Intervention de Pascale Gruny

Délégation aux entreprises — Réunion du 5 décembre 2018 à 12h30
Compte rendu par mme pascale gruny des déplacements de la délégation à bruxelles le 26 octobre 2018 et berlin le 19 novembre 2018 dans le cadre de l'élaboration du rapport sur l'accompagnement de la transition numérique des pme

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Madame la Présidente, mes chers collègues, la mission que vous m'avez confiée sur la transformation numérique des PME m'a déjà conduite à effectuer deux déplacements : le premier à Bruxelles le 26 octobre dernier et le second à Berlin le 19 novembre. Ainsi que l'évoquent ces destinations, les comparaisons européennes sont incontournables dans notre réflexion puisque la France, comme beaucoup de nos voisins, est aujourd'hui mobilisée pour progresser dans la transition numérique, notamment au regard du classement européen « DESI », l'indice relatif à l'économie et à la société numériques. En effet, notre pays est classé au 18ème rang, soit plutôt vers la queue de peloton des 28 États membres.

La dimension européenne est également essentielle pour mieux appréhender le cadre dans lequel s'inscrivent nos politiques publiques en faveur du numérique.

J'évoquerai donc en premier lieu mon déplacement à Bruxelles où j'étais accompagnée de notre collègue Xavier Iacovelli. La journée a été organisée autour de quatre séquences m'ayant permis de rencontrer des interlocuteurs de la direction générale (DG) dite « Grow » de la Commission européenne chargée des politiques de l'Union dans le domaine du marché unique, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des petites entreprises ; de la DG dite « Connect », la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies ; du cabinet du commissaire européen Mariya Gabriel qui, depuis juillet 2017, est commissaire européen pour l'économie et la société numériques ; et enfin de la confédération des employeurs suédois.

Avant de vous présenter les outils européens évoqués lors de ces entretiens, je dois vous dire mon étonnement et ma déception en découvrant que de nombreuses politiques, associant des acteurs français, sont financées par l'Union européenne alors que cela n'est jamais évoqué par nos interlocuteurs français. Ainsi la direction générale des entreprises (DGE) s'est-elle bien gardée de nous présenter ces actions et ces aides, pourtant mises en oeuvre ou relayées par notre ministère des finances. Une fois de plus, le réflexe franco-français pousse à faire l'impasse sur les bénéfices des politiques menées par l'Union européenne, ce que je regrette sincèrement.

Permettez-moi donc de vous parler des actions de la Commission européenne. Sans entrer dans une présentation exhaustive des programmes et actions, qui seront détaillés dans mon rapport, je voudrais mentionner les éléments suivants.

Le programme COSME est le programme pluriannuel européen pour la compétitivité des PME, doté d'un budget de 2,3 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Il vise notamment à faciliter le financement des PME via le fonds européen d'investissement qui met en oeuvre des outils de « garantie de prêts » et de « capital-investissement ». L'objectif de COSME est également le développement de l'accès aux marchés, européens et internationaux, via des services d'appui et de conseil aux entreprises.

L'une des actions résultant de ce programme COSME est la coopération internationale entre clusters (ou « grappes économiques ») pour soutenir l'innovation et la digitalisation des PME. L'idée est d'aider les PME grâce à une coopération entre clusters européens. 25 clusters français bénéficient ainsi de ces partenariats visant à améliorer l'écosystème de soutien à l'innovation des PME. Le financement de cette coopération est réalisé à travers l'action « Innosup-1 » (dont le budget en 2017 était de 26 millions d'euros). Un exemple de coopération internationale entre clusters est le projet « MOBIGO in Action » qui permet aux start-ups et PME membres de quatre clusters européens de se rendre aux USA et au Canada, puis en Chine et à Singapour, en bénéficiant d'un accompagnement sur mesure. La mission internationale offre aux PME retenues un co-financement pour approcher plus efficacement les marchés ciblés. Concrètement, la mission comprend la participation à un ou plusieurs événements internationaux sur la smart mobility et des rencontres avec les acteurs clés de l'écosystème.

J'ajoute que 12 régions pilotes ont été identifiées pour expérimenter les politiques de transition industrielle, dont trois françaises (Centre-Val de Loire, Grand-Est et Hauts-de-France). Prenons l'exemple de la région Grand-Est, qui a été jugée par la Commission comme répondant aux critères de région en transition industrielle, du fait de ses caractéristiques post-industrielles, notamment sa politique « Industrie du futur », et de la transition engagée vers une économie bas carbone. Six filières ont été identifiées :

- les matériaux, procédés, technologies de production en lien avec l'industrie du futur ;

- les agro-ressources et plus largement la bioéconomie ;

- la santé (incluant les biotechnologies, les technologies médicales, la e-santé, les matériaux pour la santé et la silver économie) ;

- le bâtiment durable ;

- la mobilité durable, l'intermodalité, la logistique et les transports.

Un bilan sera dressé prochainement par la Commission européenne pour évaluer les premiers effets de cette coopération et améliorer l'accompagnement de la transition numérique industrielle.

La DG GROW supervise également des actions favorisant le numérique et associant d'autres acteurs que les PME. Ainsi la Commission européenne a lancé un « défi des cités numériques ». L'objectif est de mobiliser tous les acteurs pour définir ce que devrait être une « ville intelligente » ou smart city. L'approche englobe donc les transports, les services, le logement, etc. L'école 42 est investie dans ce défi et la ville de Nice est citée en exemple auprès des autres villes souhaitant participer à ce défi.

De son côté, la DG CONNECT soutient les initiatives transversales qui aident les entreprises dans leur transition numérique afin de définir de nouveaux modèles économiques et de nouveaux produits. Elle s'intéresse ainsi aux politiques de numérisation du tissu industriel, aux politiques d'innovation, à la formation, ainsi qu'au cadre réglementaire pouvant favoriser la digitalisation.

Via le programme « I4MS » (acronyme signifiant « Innovation For Manufacturing SME's »), elle veut développer des noeuds d'innovation numérique ou digital hubs qui pourraient être financés par le programme « Europe numérique » pour lequel 9,2 milliards d'euros sont prévus dans le prochain cadre financier (2021-2027). L'objectif serait d'avoir un noeud ou hub par région1(*), capable d'offrir de véritables services aux entreprises souhaitant effectuer leur transition numérique. Les dirigeants pourraient se tourner vers ces hubs pour recevoir une aide, soit directe soit par l'intermédiaire d'autres hubs en Europe, chacun pouvant avoir des compétences et une expérience spécifiques. D'ailleurs, le conseiller du commissaire européen Mariya Gabriel a mentionné l'enjeu de compétition entre hubs, chacun souhaitant devenir le référent dans un domaine bien identifié, comme par exemple en matière de cyber-sécurité. La concurrence stimule donc l'émergence de noeuds d'innovation très performants.

Enfin nous avons appris que la Banque européenne d'investissement et sa filiale dédiée au financement des PME, le Fonds européen d'investissement, travaillent à l'instauration d'une garantie de l'investissement immatériel, ce qui est aujourd'hui un handicap important dans tous les dispositifs de financement. Cette garantie constituera un facteur clé de succès pour la transition numérique des PME classiques. La Commission espère que les premières offres pourront être opérationnelles à la fin de l'année 2019. Ce calendrier permettrait de créer un « précédent » budgétaire pour ensuite s'inscrire durablement dans le cadre financier 2021-2027.

Vous le voyez, la dynamique européenne, dont nous n'avons que peu ou pas d'échos au niveau national, est extrêmement forte et va permettre à nos territoires de se mobiliser afin de se positionner au niveau de l'Union européenne en tant que références pour les PME.

Cependant je dois dire que les politiques d'accompagnement des PME ne peuvent suffire à pallier les carences -on pourrait dire- éducatives d'une population donnée. C'est ce qui est apparu très clairement par contraste avec la situation suédoise qui nous a été présentée par la confédération des employeurs suédois. La Suède a, depuis les années 1990, oeuvré pour qu'il n'existe aucune fracture numérique sur le territoire. Ainsi chacun a accès à l'internet, chaque famille a au moins un ordinateur grâce aux subventions de l'État, et la formation, qu'elle soit initiale ou continue, a mis l'accent sur les compétences informatiques et la compréhension des évolutions numériques. Même les très petites entreprises, les commerces, disposent tous d'un outil technologique minimal.

Cette capacité d'adaptation est profondément ancrée dans la culture suédoise. C'est d'ailleurs la logique de la formation continue qui permet à tous les salariés de se former en permanence à deux métiers différents, et de passer en permanence d'un secteur à un autre en fonction des opportunités professionnelles et de l'évolution du tissu économique.

Le représentant des patrons suédois a ainsi résumé la situation : dans un monde technologique qui évolue en permanence, les PME n'ont pas le choix, soit elles évoluent également et grossissent rapidement, soit elles meurent. On comprend bien comment la Suède est au deuxième rang du classement européen DESI. Loin de se reposer sur son avance, le gouvernement suédois a lancé en 2017 une stratégie numérique, dont le premier pilier est celui des compétences.

Après avoir entendu ce témoignage, on réalise que le travail d'accompagnement devra être mené en profondeur en France pour aider les petits entrepreneurs à évoluer et effectuer leur transition numérique. Et pour les nouvelles générations, l'Éducation nationale va devoir renforcer considérablement les efforts en matière de connaissance des nouvelles technologies et de calibrage des compétences recherchées.

Mais je vous propose de ne pas m'attarder davantage sur ce premier déplacement pour pouvoir aborder le cas de l'Allemagne.

Se rendre à Berlin sur le thème de la numérisation des PME était dans l'ordre des choses. Ce déplacement a permis de constater que, dans le domaine, l'Allemagne n'est pas meilleure que la France.

Notre courte mission du lundi n'était-elle pas précédée, le samedi, de l'intervention du Président de la République devant le Bundestag, qui a indiqué que c'était dans l'union franco-allemande que naissait « aujourd'hui le nouveau modèle numérique, mêlant innovation de rupture, protection des données et régulation des acteurs » ?

Je présenterai donc l'élaboration de la stratégie publique allemande puis l'impact de la numérisation sur les politiques de l'emploi, la question des infrastructures, et enfin la relation franco-allemande dans le numérique, points qui ont été traités par nos différents interlocuteurs contactés par notre représentation à Berlin, qui a bien préparé cette mission.

Comment l'Allemagne encourage-t-elle la numérisation de l'économie ?

L'Allemagne est un État fédéral, a un gouvernement de coalition, est un pays de consensus. La stratégie de numérisation de l'économie allemande s'élabore dans ce cadre.

Le contrat de coalition de mars 2018 consacre dix pages à ce thème et le mot numérisation y est mentionné 288 fois. Une secrétaire d'État, Mme Dorothee Bär (CDU), a été nommée auprès de la Chancelière afin de coordonner une politique fédérale éclatée entre quatre ministères différents : économie - énergie, justice et protection des consommateurs, transports et infrastructures numériques, intérieur et cybersécurité, chacun ayant publié un document stratégique. Un séminaire gouvernemental venait de se tenir quelques jours avant notre mission pour avancer sur cette coordination. Il s'est conclu par la décision d'investir plus de trois milliards d'euros d'ici 2025 pour renforcer le secteur de l'intelligence artificielle et désigner une centaine d'universitaires chargés d'en enseigner la matière. Un sommet du numérique se tient en ce moment même à Nüremberg avec la participation du ministre français Mounir Mahjoubi. Il permettra sans doute de résoudre des problèmes d'articulation entre la stratégie allemande de « l'industrie 4.0 » et « l'alliance pour l'industrie du futur » française.

En Allemagne, toute stratégie fédérale nécessite au préalable une longue concertation entre les ministères responsables, chacun veillant jalousement à préserver son autonomie, puis avec les Länder, qui développent des stratégies régionales. Une agence du numérique, dont la création a été annoncée, attend ainsi toujours sa formalisation. L'État fédéral associe aussi les partenaires sociaux, afin de dégager un consensus permettant, aussi, sa mise en oeuvre par tous les acteurs économiques, politiques et sociaux.

L'Allemagne prépare donc la numérisation de son économie en mettant l'accent sur le « B to B » plutôt que sur le « B to C », c'est à dire le commerce entre les entreprises plutôt que le commerce des marchandises ou des prestations conçues pour le grand public. Ses 2 000 entreprises qui forment le coeur de sa puissance économique, le Mittelstand, et dont certaines sont des leaders mondiaux, n'ont pas toujours le sentiment d'avoir à changer leurs habitudes. Sauf à devoir déménager pour fuir des zones blanches, j'y reviendrai. Au total, seules 19 % des PME allemandes et 17 % des grandes entreprises se décrivent (en juin 2017) comme très numérisées.

La force principale de l'Allemagne est la bonne santé de ses entreprises, de ses industries et de son État qui lui permettent de dégager les moyens financiers pour déployer cette transformation profonde, véritable quatrième révolution industrielle. Par ailleurs, elle a su créer des hubs digitaux qui spécialisent un territoire dans un domaine particulier de l'économie numérique. Ainsi, Berlin, qui était désindustrialisée suite à la guerre et au mur, a su attirer, grâce à un foncier abordable, 10 000 PME qui travaillent dans le digital et ont créé 88 000 emplois, en hausse de 9 % chaque année depuis dix ans, contribuant désormais à 8 % du PIB régional. Cet écosystème est attractif et 50 % des « start upeurs » sont étrangers, l'un des plus forts taux au monde. Un autre pôle sur l'intelligence artificielle est situé entre Stuttgart et Tübingen. La délégation a été fortement incitée par nos interlocuteurs allemands à visiter cette cyber valley développée sur le modèle de la Silicon Valley californienne. C'est à Münich également que les Mines-Télécoms et l'Université technique travaillent conjointement sur la numérisation des processus industriels et construisent une académie franco-allemande pour l'industrie du futur.

L'Allemagne est toutefois nettement en retard notamment par rapport à la France pour ce qui est de la e-administration.

Quel est l'impact de la numérisation sur le marché allemand du travail ? Si l'Allemagne connaît actuellement le plein-emploi, son marché du travail sera à terme moins dynamique et connaîtra de sérieuses difficultés en raison du déclin démographique à l'horizon 2050.

La numérisation emporte, selon des projections, la destruction de 4 millions d'emplois quand 3,2 millions seront créés d'ici 2035. Cette perte de 800 000 emplois représente une faible contribution à une situation qui sera profondément dégradée sur le plan démographique. Ce vieillissement démographique avec une tension sur certains segments, par exemple un déficit de 40 000 informaticiens, explique aussi sa politique favorable à l'accueil des réfugiés, 300 000 d'entre eux ayant trouvé du travail.

La politique allemande du marché de l'emploi n'est donc plus une politique de lutte contre le chômage mais une politique d'employabilité de la population. Elle se préoccupe de la formation initiale au numérique, sachant que l'éducation relève exclusivement des Länder, avec des disparités importantes et une sensibilisation insuffisante, selon les employeurs allemands, au numérique. En contrepoint, toutefois, les entreprises interviennent directement dans la formation en alternance et dans la formation continue, afin de préparer une main d'oeuvre mieux formée aux nouveaux outils numériques. L'entreprise, lieu de production, aspire à devenir aussi un lieu de formation. Or elle manque de salariés qualifiés. Elle ne dispose pas non plus d'une politique publique de la formation professionnelle aussi développée qu'en France et les salariés allemands n'ont ni droit à la formation ni au compte personnel de formation : l'expérience française est étudiée avec attention. Les entreprises allemandes veulent avoir leur mot à dire et financer avec discernement la formation au numérique en la réservant aux besoins reconnus par l'entreprise et en la ciblant sur des salariés employables voire déjà employés, l'État fédéral finançant celle des chômeurs...

Pour les employeurs allemands réunis au sein du BDA (la Fédération des employeurs allemands), la numérisation du travail ne se traduit plus par des aspirations à travailler moins mais à moduler plus le temps de travail. Le BDA plaide donc pour une flexibilité maximale du travail, pour aller au-delà de la journée de 8 heures et en deçà de la durée de repos de 11 heures, parce que le travail numérique est un travail flexible, ce qui pourrait conduire à renégocier la directive européenne sur le temps de travail de 2003. Cependant, le ministère allemand du travail et des affaires sociales rappelle que tous les emplois ne sont pas flexibles et qu'il n'existe pas de consensus sur la notion de « bon horaire de travail » entre les salariés qui souhaitent maintenir la coupure entre le travail et la vie privée, ceux qui acceptent de travailler à domicile et ceux qui veulent travailler quand ils veulent et où ils veulent. Le numérique doit permettre aux salariés de travailler avec des interlocuteurs du monde entier, ce qui implique des décalages horaires, amenant ainsi les salariés à travailler la nuit, d'où la nécessité d'aménager leur temps de travail.

Pour le moment, la seule mesure concrète est le financement, par l'État fédéral et à hauteur de 80 %, des dépenses des PME liées à la réorganisation du temps de travail pour recourir, dans un plafond de 15 jours, aux services de 2 000 consultants répertoriés.

Comme la France enfin, l'Allemagne s'interroge sur les paramètres sociaux des nouveaux emplois liés à la numérisation, notamment la relation salariale des employés de plateformes numériques, le financement des retraites, et la croissance des inégalités territoriales liées à la numérisation, plusieurs marchés du travail existant en réalité selon les Länder.

S'agissant des infrastructures, l'Allemagne est un paradoxe : son territoire est deux fois plus petit que la France et plus densément peuplé, mais on ne peut avoir une conversation téléphonique de qualité lorsqu'on se déplace de Hambourg à Berlin, où il faut plus de trois semaines pour obtenir une liaison internet. Seuls 6,6 % des foyers allemands ont accès à la fibre contre 15,5 % en France pour 21 % de moyenne européenne. L'Allemagne se classe 28ème sur 32 pays de l'OCDE pour les connexions en fibre optique. Le très haut débit connecte 81 % des allemands mais seulement 36 % en zone rurale, où sont cependant implantées également de nombreuses entreprises du Mittelstand. Certains chefs d'entreprises dont les usines se situent en zone blanche transfèrent ainsi sur internet des données de l'entreprise depuis leur domicile en ville, malgré les risques liés à la cybersécurité.

L'Allemagne a conscience de ce handicap et de ce retard. Pour le combler, les enchères seraient ouvertes en 2020-2021 pour le déploiement de la 5G non seulement aux opérateurs téléphoniques -qui pourraient passer de trois à quatre- mais également aux entreprises, en écartant toutefois les chinoises, notamment Huawei, en raison du risque d'espionnage. Ces licences seraient cédées à un prix élevé afin de financer la mise à niveau des infrastructures et notamment la couverture haut-débit de toutes les écoles.

La question de la propriété des données, pour les entreprises, du respect de la vie privée, pour les particuliers, peuvent cependant constituer des freins. Les entreprises familiales du Mittelstand forment des îlots de technologie avec un centre, au sein desquels elles partagent leurs données. Elles sont toutefois souvent réticentes à les partager au-delà et notamment avec les grandes plateformes. Par ailleurs, les consommateurs allemands se méfient de l'État et de toute intrusion dans la vie privée. Or les produits connectés créent des échanges de données entre le produit acheté et le fabriquant, lien qui persiste après l'achat et la cession du produit. Par exemple, des vêtements connectés pourront fournir des données de santé. L'Allemagne n'a pas encore élaboré un texte, pourtant annoncé, sur l'ouverture des données, lequel constitue un point de dissensions au sein de la coalition gouvernementale.

Enfin, l'Ambassadeur de France, Mme Anne-Marie Descôtes, a tenu, malgré son emploi du temps chargé, à nous rencontrer afin notamment de souligner la priorité accordée par notre diplomatie à la construction d'une réflexion et d'une action communes franco-allemande sur l'intelligence artificielle. La France est ainsi le seul partenaire mentionné par la « stratégie pour les hautes technologies 2020-2025 » du ministère allemand pour l'éducation et la recherche, document publié le 5 septembre 2018. Une agence allemande pour l'innovation de rupture, thème cher à notre Président de la République depuis son discours de la Sorbonne de septembre 2017, va être créée en janvier 2019 et dotée d'un budget d'un milliard d'euros. L'Allemagne concentre sa force de frappe tandis que la France risque de la diluer. En effet, comme l'a souligné lors de ce déplacement notre collègue Anne-Catherine Loisier, le projet d'intégration de l'Agence du numérique au sein d'une Agence nationale de cohésion des territoires risque de faire perdre la nécessaire réactivité d'un instrument adapté au numérique et moins aux problématiques d'aménagement du territoire.

En conclusion, il apparaît que le sujet de la numérisation des PME est une préoccupation commune en Europe mais comme un sous-objectif, ce qui ne veut pas dire secondaire, de la numérisation de l'économie.

Ces éléments de comparaison ont enrichi notre réflexion sans toutefois nous fournir des pistes concrètes immédiates sur les moyens d'accélérer la transition numérique de nos PME. Ils ont apporté une vision nuancée de l'Allemagne, mettant à jour ses forces sans cacher ses points faibles. L'Allemagne prend son temps pour réfléchir à la meilleure stratégie possible. Une fois qu'elle sera arrêtée, elle sera déployée avec force et méthode. C'est donc bien maintenant qu'il faut que la France s'arrime à elle pour approfondir les complémentarités du couple franco-allemand qui peut, dans le domaine de l'intelligence artificielle, être demain le moteur de la croissance européenne. En guise de conclusion, j'ajouterai que notre retard numérique au niveau de l'Union Européenne nous coûterait à peu près un point de croissance, d'où le caractère urgent de notre réflexion.

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