Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 décembre 2018 à 11h05
Projet de loi de finances pour 2019 — Examen du rapport en nouvelle lecture

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Il s'agit de mon onzième projet de loi de finances et je n'ai jamais connu cette situation !

Ces dernières heures, nous avons encore eu des annonces successives contradictoires, par exemple avec le chèque énergie qui a été supprimé, puis rétabli...

Le Gouvernement ne parvient plus à travailler sereinement et il est difficile d'avoir des interlocuteurs, par exemple sur le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Comme vous le savez, la commission mixte paritaire n'a pu aboutir favorablement, mercredi dernier. Toutefois, nous pouvons nous féliciter que l'Assemblée nationale ait conservé de nombreux apports du Sénat, loin d'être anodins ou de constituer de simples améliorations formelles ou techniques.

Ainsi en est-il, bien évidemment, du gel de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. Selon le rapport de Joël Giraud, il s'agissait d'adopter l'amendement « technique » du Sénat, c'est surtout un amendement politique. Nos collègues députés ont donc adopté un amendement rédactionnel pour modifier à la marge notre dispositif et faire en sorte qu'il ne soit pas exactement identique...

Nous avions soulevé un certain nombre de difficultés concernant la suppression de la dépense fiscale du gazole non routier. En les mettant en évidence, cela a permis la suppression pure et simple de l'article 19 par l'Assemblée nationale.

On peut également évoquer la réouverture du champ du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) aux fenêtres, prévue par un amendement de notre collègue Daniel Grémillet et plusieurs autres de nos collègues, sous-amendé par la commission des finances pour prévoir un plafond afin de limiter la dépense et d'éviter les effets d'aubaine.

Je le dis souvent : le seul tort du Sénat est d'avoir raison trop tôt.

L'Assemblée nationale a également conservé l'extension de l'application du prélèvement forfaitaire unique, le PFU, aux gains issus d'un plan d'épargne en actions en cas de retrait ou de rachat anticipé. Il s'agit de l'article 16 quater.

Elle a aussi voté conforme l'article 2 bis B qui modifie le régime d'abattement applicable aux indemnités de fonction des élus locaux. Gérald Darmanin aurait sans doute mieux fait de s'abstenir de parler sur ce sujet.

Deux aménagements introduits par notre commission des finances au dispositif Dutreil relatif à la transmission d'entreprises ont également été maintenus en nouvelle lecture, notamment la possibilité de conclure un engagement collectif à titre individuel lorsque les conditions du pacte sont réunies.

L'Assemblée nationale a aussi conservé les aménagements que la commission des finances avait proposés à l'article 56 bis relatif à la taxe de séjour.

Nos collègues députés ont par ailleurs confirmé la suppression de plusieurs articles proposée par le Sénat, en particulier l'article 2 bis qui prévoyait l'abrogation de l'exonération d'impôt pour les produits de la location d'une partie de la résidence principale ou d'une chambre d'hôte.

Confirmant le vote du Sénat, l'Assemblée nationale est aussi revenue sur la suppression de la taxe sur les friches commerciales qu'elle avait adoptée en première lecture, de même que sur la suppression de la provision pour investissement des SCOP.

L'Assemblée nationale nous a également suivis sur la suppression de la taxe annuelle sur les radioamateurs dont le coût de collecte est de 404 %...

Nos objectifs se sont également rejoints en ce qui concerne le soutien au mécénat avec l'introduction d'une franchise de 10 000 euros en deçà de laquelle le plafond de la réduction d'impôt sur les bénéfices de 5 pour 1 000 du chiffre d'affaires ne s'applique pas, même s'ils ont maintenu l'article en seconde partie plutôt qu'en première.

Nos collègues députés nous ont également entendus sur notre opposition au relèvement à 30 % - contre 20 % - du taux minimum d'imposition applicable aux salaires, pensions et rentes viagères des non-résidents, en adoptant une mesure prévoyant de conserver un taux de 20 % sur la fraction du revenu de source française inférieure à 27 086 euros et d'appliquer le taux de 30 % au-delà. Nous avons donc bien fait de souligner le caractère inéquitable de cette nouvelle imposition.

L'Assemblée nationale a donc tenu compte d'un certain nombre d'apports indéniables du Sénat. Comme l'a souligné Joël Giraud en commission mixte paritaire, la navette parlementaire est quelque chose d'utile. Un grand nombre d'articles a ainsi été retenu dans la forme votée par le Sénat ou tenant compte de ses améliorations.

Pour autant, des divergences importantes subsistent entre nos deux assemblées au regard de l'examen très bref que nous avons pu faire entre 6 et 11 heures ce matin, sur la base des seuls amendements adoptés par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire sans petite loi.

Tout d'abord, le point de vue macroéconomique nous sépare : nous considérons que la baisse des prélèvements obligatoires, à laquelle nos concitoyens montrent leur attachement - sous différentes formes, parfois spectaculaires... -, n'est possible qu'accompagnée de la baisse des dépenses publiques. Et le Gouvernement laisse filer le déficit...

Lorsqu'ils nous ont présenté ce projet de loi de finances, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin nous ont expliqué que les déficits excessifs n'avaient plus cours, que nous revenions sous la barre des 3 %, qu'il n'y aurait plus de projet de loi de finances rectificatif... Résultat : on explose tout !

Le redressement des comptes publics n'est pas assuré, tandis que la France se trouve désormais très isolée dans la zone euro en termes de niveau de déficit. Nous avons donné des leçons à tout le monde, et j'imagine que les Italiens doivent aujourd'hui s'amuser de la situation de notre pays. Nous sommes clairement le mauvais élève de l'Europe.

L'article liminaire modifié par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne tient compte que des mesures nouvelles que contient le projet de loi de finances, telles que la suppression de la hausse des tarifs de la TICPE, l'augmentation des crédits consacrés à la prime d'activité - nous sommes d'ailleurs passés d'un coût de 600 millions d'euros dans l'amendement que le Gouvernement nous a présenté à plus de 2,5 milliards d'euros aujourd'hui - ou encore la renonciation aux nouvelles dispositions prévues au titre de la « niche Copé ».

À l'heure où je vous parle, le conseil des ministres discute de plusieurs milliards d'euros de dépenses supplémentaires - exonération des heures supplémentaires, prime exceptionnelle de 1 000 euros, CSG des retraités, hausse du montant de la prime d'activité, diverses mesures fiscales... Il s'agit d'une situation absolument ubuesque. Ces dépenses ne figurent pas dans l'article liminaire adopté par l'Assemblée nationale. Tout ce que je vous expose est donc susceptible d'être contredit dans les heures qui viennent.

Cet article liminaire prévoit ainsi un déficit public de 3,2 % du PIB. On est loin des annonces fantastiques du Gouvernement au début de l'examen de ce projet de loi de finances. Aucune mesure concrète de recettes supplémentaires ou de moindres dépenses ne figure dans ce texte. Une taxe GAFA a été annoncée pour le 1er janvier 2019 : j'ai donc demandé au Gouvernement s'il envisageait de déposer un projet de loi de finances mais le Gouvernement est incapable de nous répondre. Soyons sérieux !

Cette prévision de déficit est donc encore incertaine, au même titre que les montants indiqués à l'article d'équilibre.

L'Assemblée nationale a rétabli en nouvelle lecture certaines mesures auxquelles le Sénat s'était fermement opposé telles que la suppression de l'exonération de taxe spéciale sur les conventions d'assurance sur les garanties décès des contrats d'assurance emprunteurs qui va renchérir le coût des emprunts ou la définition des locaux industriels pour la détermination de leur valeur locative.

L'Assemblée nationale a également rétabli le renforcement de la composante de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, relative aux déchets, sans tenir compte des déchets qui peuvent réellement être recyclés, alors que le Sénat avait adopté la création d'une franchise. Ce dispositif va entraîner de nouvelles charges pour les collectivités locales. Lors de la concertation, nous devrons donc expliquer à nos concitoyens qu'ils vont devoir supporter un surcoût de taxes d'enlèvement des ordures ménagères dans les années à venir.

L'Assemblée nationale a aussi supprimé la proposition du Sénat de relever le plafond du quotient familial, alors qu'il s'agit d'une mesure en faveur du pouvoir d'achat des familles et de justice fiscale.

Elle n'a pas retenu non plus plusieurs dispositions du Sénat qui avaient pourtant été adoptées à l'unanimité ou à la quasi-unanimité : maintien du prêt à taux zéro pour l'acquisition de logements neufs sur l'ensemble du territoire, exonération de fiscalité des sommes misées dans le cadre du loto du patrimoine, publication, en annexe de chaque projet de loi de finances, du code source informatique correspondant aux dispositions fiscales proposées.

Le dispositif de lutte contre l'arbitrage de dividendes, inséré par le Sénat à la suite de l'adoption de six amendements identiques et des travaux de notre groupe de suivi sur la fraude et l'évasion fiscales, a certes été en partie repris par l'Assemblée nationale, mais tout en étant vidé de l'essentiel de sa portée par la suppression de son volet relatif aux instruments financiers et de son volet « externe ». Il s'agit d'un triste signal encourageant la fraude que je compte bien dénoncer.

L'Assemblée nationale n'a pas non plus modifié les crédits des six missions rejetées par le Sénat de façon telle que se justifierait une évolution de notre position.

Comme vous constatez, les sujets de désaccord entre nos deux assemblées sont nombreux. Si le Sénat rétablissait son texte, une nouvelle navette ne permettrait sans doute pas de faire évoluer la position du Gouvernement ni de l'Assemblée nationale.

De plus, une nouvelle lecture viendrait se télescoper avec l'examen de ce projet de loi que nous examinerons vendredi portant mesures d'urgence économiques et sociales. Dès lors, je ne vois pas comment nous pourrions respecter le délai constitutionnel de soixante-dix jours. Matériellement, il est donc quasiment impossible de faire une nouvelle lecture complète dans ce calendrier infernal.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'adopter une question préalable que nous ne pourrons voter formellement qu'une fois le texte transmis... Imaginez un instant que nous découvririons une mesure nouvelle qui nous aurait échappé, notre position pourrait encore évoluer...

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