Avant d'aborder le thème que vous me proposez, j'observerai que dans nos débats, les raisonnements sont conduits comme s'il s'agissait d'abandonner la voiture, dans une sorte de « tout ou rien ». Or l'analyse des mobilités montre qu'il existe une élasticité, une certaine souplesse à aménager les choses. Espérons-le, une évolution à plus long terme se produira lors du remplacement du véhicule.
J'interviendrai aujourd'hui pour faire part d'un travail mené à bien par le conseil scientifique du think tank de l'Union Routière de France sur la prise en compte des externalités. Cette question est complexe à la fois scientifiquement et politiquement. Je pense que nous sommes dans notre rôle d'éclairer le débat et de proposer des définitions et des chiffrages non polémiques, permettant de caler une discussion démocratique.
Dans le fret, le système de transport n'est pas tout à fait le même. L'auto-transport existe en fret, mais la majorité des trafics intervient pour le compte d'autrui. Dans ce système, le transporteur n'est pas le chargeur, propriétaire des marchandises. Par ailleurs, le fournisseur d'infrastructures peut être un capital public fourni gratuitement ou en concession confiée à des entreprises ayant perçu deux milliards d'euros de dividendes cette année.
L'analyse du fret et de la tarification qu'il subit n'est pas transposable.
Pour ce qui est des externalités, je n'apprendrai rien en disant qu'il y en a des positives et des négatives. Il faut les internaliser, c'est-à-dire faire en sorte qu'elles soient prises en compte dans les décisions des acteurs des transports. Pour un économiste, le terme « externalité » signifie « extérieur au marché ». Le marché n'est pas fait spontanément pour prendre en compte ce qui lui est extérieur.
Les économistes ont été très fertiles, et les termes d'explication sont nombreux. Il y a les externalités pécuniaires et non pécuniaires (externalités technologiques), les coûts privés et les coûts du temps pendant le voyage, les coûts collectifs, les coûts non marchands et non monétaires... Nous nous efforçons donc de réaliser un catalogue de toutes ces notions qui toutes, se regroupent entre le coût moyen et le coût marginal. Il existe par ailleurs des problèmes d'ordre philosophique, qu'il faut accepter d'affronter. Quelles valeurs de référence donnons-nous à ces externalités négatives ? Quelle est la valeur du bruit ? Quelle est la valeur de la vie humaine, qui n'a pas de prix mais une valeur tutélaire permettant à l'État de rationaliser ses dépenses ? Ainsi, nous valons chacun trois millions d'euros.
Les éléments d'internalisation sont divers, et il convient de les détailler. Parmi ceux-ci, figurent la subvention, la taxation et la règlementation.
Nous nous sommes efforcés de fournir des chiffres, en nous inspirant des dernières données du Commissariat général au développement durable du ministère des transports (CGEDD), y compris en incluant les coûts de congestion.
J'en viens à quelques résultats. Le total des coûts externes et des recettes de la route en 2015 démontre que la route est sous-tarifée. Elle couvre les coûts monétaires et non marchands, donc toutes les dépenses d'infrastructures consenties par l'État et les collectivités remboursées par les différentes fiscalités. Le « lobby routier » peut donc à bon droit dire que la route est la vache à lait puisque nous payons 32 milliards d'euros par an pour un coût collectif de 15 milliards d'euros, soit 17 milliards d'euros de recettes fiscales ainsi abondées. Cependant, l'analyse des coûts externes non monétaires démontre que la couverture, pour l'ensemble, tombe à environ 50 % pour le fret et 56 % pour les voitures particulières.
Si l'on compare les modes de transports, le rail comporte un coût social trois fois moindre que celui de la route. Mais ce coût ramené à l'unité des transports démontre que le rail transporte dix fois moins que la route. Il est donc trois fois plus cher par unité de transport.
Pour le fret, l'analyse distingue entre les poids lourds et les véhicules utilitaires légers (camionnettes), qui sont dix fois plus nombreux que les poids lourds. Le nombre des VUL dépasse les six millions, de sorte qu'il existe ici un vrai enjeu d'environnement.
Je pense donc qu'il faut réfléchir à la place particulière que le fret occupe dans notre système de mobilité. La situation est très sensible en ville, puisque le fret urbain représente 20 % de la circulation et 50 % des émissions polluantes. Le financement des externalités pose des difficultés indéniables, comme le démontrent l'écotaxe et la vignette poids lourds, récemment abandonnée alors qu'elle aurait dû être plus importante et mieux expliquée.
J'observe enfin qu'hormis une allusion, le mot « logistique » n'apparaît pas dans l'exposé des motifs de vingt-sept pages du projet de loi LOM. Il y a là par conséquent une lacune, même si tout ne passe pas par la loi. Il s'agit à tout le moins d'une inquiétude si l'on veut améliorer cette loi pour être une loi d'orientation. Il est en effet impossible d'ignorer la composante fret et logistique dans une loi qui entend couvrir le long terme de la mobilité. J'avais prévu de parler de l'exemple suisse, qui constitue un cas passionnant de prise en compte de la répartition de la collecte et d'acceptabilité de la fiscalité. Je m'arrête ici, pour dire que le report modal est nécessaire, mais qu'il ne s'agit pas de l'alpha et de l'oméga des solutions. Le Président de la République a annoncé un large débat public. Nous devrons y participer.