Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 21 décembre 2018 à 16h00
Mesures d'urgence économiques et sociales — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Muriel Pénicaud :

Mme la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et moi-même tenons, au nom de l’ensemble du Gouvernement, à vous remercier, monsieur le président du Sénat, car, ces jours derniers et dans les délais extrêmement contraints par l’urgence de la situation, vous avez pleinement œuvré pour créer les conditions propices à un débat de qualité sur le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. La discussion qui s’engage à présent sous votre présidence intervient quelques heures après le vote de l’Assemblée nationale. Elle approfondira les échanges intenses et précis que nous avons eus mercredi dernier lors de notre audition en commission.

Surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion s’inscrit dans le prolongement du travail étroit que nous avons eu en amont avec les deux chambres grâce notamment à un échange constant entre les rapporteurs Olivier Véran et Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous tenons à saluer cette démarche parlementaire à double titre.

D’une part, elle témoigne d’un esprit de responsabilité et d’une volonté de participer au rétablissement rapide d’un climat d’apaisement. C’est particulièrement précieux, car, par la désinformation, le rejet de la nuance, la prime au buzz ou au clash, il n’a jamais été aussi facile d’infuser un climat de défiance, de dénigrement de l’autre, d’ironie permanente, parfois de violences, y compris physiques. D’ailleurs, certains élus ont subi des actes d’intimidation, des agressions, que nous devons tous ici unanimement condamner.

Or, ce qui fonde notre engagement commun en tant que responsables politiques, c’est la volonté de créer du lien. Et nous avons besoin d’un climat de confiance pour créer ce lien entre nos concitoyens, entre eux et leurs élus, entre les territoires, entre les générations et entre les échelles de temps. Ce lien, vous le savez mieux que quiconque, ne peut exister sans la démocratie, et réciproquement ; c’est un équilibre fragile à maintenir.

D’autre part, nous tenons à saluer la démarche parlementaire dans laquelle vous vous inscrivez, car elle participe de notre capacité collective à apporter des réponses à la fois rapides, fortes et concrètes pour nos concitoyens afin que chacun puisse vivre décemment de son travail et choisir sa vie professionnelle. C’est précisément cette capacité collective à concrétiser une société de l’émancipation par le travail et la formation, rompant avec les droits formels et avec le déterminisme de naissance ou géographique, qui est fortement questionnée aujourd’hui.

Pour réaliser ce projet de société, le Gouvernement a engagé depuis dix-huit mois une profonde transformation de notre modèle économique et social, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français. Sans ces transformations, nous ne pourrons pas tirer le meilleur parti des mutations économiques, sociales, technologiques et écologiques qui sont à l’œuvre sur la planète. À l’inverse, si nous ne nous transformons pas à temps, nous les subirons de plein fouet, en particulier les plus vulnérables d’entre nous.

Tel est le sens du dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire, de la complémentaire santé pour des soins de bonne qualité au prix de 1 euro par jour ou de la prise en charge progressive de 100 % des frais de soins dentaires, d’optique ou de prothèses auditives. Tel est aussi le sens de l’action menée en matière d’apprentissage, de formation professionnelle, ainsi que de développement et d’attractivité du territoire.

Voici notre cap : stimuler la croissance et la rendre riche en emplois et inclusive.

L’ensemble de ces transformations demande du temps pour faire sentir pleinement leurs effets. Or il est vrai que ce temps est plus long que celui dont disposent certains de nos concitoyens. Certains de nos concitoyens n’ont pas ce temps, car leur horizon, alors même qu’ils travaillent ou ont travaillé toute leur vie, n’est pas la fin du mois, mais le 20, voire le 15 du mois. Comment, dans ces conditions, ne pas s’inquiéter pour ses enfants, ses petits-enfants ? Comment se projeter dans l’avenir ?

Pour citer André Gide, certains de nos concitoyens éprouvent le sentiment que « le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire ». En clair, beaucoup de nos concitoyens désespèrent de ne plus pouvoir espérer !

Ce désespoir de vies empêchées, cette souffrance, cette colère se sont exprimés très fortement depuis plus d’un mois, matérialisés par le mouvement des « gilets jaunes ». Cette colère, cette souffrance nous interrogent collectivement sur notre capacité à apporter des réponses de long terme, qui transformeront la situation, mais en même temps des réponses qui soient rapides, fortes et concrètes.

Apporter des réponses rapides, c’est la condition de l’apaisement. C’est l’objet de l’état d’urgence économique et social qui a été décrété par le Président de la République le 10 décembre dernier. Le présent projet de loi en est la traduction. Comme vous le savez, il contient quatre mesures fortes.

La première est la possibilité pour une entreprise de verser, pour les salariés rémunérés jusqu’à trois SMIC bruts par mois, une prime exceptionnelle qui sera exonérée, jusqu’à 1 000 euros nets, de toutes charges sociales et d’impôt sur le revenu. La prime devra être versée avant le 31 mars 2019. L’incitation est plus puissante que ce qui a pu exister auparavant, puisque l’exonération portera sur l’impôt sur le revenu et sur l’ensemble des charges sociales, y compris la CSG et la CRDS. Bien évidemment, elle ne sera pas prise en compte pour le calcul de la prime d’activité.

La deuxième mesure concerne les heures supplémentaires : elle permet à tous les salariés et les fonctionnaires qui réalisent des heures supplémentaires, soit environ 9 millions de personnes chaque année, de ne payer désormais ni cotisations salariales ni impôt sur le revenu, à concurrence d’une rémunération annuelle nette au titre des heures supplémentaires de 5 000 euros. Si vous la votez, cette mesure entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2019. Initialement prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, elle est avancée dans le temps et élargie quant à son périmètre, en particulier au titre de l’exonération d’impôt sur le revenu.

Le gain de pouvoir d’achat dépend de la rémunération et du niveau d’imposition des salariés. À titre d’exemple, la mesure permettra un gain de pouvoir d’achat annuel d’environ 500 euros pour un salarié qui réalise deux heures supplémentaires par semaine, ce qui constitue la moyenne en France, et qui est rémunéré 1 500 euros nets par mois.

La troisième mesure vise les retraités : la hausse de la CSG intervenue en janvier 2018 a été perçue comme injuste et difficile à supporter par nombre d’entre eux, même si, il faut le rappeler, 40 %, les plus modestes, en avaient été exonérés d’emblée. Le projet de loi rétablit, à compter du 1er janvier 2019, le taux de CSG de 6, 6 % pour la moitié des retraités qui avaient supporté la hausse de 1, 7 point. Ce sont 3, 8 millions de foyers, 5 millions de retraités, qui vont bénéficier de ces dispositions.

Concrètement, pour un retraité percevant une retraite, avant cotisations sociales, de 1 600 euros et sans autre revenu par ailleurs, ce sera un gain de pouvoir d’achat de 325 euros sur l’année. Avec cette mesure, seuls 30 % des foyers fiscaux avec un retraité auront un taux de CSG de 8, 3 % et 70 % ne seront plus touchés par la hausse.

Enfin, je tiens à expliciter une nouvelle fois notre choix en faveur de la prime d’activité. Comme vous le savez, les paramètres de la prime d’activité relèvent du pouvoir réglementaire, l’article 4 du projet de loi prévoyant la remise d’un rapport sur cette question.

Choisir la prime d’activité allie deux impératifs : le travail, qui doit mieux payer, et la justice sociale.

Grâce au choix que nous faisons d’un renforcement de la prime d’activité, 100 % des personnes qui n’ont que le SMIC pour vivre auront bien 100 euros nets par mois de revenus supplémentaires dès 2019, 100 % des personnes seules – femmes ou hommes – avec enfants qui n’ont pour vivre qu’un salaire n’excédant pas 2 000 euros par mois auront bien 100 euros de plus et 100 % des couples sans enfant qui n’ont pas d’autre revenu que des salaires dont la somme n’excède pas 2 400 euros auront 200 euros en plus. Cette mesure concernera aussi les couples ayant jusqu’à 3 000 euros de salaire et deux enfants.

Grâce à la prime d’activité, nous allons donc beaucoup plus loin que le SMIC. C’est un point important, car qu’entendons-nous depuis des semaines ? Le fait que ce ne sont pas seulement pour les personnes rémunérées au SMIC que, compte tenu des dépenses contraintes, la situation est difficile, mais aussi pour toutes celles qui n’ont pas d’autre revenu qu’un salaire qui se situe un peu au-dessus. Ces personnes considèrent qu’elles n’ont pas de revenus dignes, décents ; elles considèrent qu’elles sont angoissées à chaque fin de mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion