Intervention de François Pillet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 décembre 2018 à 9h40
Amélioration de l'efficacité des fiches s — Examen du rapport d'information

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur :

Effectivement, les événements dramatiques survenus à Strasbourg rendent notre travail de ce jour un peu plus délicat. Mais les membres du groupe de travail et moi-même avons souhaité faire un peu de pédagogie sur les fiches S. Même si cet exercice est plus difficile à chaud, il nous appartient de faire preuve de responsabilité et d'assurer l'efficacité de cet outil, au profit des services de renseignement.

Mon raisonnement se déroulera en deux temps : je montrerai tout d'abord que les fiches S sont un outil de travail à l'efficacité prouvée, qui souffre de nombreuses approximations et confusions ; je montrerai ensuite que, si cet outil peut être amélioré à la marge, il ne doit surtout pas être dévoyé, au risque de devenir inutilisable.

S'agissant de la fonction de la fiche S, je vais m'attacher à vous indiquer ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas et ce qu'elle ne saurait être.

Les fiches S ne sont qu'un tiroir d'une commode beaucoup plus large ! Elles constituent effectivement l'une des 21 catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), ces catégories étant multiples et variées : aliénés, contrôles judiciaires, police générale des étrangers, interdictions judiciaires du territoire, débiteurs envers le trésor, etc.

Les fiches ne peuvent être inscrites, directement ou à leur demande, que par quatre services : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; le service central du renseignement territorial (SCRT) ; la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ; et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).

Il existe 11 catégories de fiches S, de S2 à S16, qui ne caractérisent en aucun cas une dangerosité, mais renvoient uniquement à des profils et des conduites à tenir en cas de contrôle d'une personne fichée.

La fiche S peut concerner toute personne, de toute nationalité, présente sur le territoire national ou non, qui, en raison d'une activité individuelle ou collective, est susceptible, directement ou indirectement, de porter atteinte à la sûreté de l'État ou à la sécurité publique, mais également toute personne entretenant ou ayant des relations directes et non fortuites avec ces personnes.

Les critères permettant une inscription « S » sont larges et n'exigent pas de rapporter a priori des informations circonstanciées quant à la menace que représentent la personne fichée ou ses relations.

La fiche S ne contient pas les informations relatives à un éventuel suivi opérationnel de la personne, sachant que les personnes fichées S ne sont pas toutes des objectifs des services de renseignement. Elle ne contient pas non plus les informations précises à l'origine de l'inscription, lesquelles sont répertoriées dans des fichiers plus opérationnels, et donc confidentiels, comme le fichier de centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux, dit « Cristina », ou le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique, dit PASP.

La durée de conservation est de deux ans, avec renouvellement possible tant que la mesure apparaît nécessaire.

S'agissant des finalités et utilisateurs des fiches S, ils sont multiples.

Il s'agit d'un outil de renseignement permettant de collecter des informations sur une personne identifiée pour le compte d'un service de renseignement prescripteur. C'est un mécanisme passif qui ne permet qu'une collecte ponctuelle d'informations, la fiche ne s'activant qu'en cas de consultation ou de contrôle. On signalera, par exemple, un passage d'une frontière, le mode de transport utilisé, les motifs de déplacement ou encore des renseignements administratifs.

Concrètement, dans le cadre d'un contrôle routier, les forces de l'ordre effectueront un contrôle d'identité et rechercheront l'identité de la personne dans le FPR. En cas de « hit », c'est-à-dire si la personne est identifiée comme ayant une fiche S, le policier ou le gendarme sera alors informé d'une conduite à tenir et des éléments à faire remonter. L'immense majorité des fiches prévoient des vérifications discrètes de renseignement, ne devant aucunement attirer l'attention de la personne.

La fiche S peut être conçue comme un filet lancé en espérant une pêche fructueuse d'informations.

Dès lors que la fiche S constitue un mécanisme de remontée d'informations, et non de placement sous surveillance, cet outil est susceptible de concerner un grand nombre de personnes. En avril 2018, parmi les 26 000 fiches S du FPR, 17 000 étaient liées directement ou indirectement au phénomène de radicalisation. Le FPR fait l'objet de 100 000 consultations quotidiennes, soit 40 millions de consultations par an.

La fiche S remplit également une fonction d'alerte aux services administratifs, en particulier pour la délivrance de passeports ou de visas.

J'en viens aux approximations et confusions dont fait l'objet cet outil, qui, considéré à tort comme un indicateur de dangerosité ou de radicalisation, se retrouve au centre d'une « hystérie politico-médiatique » complètement délétère, tant sur son efficacité que sur l'action des services de renseignement.

Les fiches S ne constituent pas un indicateur de la dangerosité d'une personne.

Toutes les personnes inscrites au FPR et pour lesquelles a été créée une fiche S ne sont pas des objectifs des services de renseignement.

Ainsi, peuvent être inscrites des personnes entretenant ou ayant des relations directes avec des individus faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, y compris celles qui ne représentent aucune menace - comme la mère, non radicalisée, d'un adolescent radicalisé. Le fichage de cette catégorie d'individus a pour objectif de permettre aux services de renseignement de recueillir des informations sur un de leurs objectifs, par le biais des contacts qu'il entretient avec son entourage.

La fiche ne comprend qu'un nombre très limité d'informations et ne mentionne pas les raisons précises de l'inscription de la personne. Aucun antécédent n'est mentionné. C'est pourquoi, notamment, il n'existe aucun classement, aucune hiérarchisation des personnes inscrites au FPR avec une fiche S.

Celle-ci ne constitue pas plus un outil de suivi de la radicalisation, contrairement au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

En effet, les services de renseignement y ont aussi recours dans le but de recueillir des informations ou d'effectuer des investigations pour d'autres finalités que la prévention du terrorisme, notamment la contre-ingérence, le contre-espionnage ou la lutte contre les extrémismes violents. Peuvent ainsi figurer au FPR, avec une fiche S, les personnes appartenant aux mouvements hooligans, aux mouvances d'ultradroite ou d'ultragauche.

Loin d'être un outil de suivi de personnes considérées comme dangereuses ou radicalisées, la fiche S vise donc à recueillir, de manière confidentielle, des informations sur certains individus.

Peut-elle être améliorée ?

Il faut surtout que l'outil ne soit pas dévoyé, ce qui suppose la préservation d'un certain nombre de principes fondateurs.

Il importe, tout d'abord, de ne pas réduire le champ des fiches S aux personnes les plus dangereuses. Ce serait catastrophique sur le plan opérationnel, le dispositif n'ayant d'intérêt que s'il permet une remontée d'informations via des personnes qui ne sont ni dangereuses ni radicalisées.

Pour éviter les phénomènes d'« hystérie », la possibilité de débaptiser une partie des fiches S a été évoquée au sein du groupe de travail. Je crains que cette solution ne soit inefficace, car il faudra bien donner un nouveau nom à l'outil et rien n'aura changé sur le fond.

Par ailleurs, l'élargissement des personnes habilitées à consulter les fiches S serait inopérant et risqué sur le plan opérationnel. En effet, il nuirait à l'objectif de confidentialité.

Confier ce type d'informations aux maires, par exemple, ne me semble pas envisageable. Le maire prendrait également des risques. Imaginez la réaction de la population s'il arrivait malheur, du fait d'une personne radicalisée, sur un territoire et que l'on découvrait que le maire était informé de cette radicalisation... En outre, il existe un cadre légal permettant déjà l'échange d'informations confidentielles au sein des conseils locaux de sécurité - conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD). De plus, une instruction du ministère de l'intérieur de novembre 2018 a autorisé le préfet à tenir un maire informé des suites données aux informations que celui-ci aura fait remonter. Cette instruction me semble régler le problème de l'information des maires.

Je n'insiste pas sur l'accès des policiers municipaux ou de l'administration pénitentiaire aux fiches S. Tout élargissement me paraît risqué sur le plan opérationnel.

D'autres idées ont été avancées. Les fiches S peuvent-elles, notamment, servir de fondement à des décisions administratives ou judiciaires ? De toute évidence, non ! Nos règles de droit administratif et pénal l'interdisent ; de telles mesures seraient en outre inconstitutionnelles et contraires à nos engagements internationaux.

Mais, au-delà de l'argument de droit, se trouve un argument d'efficacité : le fichier perdrait toute utilité, car les personnes, se sachant fichées, feraient le choix de la clandestinité. Nous enlèverions ainsi une arme aux services qui nous protègent contre le terrorisme. À ce titre, 75 % des 51 attentats déjoués depuis 2015 l'ont été grâce à une utilisation efficace des fiches S.

L'instant est difficile, mes chers collègues, et tout le monde veut, à juste titre, des résultats. Mais ne nous trompons pas de cible ! Ce n'est pas en mettant à mal cet outil que nous réglerons le problème du terrorisme !

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