Intervention de Alain Milon

Réunion du 21 décembre 2018 à 16h00
Mesures d'urgence économiques et sociales — Discussion générale

Photo de Alain MilonAlain Milon :

L’élan collectif semble brisé, la fierté d’un certain modèle, envolée, la possibilité d’un avenir meilleur, évanouie.

Nous connaissons bien, tous, ce paradoxe qui fait voisiner dans notre pays une relative satisfaction individuelle et la déprime collective. Nous l’entendons souvent, cette idée que le pays se perd, que la situation ne pourrait être pire, qu’il faudrait alors précipiter les choses et tout jeter aux orties. Tout cela, dont rien n’est, malheureusement, très nouveau, s’exprime souvent dans nos départements.

Quelque chose, pourtant, s’est déclenché ces dernières semaines.

Tout en étant humble dans les explications avancées, tant le mouvement à l’origine de nos travaux est hétérogène et composite, je voudrais évoquer trois éléments.

Le premier, c’est l’extrême sensibilité fiscale à laquelle nous sommes parvenus : le poids des prélèvements et leur raffinement de complexité alimentent la méfiance et le sentiment d’injustice. Dans ce contexte, le bouleversement auquel s’est livré le Gouvernement avec l’augmentation de la CSG a nourri une exaspération bien présente.

Le deuxième élément, c’est la délicate promesse, associée à ces changements fiscaux, du pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat dépend, vous le savez, de multiples facteurs : la durée du travail, la taille de la famille ou encore le lieu d’habitation. Durant la période récente, nous savons par exemple que le pouvoir d’achat a augmenté, mais, la taille des familles ayant diminué, cette augmentation ne se traduit pas concrètement pour tous.

Le pouvoir d’achat – faut-il le rappeler ? – dépend avant tout de l’emploi et l’emploi de la croissance, qui nous fait si cruellement défaut depuis dix ans. Au vu de l’état de nos finances publiques, le pouvoir d’achat distribué par l’État, ce sont, mes chers collègues, des impôts ou de la dette, c’est-à-dire, à terme, la même chose.

Avoir mis le doigt dans cet engrenage par des promesses inconsidérées était donc, pour le Gouvernement, à tout le moins hasardeux et le restera, sans doute, encore plus dans les mois à venir, car si nous avons vécu les « gilets jaunes », un peu les « habits bleus », nous vivrons peut-être, par la suite, les « gilets blancs » ou autres. Nous devons être très attentifs à tout cela.

Le troisième élément que je voudrais souligner, c’est le style et certains propos de l’exécutif, dont les effets ravageurs ont été sous-estimés, mais que nous payons aujourd’hui au prix fort. René Char, poète qui m’est cher, évoquait « l’hémophilie politique de gens qui se pensent émancipés. Combien sont épris de l’humanité et non de l’homme ! Pour élever la première, ils abaissent le second ». Certains de nos concitoyens se sont sentis abaissés, et ce sentiment, bien plus que l’insuffisance de revenus, est difficile à réparer.

Alors, oui, nous voterons ce texte s’il peut contribuer à l’apaisement, sans enthousiasme cependant. Certes, les mesures que le Gouvernement propose – la défiscalisation des heures supplémentaires, la CSG des retraités – ont, pour certaines, été proposées, voire adoptées par notre assemblée, mais elles l’ont été dans le cadre cohérent des textes financiers, avec le souci d’en respecter les équilibres et la vision d’ensemble.

Le Parlement vient de voter un projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont l’équilibre proclamé était inédit depuis deux décennies.

À la différence de ce que vous avez dit en commission des affaires sociales, mesdames les ministres, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un débat technocratique. Ce que l’on appelle familièrement le « trou de la sécu » parle à nos concitoyens. Le fait que, depuis vingt ans, en dépit des hausses d’impôt et de cotisations, notamment de retraite, l’équilibre ne soit pas atteint alimente la méfiance et la crise de confiance dans l’action publique. C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est élevée contre la ponction anticipée des excédents à venir de la sécurité sociale et c’est pourquoi elle demande que la règle de compensation s’applique aux mesures que l’on pourrait qualifier de nouvelles niches fiscales et sociales qui nous sont proposées. Je rappelle au passage que les exonérations de TEPA étaient compensées.

La commission s’est également opposée à la sous-indexation des prestations sociales, mesure de bouclage budgétaire, qui est pour nous un dysfonctionnement. Nous aurions souhaité être entendus.

Les annonces présidentielles ont été entourées d’une certaine confusion. Tout en comprenant le choix de la prime d’activité dans un contexte où la lutte contre le chômage, lequel est encore beaucoup trop élevé, doit rester notre premier combat et où les entreprises n’ont pas restauré leur situation financière d’avant la crise, les annonces de montants nets risquent de susciter bien des déceptions.

Alors, oui, nous adopterons ce projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. Avons-nous, mes chers collègues, réellement le choix après ce qui vient de se passer ? Cela étant, à nos concitoyens, à nos mandants, nous devons non seulement l’écoute et l’empathie, mais aussi le respect et la vérité. La confiance dans l’avenir ne viendra pas de ce panier de mesures, mais de l’investissement dans la santé, l’éducation et la formation, conditions sine qua non de l’émancipation sociale. Pour restaurer la confiance, le travail sera long et il exige les efforts de tous. Je forme le vœu que l’environnement international, bien incertain en ce moment, nous en laisse le temps et les marges d’action.

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