Intervention de Jean Coldefy

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 12 décembre 2018 à 14h35
Vers une tarification à l'usage des mobilités

Jean Coldefy, directeur du programme Mobilité 3.0 à l'association ATEC-ITS France :

Je reviens à ma présentation sur le financement. Les péages urbains se voient opposer l'argument d'être injustes et antisociaux. Mesdames et messieurs les parlementaires, la disposition sur les péages urbains retirée in extremis du projet de LOM, en raison du mouvement des gilets jaunes, ce que l'on peut comprendre, précisait bien qu'il s'agissait uniquement d'une possibilité. C'était un outil laissé aux grandes villes pour tarifer l'usage de la voiture. De plus, l'objectif n'était pas de pénaliser la voiture pour le principe, mais de créer des fonds pour financer les mobilités. En d'autres termes, cette taxe était affectée. À Göteborg et à Stockholm, qui viennent de mettre en place les péages urbains, les montants nécessaires pour construire des pistes cyclables et des infrastructures de transport en commun ont été détaillés. Puis il a été expliqué que le financement aurait pu provenir de l'impôt ou de l'usage de la voiture, et que cette seconde solution avait été privilégiée. La présentation de la finalité compte beaucoup dans l'acceptabilité de la mesure.

Dans le projet LOM a été conservée l'obligation, pour les villes touchées par des pics de pollution, de mettre en place des zones à faibles émissions. Concrètement, il s'agit de demander aux citoyens de ne plus emprunter leur voiture pour se rendre au travail, ou alors de changer de véhicule, le tout sans solution alternative. Il est à craindre que cette mesure suscite une nouvelle incompréhension, car elle est totalement antisociale et dressera encore plus les périphéries contre les centres villes. De plus, les subventions mises en place pour changer de voiture profiteront aux plus aisés. Le revenu médian français s'élevant à 1 800 euros, les citoyens concernés n'auront pas les moyens de remplacer leur ancien véhicule, même moyennant l'allocation d'une prime de 5 000 euros. Par conséquent seuls les cadres en profiteront pour changer de voiture avec l'aide de la collectivité, et ce pour la plus grande satisfaction des constructeurs automobiles. Une telle mesure est inefficace et antisociale. Pour passer aux vignettes Crit'Air 3, il faudrait empêcher la moitié des citoyens de travailler.

Les péages urbains sont indispensables pour éviter la congestion et la thrombose des villes. Bordeaux en est un exemple révélateur. Les péages urbains nécessitent des investissements très coûteux. Même une agglomération fonctionnant très bien, comme celle de Lyon, ne saura pas financer un mode de transports en commun lourd sans mettre en place les péages urbains. La baisse des fonds publics est en effet durable en France. Le déficit public de 3 % représente une dette qu'il conviendra un jour de rembourser, sous peine de subir les mêmes difficultés que la Grèce.

Le financement des transports en commun a aujourd'hui atteint sa limite, dans la mesure où il n'est plus possible d'augmenter le VT sans atteindre la compétitivité des entreprises. Le Pass Navigo à Paris a un coût de 75 euros mensuels, alors que le coût de l'abonnement correspondant s'élève à 140 euros à Madrid, 190 euros à Berlin et 400 euros à Londres. Il existe donc une anomalie flagrante.

Par ailleurs, l'usage de la voiture augmentera de façon rapide, grâce à la baisse du coût structurel de cet usage, étant en outre rappelé que tous les constructeurs automobiles travaillent sur les batteries rechargeables. De plus, l'attractivité des agglomérations continue à s'accroître en raison de la concentration des emplois, ce qui va occasionner une hausse des flux de déplacements et des distances.

Dans un tel contexte, l'objectif est d'orienter et réguler le trafic automobile pour assurer l'accessibilité des territoires. Il convient que les agglomérations assument leur statut de moteur économique par rapport à la périphérie. Jusqu'à présent, le choix politique que nous avions collectivement effectué était d'accepter la congestion. À présent que les rapports en ont démontré la nocivité en raison de la pollution occasionnée, nous sommes parvenus à la conclusion qu'il fallait modifier la situation.

Il faut donc tarifer la mobilité à l'usage et étendre à la voiture le principe de cette tarification. Au passage, observons que l'automobile est le seul mode de transport non tarifé à l'usage à l'heure actuelle. Il convient d'instaurer cette mesure de manière équitable, sans pénaliser les zones rurales et les gens pour lesquels la voiture n'est pas un problème. Pour les périphéries, la mesure ne devra entrer en vigueur qu'une fois les alternatives mises en place. De plus, il est possible d'exonérer les plus faibles revenus de la mesure.

La taxation à l'usage met en place des péages de financement accessibles, avec un support pour déployer l'ensemble des mobilités. De plus, la mesure ne se conçoit qu'en fléchant les recettes, dans une forme de contrat entre les agglomérations et les régions. Si nous avions des considérations non politiciennes et le souci des Français, c'est ce que nous ferions. Il faut sortir du schéma pervers actuel de la régulation par la congestion et du financement des mobilités par l'impôt. Ce système très déresponsabilisant nous conduit aujourd'hui dans une impasse financière, écologique et sociétal.

Pour les agglomérations qui l'ont mis en place, le péage urbain a entraîné entre 25 % et 30 % de trafic en moins. Ces agglomérations, à l'instar de Milan, ne sont jamais revenues en arrière. Les systèmes qu'elles ont mis en place sont très différents de celui de Londres, qui est onéreux et élitiste. Il y a donc plusieurs manières de concevoir des péages urbains.

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