Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 21 décembre 2018 à 16h00
Mesures d'urgence économiques et sociales — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que nous présentons est spontanée. Elle est le fruit d’une grande incompréhension et, je dois le dire, d’une grande colère.

Cette motion, qui soulève l’inconstitutionnalité, vise le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales qui nous est soumis dans la plus grande précipitation. Nous estimons que les conditions de débat, en particulier la grave mise en cause du droit d’amendement, portent un sérieux coup à ce projet dont les conditions d’élaboration ne respecteront donc pas la Constitution.

Avant d’en venir aux éléments juridiques précis qui fondent notre motion, je voudrais rappeler d’un mot le contexte social du débat en cours, sur lequel mon amie Laurence Cohen reviendra plus précisément dans le cadre de la discussion générale.

Nous assistons à une révolution citoyenne d’ampleur, à un mouvement social inédit, massivement soutenu par la population aujourd’hui encore, malgré toutes les tentatives de dénigrement. Ce mouvement bouscule profondément les dogmes libéraux qui encadrent les politiques gouvernementales depuis vingt ans.

Ce mouvement porte sur le pouvoir d’achat, sur la justice fiscale, bien sûr, et nous reviendrons fortement sur ces aspects dans le débat, mais il porte en lui une aspiration formidable à la participation des citoyens non seulement au débat, mais aussi à la prise de décisions. Le peuple n’en peut plus de ces institutions qui autorisent le reniement des engagements et tiennent éloignés de manière de plus en plus évidente les citoyens des élus, en particulier nationaux, sans évoquer le Président de la République, enfermé aujourd’hui dans une posture jupitérienne.

Nous n’avons pas attendu aujourd’hui, avec beaucoup d’autres, pour souligner la crise politique et institutionnelle profonde que traverse notre pays. L’abstention croissante aux différentes élections en est un symptôme frappant.

Nous constatons, avec cette entrée en force des « gilets jaunes » dans le paysage politique et social, car c’est un mouvement politique et social, que le peuple tente de reprendre en main la situation en rappelant avec force cette volonté de vivre dignement, ce ras-le-bol de l’exposition indécente des richesses en croissance infinie, cette volonté de démocratie. Cette volonté de prendre la parole, de reprendre le pouvoir s’exprime avec l’exigence du référendum d’initiative populaire plébiscité – vous devez entendre cela au Gouvernement et dans la majorité des assemblées – par 78 % des femmes et des hommes de notre pays.

Emmanuel Macron, pris de court, a présenté ses propositions à la source du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

Outre le fait que ces mesures sont notoirement insuffisantes et relèvent, pour l’essentiel, d’une véritable manipulation des chiffres, tout le monde a été frappé par l’absence de planification en matière de financement et chacun a relevé que les riches étaient protégés de tout effort de participation réelle, pérenne à l’effort de solidarité nationale.

La question du financement de votre projet est au cœur du débat. Il est un élément clef de la discussion. Ne pas le reconnaître relève, il faut le dire, d’une forme de malhonnêteté intellectuelle. Qui financera ? La collectivité, y compris ceux qui bénéficieront de ces quelques miettes, ou bien les détenteurs des plus gros patrimoines, ceux qui profitent du fruit du travail de ces femmes et de ces hommes en lutte, les actionnaires en un mot ? Les plus riches participeront-ils à cet effort d’aujourd’hui et celui, nécessaire, à venir ?

Nous avons déposé des amendements importants liés directement, intimement à ce texte, car ils concernent son financement. Ils portent, par exemple, sur la mise à contribution de l’ISF, sur la mise à contribution d’une taxe spécifiquement prévue à cet effet ou sur la mise à contribution de la remise en cause des mesures se substituant, dans la dernière loi de finances, au CICE, cette manne de cadeaux aux entreprises, les plus grandes en particulier, sans contrepartie.

Ces amendements, la majorité sénatoriale, sous le regard bienveillant et redevable du Gouvernement et d’Emmanuel Macron, les déclarera sans doute irrecevables. Le principe de cette irrecevabilité a d’ailleurs été décidé avant même le dépôt de nos amendements, puisque le président de la commission des affaires sociales a clairement affirmé ce matin, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, que tout amendement ne portant pas sur le corps du texte serait refusé pour des raisons d’urgence.

Monsieur le président du Sénat, cette urgence, cette efficacité, c’est précisément cela qui vous avait fait entrer dans une forme de résistance au projet de loi de révision constitutionnelle portée par le chef de l’État. Vous avez, avec le président de la commission des lois, avec la majorité sénatoriale, en vous appuyant sur les groupes d’opposition, mis en avant la défense du droit d’amendement.

Vous savez très bien que l’article 3 du projet de loi, entre autres dispositions, limitait fortement le droit fondamental en modifiant l’article 41 de la Constitution. Cet article 3 instaurait l’irrecevabilité de tout amendement sans lien direct avec le projet ou la proposition de loi en discussion.

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