Intervention de Sébastien Jean

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 13 décembre 2018 à 8h30
Audition de M. Sébastien Jean directeur du centre d'études prospectives et d'informations internationales cepii

Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) :

Je suis entièrement d'accord avec vos réflexions sur le manque d'harmonisation en Europe. La règle de l'unanimité empêche les avancées sur ce point, et on pourrait en dire tout autant du secteur des services par exemple, ce qui fait qu'on n'a pas d'Amazon européen. C'est un handicap majeur.

Que le commerce soit devenu un élément central du débat politique aux États-Unis, c'est indéniable et cela tient au fait que les Américains cherchent à avoir toujours plus de protection, sans augmenter pour autant la place de l'État dans l'économie.

Or, les États-Unis ont échoué à s'ajuster au système dont ils ont été les architectes, puisqu'ils ont en même temps organisé le choc concurrentiel, en mettant fin au système de Bretton Woods, et démantelé leur système de protection sociale. Le résultat, largement commenté depuis, est la baisse structurelle des salaires depuis presque 35 ans.

Ceci s'ajoute au déficit structurel de la balance commerciale, puisque les États-Unis vivent avec un déficit dont ils n'assument pas les conséquences : le monde entier continue de se procurer du dollar par d'autres moyens. Si ce déficit n'a donc pas de conséquence monétaire, en revanche il pèse sur l'outil de production et entraîne une désindustrialisation dont les conséquences sociales et territoriales sont fortes.

Que les relations commerciales ne soient pas un jeu d'enfants, c'est certain et encore on ne voit que la partie immergée de l'iceberg ! Mais l'OMC a le mérite d'exister et quelle autre règle serait viable sinon ? Il faut être réaliste. En l'absence d'un système de règlement des différends entre États, au niveau international, c'est la canonnière !

Il faut bien être conscient qu'une sortie de ce système pourrait être dommageable pour tous : nous en avons la préfiguration avec la politique de Donald Trump.

Le rapport de force a prévalu lors de l'établissement de l'OMC. Dès le départ, les États-Unis ont imposé ce qui les arrangeait. La véritable question est : à quelle fin les États-Unis utilisent-ils cette puissance ? Ce qui pose problème, c'est que l'administration de Donald Trump reste floue et incohérente. Car empiler des droits de douane n'a jamais permis de réduire un déficit commercial, qui reste un curseur macroéconomique du différentiel entre la consommation et la production intérieure. Aujourd'hui, le déficit commercial américain atteint des sommets, non pas à cause de la politique commerciale, mais à cause des mesures fiscales.

La logique sous-jacente de ces mesures américaines tient dans la concurrence stratégique avec la Chine.

L'appareil politique et industriel américain est arc-bouté contre la Chine, désignée comme le concurrent majeur : on retrouve cette rhétorique de la peur dans les discours des conseillers politiques du président Trump.

Les États-Unis vont-ils arriver à faire réformer la Chine ? C'est l'étalon de la réussite du mandat de Donald Trump.

L'Europe, le Japon et les États-Unis, s'ils s'allient pragmatiquement, ont les moyens d'obtenir des réformes. L'alliance me parait être une méthode beaucoup plus puissante que la menace.

Dans cette bataille, les outils existent : l'examen minutieux des investissements étrangers directs en Europe, et à cet égard, la mise en place d'un comité européen est en cours ; plus de réciprocité dans l'accès aux marchés publics ; les accords de libre-échange, même si leur mise en oeuvre est compliquée ; les instruments de défense commerciale, notamment contre le dumping et les subventions, qui doivent être utilisés de manière plus réactive et plus ciblée.

Il n'existe donc pas de solution miracle, mais nous avons à notre portée des instruments, qu'il faut utiliser.

Vous évoquiez l'influence du yuan, pour l'instant, ce n'est pas flagrant. À mon avis, tant que l'économie chinoise restera surinvestie par la régulation étatique, le yuan ne sera pas un concurrent possible au dollar, qui reste la monnaie reine dans les échanges. Commercer dans une autre monnaie que le dollar, coûte plus cher. Il n'y a donc pas d'autre alternative pour l'instant.

Il n'en reste pas moins que nous sommes à l'orée d'une période nouvelle, dont personne ne pourra prédire ce qu'elle sera, mais dont je pense qu'elle sera pire encore après Trump.

La position de l'appareil de défense et de renseignement américain est encore plus agressive que celle du président Trump, dont les tweets restent acceptables au regard du discours du 4 octobre du vice-président Mike Pence, qui a montré toute la combativité de l'appareil américain.

Raison de plus pour nous, Européens, de trouver une voie négociée.

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