forces combattantes (3 540 personnes).

Enfin, si la coopération bilatérale de défense actuelle est faible, l'Albanie, très francophone et francophile, manifeste une forte volonté de coopérer avec la France dans des domaines d'intérêt partagé comme la lutte contre le terrorisme et le radicalisme - notamment le retour des combattants étrangers du théâtre irako-syrien -, la stabilisation des Balkans et la sécurisation des espaces maritimes méditerranéens.

Cet accord intergouvernemental s'inscrit dans le programme d'actualisation du cadre juridique de la coopération dans le domaine de la défense avec les États d'Europe centrale et orientale ; des accords analogues ont ainsi été signés avec la Slovaquie en 2011, la Serbie en 2014 et la Croatie en 2016. Il est appelé à se substituer à un arrangement technique de 1996, dont la portée juridique est, par nature, limitée et dont certaines stipulations sont devenues obsolètes, compte tenu de l'adhésion de l'Albanie à l'OTAN.

L'accord porte sur des domaines et des formes de coopération classiques : échanges d'expérience, formation, exercices, visites. Ainsi, une association de Bourg-en-Bresse forme des jeunes Albanais dans le domaine du tourisme. Malheureusement, ces jeunes, une fois formés, ont quelquefois tendance à rester dans notre pays... L'accord prévoit aussi, sur la base de la réciprocité, un statut protecteur pour les membres des forces envoyés sur le territoire de l'autre État, par un renvoi au statut des forces de l'OTAN de 1951, le fameux SOFA OTAN (Statutes Of Forces Agreement), avec notamment la prise en charge financière des prestations de santé dans les mêmes conditions que les personnels de l'État de séjour et le principe de renonciation mutuelle à toute indemnisation en cas de dommage.

J'en viens à l'accord signé avec Chypre. Chypre est, depuis 1960, un État bicommunautaire indépendant, dont les « puissances garantes » sont la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie. Depuis 1964, l'ONU maintient une force d'interposition qui gère une zone tampon, « la ligne verte ». Depuis 1974, l'île est occupée militairement par la Turquie - avec l'opération Attila qui compte plus de 30 000 hommes - et les négociations interchypriotes directes entre les dirigeants des deux communautés en vue de la réunification sont au point mort. Pour se défendre, Chypre entretient une garde nationale d'environ 12 000 personnes et de 60 000 réservistes. Le budget de la défense était de 320 millions d'euros en 2018, dont un peu plus de 60 millions d'euros destinés aux investissements. La flotte chypriote est la dixième mondiale.

Chypre est aujourd'hui sortie de la crise économique et financière qu'elle a traversée à partir de 2009, grâce au plan de sauvetage de 10 milliards d'euros alloués par l'Union européenne et le Fonds monétaire international entre 2013 et 2016. Le pays est membre de l'Union européenne depuis 2004 et, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, attend une protection des États membres et, en particulier, de la France, son deuxième partenaire militaire après la Grèce.

Très consciente du caractère stratégique de sa position géographique, Chypre se voit comme une plateforme de dialogue entre l'Union européenne et la rive sud de la Méditerranée, car elle est en bons termes avec la plupart des pays arabes et sa relation avec Israël s'est améliorée. Les gisements gaziers autour de l'île attisent les convoitises. La coopération bilatérale de défense est principalement axée sur la formation et l'entraînement des personnels, ainsi que sur l'organisation d'exercices maritimes et d'évacuation.

Cet accord a vocation à remplacer un précédent accord signé en 2007. Il a pour objet, à la demande de Chypre, d'étendre les champs de coopération à l'échange d'expériences et de connaissances dans les domaines de la sécurité énergétique, de la sûreté maritime, de l'alerte précoce, de l'évacuation des ressortissants et de la gestion des crises, ainsi que de développer des facilités et du soutien logistiques aux forces armées. Il permet d'accorder un statut réciproque aux personnels d'un État déployé sur le territoire de l'autre, en renvoyant au « SOFA UE » de 2003 et prévoit également la validation d'un programme de coopération tous les deux ans. Pour le reste, il contient des stipulations similaires à celles de l'accord avec l'Albanie.

En conclusion, je recommande l'adoption de ces deux projets de loi. Le premier accompagnera la réouverture de la mission de défense française en Albanie, prévue à l'été 2019 - en juin 2019 reprendront d'ailleurs les pourparlers pour une intégration de l'Albanie dans l'Union européenne -, tandis que le second permettra de conserver un point d'appui stratégique important dans la conduite des opérations militaires françaises en Méditerranée orientale, en particulier, dans la perspective d'évacuations de ressortissants depuis le Liban, en cas de crise majeure. L'Albanie a notifié l'achèvement des procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de cet accord, tandis que ces procédures sont en cours à Chypre.

L'examen en séance publique devrait avoir lieu le 31 janvier 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

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