Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans quelques heures sans doute devrait s’achever le premier chapitre d’une séquence inédite, et qui fera assurément date. Nos concitoyens l’attendent évidemment avec impatience, ce qui rend notre responsabilité d’autant plus importante.
Cette séquence est inédite par l’ampleur de la mobilisation sociale qui a parcouru le pays ; inédite par la colère qui s’est exprimée bien au-delà de la seule question de la fiscalité des carburants ; inédite, aussi, par le désespoir ressenti face aux inégalités qui persistent dans tous les territoires ; inédite par la violence, inacceptable, qui s’est également manifestée, et que nos forces de l’ordre ont su contenir avec professionnalisme et avec leur sens du devoir. Qu’ils en soient, ici, de nouveau remerciés.
Il s’agit bel et bien d’un premier chapitre, car le projet de loi que nous examinons dans un calendrier plus que resserré ne suffira probablement pas à éteindre totalement la crise sociale que nous traversons.
Dans nos territoires, nous avons tous entendu les revendications d’une bonne partie de nos concitoyens. Elles sont nombreuses, souvent hétéroclites, parfois contradictoires. On les retrouve maintenant dans les cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies : une fois encore, les maires sont en première ligne !
Les attentes sont fortes ; comment s’en étonner, alors que tant d’efforts ont été demandés à nos compatriotes depuis 2008 pour surmonter la crise financière et que les effets de la reprise de la croissance peinent à se faire sentir dans leur vie quotidienne ? On doit comprendre cette envie de bénéficier, enfin, des fruits de tous les efforts qu’ils ont pu consentir.
Les signaux ne manquaient évidemment pas, l’exaspération fiscale n’en étant qu’un symptôme paroxystique. Le Sénat s’en était déjà fait l’écho et, pour leur part, les élus du groupe auquel j’appartiens défendent, depuis longtemps, dans un esprit constructif, des propositions de réduction des fractures territoriales et sociales. Quel dommage, et quel gâchis, que le Gouvernement n’ait pas été plus à l’écoute !
La société dans son ensemble subit ainsi les effets de décisions parfois déconnectées des réalités en point d’en devenir abstraites. Face à une action publique devenue hypertrophiée, illisible, l’urgence sociale, quant à elle, est bien réelle.
L’urgence, c’est d’abord de permettre à chacun de vivre dignement, y compris, et surtout, des fruits son travail. C’est en partant de cette impérieuse nécessité que mon groupe, dans toute sa diversité – j’insiste sur ce point, car c’est une chose assez rare –, votera ce projet de loi à la quasi-unanimité, l’un de ses membres s’abstenant.
Le présent texte amorce l’indispensable hausse du pouvoir d’achat que nos concitoyens demandent légitimement. Dans le détail, les mesures qu’il contient nous paraissent aller dans la bonne direction. Certains parlent de « miettes » ou d’« écrans de fumée » : dans ce cas, ce sont des miettes et des écrans de fumée de 10 milliards d’euros !
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat nous semble juste dans son ciblage comme dans son plafonnement, a fortiori avec les améliorations introduites par nos collègues députés, qui apportent davantage de clarté. Il appartient désormais aux entreprises qui le peuvent de prendre leur part de cet effort collectif.
Pour ce qui concerne les exonérations de fiscalité et de cotisations sociales des heures supplémentaires et complémentaires, l’accélération du calendrier apportera un gain immédiat de pouvoir d’achat, qui soulagera de nombreux ménages.
Le rétablissement du taux de CSG à 6, 6 % pour les retraités percevant moins de 2 000 euros nets est également une mesure attendue et de bon sens, qui avait été défendue par une majorité de sénateurs. Madame la ministre du travail, quel sera, à présent, le calendrier du déploiement de cette mesure ?
Enfin, pour ce qui concerne l’article 4, le rapport demandé au Gouvernement doit absolument identifier les moyens de renforcer l’accès de chacun à ses droits, en l’occurrence à la prime d’activité.
Après ces quelques considérations circonstanciées, ne soyons pas toutefois naïfs. Pour importantes qu’elles soient, ces avancées demeurent tardives et ne suffisent pas, en elles-mêmes, à répondre à un malaise beaucoup plus profond. Une partie de mes collègues du RDSE continuent de s’interroger sur la réelle universalité des hausses de rémunérations annoncées, y compris celles qui sont liées à la prime d’activité, lesquelles ne relèvent pas – on le sait – de ce texte.
De même, l’efficacité de la prime de pouvoir d’achat favorise d’abord les salariés d’entreprises en bonne santé financière. Alors que le besoin de justice sociale est criant, prenons garde à ne pas ajouter de nouvelles frustrations aux colères qui se sont exprimées ces dernières semaines.
Vous le savez bien : il ne suffit pas de dire à nos concitoyens que nous avons entendu leur message. Bien sûr, ils veulent des actes, de l’efficacité et des résultats mesurables dans leur vie quotidienne. Mais ils sont également, et j’ai tendance à dire surtout, en attente d’écoute, d’empathie, d’une autre façon de gouverner garantissant davantage de libertés et d’équité, notamment dans l’accès aux services publics, qu’il s’agisse de l’éducation ou de la santé.
Pour paraphraser Marcel Gauchet, il nous faut collectivement réenchanter la démocratie, par l’invention de nouvelles formes d’action publique.